LA FOOTOSPHERE
LA FOOTOSPHERE
« et le peuple amoureux du footabrutissant » (Charles Baudelaire)
La coupe du monde 2018, c’est fini. Il est trop tard pour en parler. Mais non ! Nous ne cessons pas d’être sous la coupe. Nous n’y couperons pas. Nous n’y couperons plus.
La France, m’a-t-on dit, a gagné.
Vive la France.
Nous sommes footus.
Il ne manque pas de gens intelligents, quoique leur nombre tende à se réduire, qui ont, non sans talent, souligné l’extraordinaire crétinisme mondial dont ce sport est la vitamine. Je garde dans mes rares dossiers un article paru dans leFigaroen juin 2006, signé de Jean-Marie Brohm et Marc Perelman, l’un et l’autre universitaires : « mondialisation d’un fléau émotionnel »; « pandémie de crétinisation des masses, « système totalitaire ». Douze ans plus tard cet article est toujours actuel, toujours pertinent. Sans doute les symptômes du fléau se sont-ils multipliés et aggravés, les relations entre la footosphère et la fricosphère resserrées. En juin 2018 un chroniqueur lucide formulait cette prémonition : La Coupe du monde de foot va nous emmerder à longueur de journées du 14 juin au 18 juillet. Un long calvaire lié à la futilité de courir après un ballon, la corruption de la FIFA, le chauvinisme des supporteurs et par dessus tout la crétinisation des masses.»
Un résultat de match de foot, coupe ou pas coupe, est une nouvelle considérable qui éjecte ou laisse dans l’ombre toute autre nouvelle. Pour donner le la : Cinquante morts à Bagdad ? On s’en foote ; c’est savoir si le PSG a battu Marseille ou Marseille le PSG, et si c’est 3 à 4 ou 1 à 0, qui importe.
(Quand les Pouvoirs n’ont rien à footre sous la dent du peuple ils lui offrent quelque fait divers sordide, grotesque ou voilé : Benallah est grand et Jupiter est son prophète, Mamadou Cassama évite une chute hors de France grâce à un garçonnet astucieusement suspendu, Adrien Lopez est …chut ! …par deux chances pour la France …chut ! … dont l’identité …chut ! … ne doit être révélée qu’aux anges).
Faut-il voir dans l’expansion et l’intensification de la footaise une confirmation de la grande thèse du Père Teilhard de Chardin ? C’est la Noosphère, signifiant auquel il a donné son éclatante aura, qui m’a soufflé Footosphère. Hé bien, est-ce que la Footosphère ne serait pas actuellement la pointe la plus avancée de la Noosphère ? Alors il faudrait frapper de nullité le diagnostic pessimiste, que je faisais mien (je l’avoue), de crétinisation. J’attrape, dans le tome VII des Œuvres, titréL’activation de l’énergie (quelle énergie mieux activée que celle de deux fois onze dieux courant après un objet sphérique ?), quelques remarques : évidence directe d’une dérive absolue de l’Univers en direction d’une unité et d’une intériorité croissantes ; concentration de tout l’Humain en un seul système co-réfléchi de dimensions planétaires ; hyper-synthèse de l’Humanité sur elle-même ; l’Homme, par effet de totalisation planétaire, accroissant chaque jour plus vite sa capacité et son intensité collectives de pensée ; la température psychique de la Noosphère ne cessant de s’élever ; nous « tombons » désormais à une vitesse constamment accélérée sur une unification à la fois organique et mentale.
Une Coupe du Monde, l’admirable déploiement de forces spirituelles qu’elle induit (pronostics, récits, commentaires, ferveurs optatives, voire critiques) cela n’est-il pas, du phénomène évolutif et positif prédit et souhaité par Teilhard, la meilleure illustration ? Enfin, ce qu’énonce Teilhard en lettres capitales – D’APRES ET SUR LEUR VALEUR D’EXCITATION EVOLUTIVE, UNE SELECTION ET UNE CONVERGENCE GENERALE DES RELIGIONS, VOILA DONC, EN SOMME, LE GRAND PHENOMENE DONT NOUS SERIONS PRESENTEMENT A LA FOIS LES ACTEURS ET LES TEMOINS – il est difficile de douter que la grand’messe du stade, sa diffusion mondiale, l’unanimisme émotionnel, dévotionnel qu’elle suscite, en soient l’actualisation.
Je m’amuse …
Teilhard n’a pas connu la footosphère, n’a pu évaluer la « température psychique », je veux dire le degré de crétinisation, de la Noosphère devenue footosphère. Optimiste comme il se voulait, il aurait simplement accusé le coup (la Coupe) : « Avec la montée du Collectif et des Masses, bien sûr, une première vague de servitude, de nivellement, de laideurs et de catastrophes nous frappe au visage.
Mais /…/ » Ce « mais » ne me rassure pas. L’hypothèse où la complexité-conscience (pour une élite) et la footrerie (pour la foule) s’engraineraient entre elles, l’une et l’autre, l’une par l’autre en voie d’un fatal, d’un formidable développement se révèle, au vu, au lu, au ouï tapageurs de l’actualité, plus que plausible.
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