Le onze juin dernier Direct Matin offrait à ses lecteurs une interview exclusive de Madame Vallaud-Belkacem arborant dès la première page un sourire socialiste et sportif aggravé sur son tee-shirt bleu d’ un coq présumé gaulois. Elle voulait dire des choses « aux Bleus », fort bien dites ma foi (en impeccable langue de bois) pages 10 et 11, illustrées chaque fois par une nouvelle photo d’elle. « C’est une chance inouïe », disait-elle aux Bleus, « de pouvoir porter les couleurs de la France ». « On croit en eux », ajoutait-elle. (Comme on croirait en Dieu). Et Madame Vallaud-Belkacem, fécondée par Oscar Wilde, se trouvait grosse d’un rêve suffisamment grand pour ne pas le perdre de vue (sic). Quel ? « Je rêve que la France soit en finale contre le Brésil ». (Cela imprimé en une frise de grosses lettres capitales). Mais pourquoi ne grandissait-elle son rêve, Madame Belkacem, jusqu’à envisager pour le 13 juillet 2014 une victoire comparable à celle qui le 12 juillet 1998 fut un épisode si glorieux de l’histoire de France que nul n’est censé avoir oublié où il se trouvait ce soir-là ? (Je me souviens en effet, bien résolu à m’en footre, m’être éloigné ce soir-là de tout écran, de tout tapage consensuel).
A quoi rêvent les jeunes filles ? interrogeait Alfred de Musset. A quoi rêve aujourd’hui une femme, foot-elle ministre, atteinte de cette « pandémie universelle de crétinisation des masses » que dénonçaient dans Le Figaro en juin 2006 deux universitaires courageux ? Mon rêve, pour rester dans ce registre de trivialité, est tout autre : que nos Bleus, étrillés par le Honduras la Suisse puis l’Equateur, se hâtent de plier bagages, non que j’en veuille le moins de coupe du monde à ces braves bougres (quoique entre leur coupe et mes lèvres il reste de la place pour un malheur !), mais plus tôt ils seront boutés hors, plus tôt nos médias cesseront de déconner à plein tube.
Un rêve suffisamment grand ! Est-ce ça, le grand rêve qu’on propose aujourd’hui aux Français? S’échauffer à un match de foot sur un gradin ou derrière sa télé ce n’est pas du rêve, c’est du décongelé de fantasmes : je dribble, je passe, je zidane, je zlatane, je shoote, hurrah ! Et me couche énervé. Ça, c’est la pandémie planétaire. Quant à la France, cette vieille dame est-elle si poussive qu’elle ne compte plus que sur le foot pour se refaire un blason ?
Le quantum quotidien de niaiseries crachouillées par les médias durant ce mois de footitude sera si énorme qu’on aurait matière bonne heure male heure pour cent épigrammes. Je me contente aujourd’hui
1) de noter le contraste prodigieux entre les moyens techniques déployés (notamment, up-to-date, la « Goal Line Technology ») qui sont à l’honneur de l’humanité inventive et l’abyssale futilité, la tapageuse vulgarité des cérémonies servies par lesdits moyens
2) d’imaginer (ça, c’est un grand rêve !) un président de la république française secondé de sa ministre des sports qui aurait assez d’esprit et d’autorité pour inviter ses concitoyens durant les heures de matches déterminées par la Fifa à une détermination rétorsive et curative – lecture des Olympiques(Montherlant), écoute de Sports et divertissements (Satie), récitation de mantras tibétains ou cantilation des psaumes. (Quel influx de réelle vigueur !)
3) de préciser que je ne me fais aucune illusion : ce petit pamphlet qui ne sera lu avec sympathie que par au mieux douze personnes est comme une goutte de détergent lâchée dans une fosse septique d’environ 200.000 mètres carrés.