Jean Sarocchi

Jean Sarocchi

Mois : octobre, 2018

FACHOSPHERE

Chers ennemis de la Fachosphère,

J’en suis. Ma qualité de Privatdozent me vaut dans cette sphère une certaine considération ; je me fais remarquer par mes activités tapageuses de randonneur solitaire, mes excès digitaux sur un Bechstein où j’exécute avec un génie tout faustien les Barcarolles de Gustave Fauré, enfin mon assistance quotidienne, dans une chapelle fréquentée par de redoutables vieilles dames, à une messe basse ; puis-je ajouter que je n’adhère à aucun parti, ne lis journal ni revue, me passe de télé, zappe sur ma petite radio dès que j’y entends le mot foot ?

Je me devais de vous fournir ces renseignements pour vous convaincre que je suis un fasciste de stricte observance. Comment nommer, par comparaison, la sphère où vibrent vos synapses ? J’hésite entre plusieurs termes, vous me direz quel vous semble le plus idoine ; à mon avis c’est leur bouquet qui vous caractériserait le mieux :

Bobosphère (les tartuffes de l’altruisme) ? Cocosphère (les arapèdes du Parti)? Corniaudsphère (les iodés du Coran) ? Dodosphère (les chloroformés de la pensée conforme) ? Gogosphère (ils absorbent bêtement les slogans à la mode), Lolosphère (ils boivent le lait suri de l’idéologie) ?

Quel grand quinquennat!

 

 

 

 

   « Un des inconvénients les moins observés du suffrage universel, c’est de contraindre des citoyens en putréfaction à sortir de leurs sépulcres pour élire ou pour être élus.

Le Président de la République est probablement une charogne ». (Bloy)

 

 

 

 

« Atrophie universelle des intelligences, avachissement inouï des caractères, exécration endémique de la Beauté et de la Grandeur, obsèques nationales de toute autorité humaine ou divine, boulimie furieuse de jouissances, destruction de la famille et vivisection de la patrie, moeurs de cochons enragés, empoisonnement systématique de l’enfance, élection de chenapans ou de goîtreux dans les cavernes de la politique ou sur le trottoir des candidatures, etc., tels sont les fruits de l’arbre de la Liberté »(Bloy)

 

AVANT-PROPOS

 

       Ces cent-soixante douze pages étaient toutes rédigées avant que s’achevât le sinistre et ridicule quinquennat 2012-2017 dont il me déplairait de nommer désormais la Marionnette présidentielle, mais à propos de laquelle il est topique et tonique, maintenant que celle-ci (ne se représentant pas, crainte de ramasser une mémorable veste) a été désinvestie, de chantonner, en hommage à son métalent, « dors mon p’tit quinquin mon p’tit poussin mon gros raisin »

Nul n’aura mieux illustré ce jugement d’Alain : la politique est une « nécessité inférieure » ; ou cet autre : « les pouvoirs meurent de peur ».

Sur celui qui lui succède j’émettais – on les lira – quelques réserves (c’est le moins qu’on puisse dire). Peu après qu’il fut intronisé j’écrivis, me souvenant de quelques-unes de ses formules ineptes, ceci :

 

Macron. Il n’était pas président de la république mais se préparait à l’être par un geyser de discours séducteurs quand il proclama à Lyon qu’il n’y avait pas de « culture française ». Je lisais alors quelques dizains de la Délie, j’évoquais avec Maurice Scève Pernette du Guillet, Louise Labbé, je me rappelai que Marot, Rabelais, Molière, tant d’autres de nos meilleurs écrivains avaient séjourné dans l’antique capitale des Gaules dont l’archevêque est encore aujourd’hui le primat. Toulousain d’adoption je savais qu’adopté lui aussi un moment par Toulouse Jankélévitch par horreur de l’Allemagne nazie avait décidé de répudier toute musique allemande et faisait ses délices de Fauré, Duparc, Debussy … Affirmer qu’il n’y a pas de « culture française » est aussi stupide que d’affirmer qu’il n’y a pas de sapins dans les Alpes ou de soleil dans le ciel. Une telle ineptie, proférée par un homme qui ne manque pas d’intelligence, est une grossière ruse de candidat au pouvoir ; ruse grossière mais non inefficace. A preuve la suite des événements. Or proférer qu’il n’y a pas de culture française et accéder à la présidence de la république française non malgré cette profération mais grâce à elle, cela invite à penser qu’il y a sans doute encore une république mais assurément qu’il n’y a plus de France. La cruelle vérité à dire mais que le moindre sens de la conjoncture et des conjonctions d’intérêts frappait d’interdit, c’est qu’il n’y a plus de France, et c’est parce qu’il n’y a plus de France – j’enfonce le clou – que pour la première fois (j’en suis sûr) dans l’histoire de nos républiques un président présomptif a misé sur un mensonge aussi impudent pour gagner des voix.

Que la France soit morte, et avec elle l’Europe, voilà plus d’un siècle que cela a eu lieu et donné lieu à des certifications éclairées. Dès décembre 1913 Léon Bloy notait dans son Journal : « Gallia moritura te salutat ». Moritura : elle va mourir. Quelques mois plus tard éclatait le conflit suicidaire auquel l’Europe ne survit qu’à l’état de spectre. « La Chrétienté a fait l’Europe », souligne Bernanos. « La Chrétienté est morte, l’Europe va crever, quoi de plus simple ! » Et son ultime roman – Monsieur Ouine – s’intitula d’abord La Paroisse morte, cette paroisse, Fenouille, étant un modèle réduit de la France. Comment, à partir de cette donnée irrécusable, interpréter le slogan « en marche » que notre Président injecte tel un énanthate de testostérone dans une république aux muscles ramollis, dévirilisée ? Cette marche, Gounod, musicien de culture excellemment française, lui avait par anticipation au début de la troisième république donné le rythme sautillant que j’avais une fois surpris à Louksor dans une rue où des hommes à la voix et aux jambes guillerettes s’en allaient enterrer un mort au plus vite. C’est la « marche funèbre d’une marionnette ». Où conduit-elle, cette marche funèbre ? Aux « grands cimetières sous le croissant ». (Je fis ce trait d’esprit devant un public de happy few : personne ne rit, personne ne broncha).(L’invasion islamique de la France est une réalité que seul l’enfant du fameux conte est capable de voir).

Quel père de l’Eglise, hypocrite lecteur mon semblable mon frère, a dit : « C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent » ?

Nos quinquennats, derniers spasmes d’une république en voie d’extinction (ah ! souffrît-elle du moins d’une extinction de voix !), sont à l’évidence remués par une Instance qui passe de très loin le spécieux pouvoir de son prétendu gouvernement.

 

        

 

 

UN PRESIDENT ET SES SUPPÔTS

 

 

 

MARCHE FUNEBRE D’UNE MARIONNETTE

 

 

(Kundera : « Ce sont les gestes qui se servent de nous ; nous sommes leurs instruments, leurs marionnettes »)

 

Nous avions grand besoin d’un pompier pour éteindre le feu de l’islam fanatique. Nous n’avons qu’un entrepreneur des pompes funèbres.

Celui-ci excelle (on ne lui connaît outre celui de mentir que ce seul talent), en tant que « chef » des armées, au maniement des larmes. Il fait gaffe sur gaffe, payées par la mort de ses concitoyens, puis organise des mises en berne, des marches de déploration, des cérémonies et oraisons funèbres. Des hémorragies lacrymales.

Art de rentabiliser les morts, de gagner grâce à eux quelques points dans les sondages. Il est souhaitable, pour que sa cote remonte un peu, que d’autres 13 novembres se produisent, et l’aveuglement collectif, entretenu par des médias serviles et un gang de traîtres, est tel qu’il n’y a pas à craindre qu’ils n’aient pas lieu.

 

J’imagine l’enterrement de ce Président Culbuto rythmé par la pimpante « marche funèbre d’une marionnette » de Gounod. Ecoutez, je vous prie, voyez le cortège, rigolez tout votre saoul. Par ces temps de détresse publique, ça fait du bien !

 

 

 

 

 

« ô mes divers » (Mallarmé)

 

J’étais seul, le 31 décembre au soir, dans une banlieue insensible de la région parisienne. Un refroidissement me condamnait à la chambre et je n’avais en guise de réveillon qu’un méchant morceau de fromage et une pomme insipide. J’ouvris la télé, peu avant vingt heures, pour me régaler de quelques inepties publicitaires et me renseigner sur le temps prévu par la météo, qui est ce que le petit écran nous offre de plus fiable et à la vérité de plus intéressant. J’appris alors qu’à défaut d’éteindre le poste dans les plus brefs délais je courais le risque d’entendre et de voir le Président Hollande se livrer à l’exercice rituel des vœux. Qu’aux dieux ne plaise ! Tenant le Président Hollande en haute estime je ne voulais pas le surprendre dans ce déshabillé oratoire de la Saint-Sylvestre. L’admiration, pour n’être pas ébréchée, doit quelquefois se boucher les yeux et les oreilles.

Ainsi ma critique des vœux présidentiels a-t-elle cette singularité que je n’en ai pas ouï un traître mot. Mauvais citoyen ? Posons froidement la question : ne savoir pas ce qu’il a dit ce soir-là, cela me rend-il moins apte que le politologue ou le plouc   à me faire une idée de ce que seront d’ici la Saint-Sylvestre 2013 notre versatile Président et le pays dont il assume cahin-caha la présidence ? A vrai dire ma tactique de non-écoute m’a permis d’entendre sous le discours apprêté, convenu, fatalement hypocrite un autre discours, dont je donne ici la substance.

Monsieur Hollande a sans doute parlé de la France et parlé aux Français. Pour ce qui regarde la France, il savait fort bien qu’elle est morte, qu’il ne tient pas la queue de la poêle mais le cordon du poêle. La langue de bois, requise ô combien dans une homélie présidentielle de 31 décembre, recouvrait une langue de bière. La France se meurt, chers compatriotes, la France est morte !… Chers compatriotes ? Qui sont les Français en vérité auxquels s’adressait notre Hollandais dolent ? Il est bon de rappeler qu’il est au mieux l’élu d’un Français sur quatre. Quel Français ? Eh bien, le Français « divers ». Monsieur Hollande est l’élu de la Diversité, du Français pourvu qu’il soit divers, ou lèche-cul du divers.

Qu’est-ce qu’un divers ? Madame Bouteldja, bien vue dans les cercles gouvernementaux et jouissant à l’Institut du monde arabe d’un statut exquis, peut nous permettre de définir le divers par son antagoniste, sa bête noire : le « sous-chien ». Les sous-chiens, en mai 2012, n’ont pas voté massivement pour monsieur Hollande. Honnis soient-ils ! Ce n’est que par feinte que le Président les inclut parmi ses vœux. Il ne s’adresse en vérité qu’aux divers. Ceux-ci ne doivent en aucun cas être discriminés, cependant on les reconnaît à leur allergie aux sous-chiens et à quelques traits d’esprit ou quelques gestes symboliques. Ce sont les divers qui, selon une tradition maintenant bien établie, ont salué l’homélie présidentielle par un holocauste de voitures : mille et une en une seule nuit – variante heureuse aux longueurs narratives de Shéhérazade. Cette fièvre rituelle de mise à feu, complément hivernal aux feux de la saint Jean d’été, peut être appelée la diverticulite. Les divers brûlent avec une ferveur toute progressiste des véhicules de sous-chiens, lesquels, semblent-ils, s’en trouvent bien puisque ni les ondes ni le petit écran ni la presse ne font état de leurs éventuelles récriminations.

Le divers « nique la France ». Comme cet acte de vasselage, la France n’étant pas identifiable à quelque maritorne ou Marianne, ne peut guère aboutir dans le réel qu’à dresser le poupon chéri d’un sexe en vain concupiscent (je pastiche Alcools), le divers, auquel niquer importe et même à qui suffit niquer, verge au vent s’attaque au drapeau. Les « trente Glorieuses » se sont terminées, dit-on, en 1973. Les trente Honteuses ont toutefois commencé le 19 mars 1962. Nous en sommes à la cinquante et unième. En l’an de disgrâce 2010 ( ?) je vis passer à fond de train dans ma rue toulousaine une horde de divers au pied léger qui convoyaient au Capitole un vaste calicot vert et blanc frappé du croissant rouge ; ils le hissèrent au fronton de la mairie, en arrachèrent le drapeau tricolore qu’ils brûlèrent en présence des forces de l’ordre, celles-ci priées de ne troubler en rien cet honnête subterfuge de substitution et cette cérémonie de patriotique crémation. La victoire de monsieur Hollande, en mai dernier, fut sur cette même place du Capitole saluée par une floraison d’étendards de la Diversité. On prétend qu’ailleurs, du côté de la côte céruléenne, la Diversité se signala quelquefois par faire caca dans le linge tricolore, celui-ci censé représenter feu la France, putain azurément peu respectueuse.

 

Tout le monde n’échappe pas à l’infortune d’être président de la République et d’être conséquemment en obligation le 31 décembre au soir de présenter des vœux qui dans le principe s’adressent à la nation entière. Mais il n’est parole de Président qui ne soit calculée pour, si minime soit-il, un gain possible de voix. S’adresser à la fois aux divers et aux sous-chiens, aux incendiaires et aux propriétaires des véhicules incendiés, gageure ! Quel orateur, si rompu fût-il aux artifices de la sophistique voire de la phlogistique, l’eût tenue, cette gageure ? « O mes divers », ce fut la basse continue, la subreptice caresse vocale qu’une oreille très attentive pouvait entendre sous la phraséologie convenue du Président Hollande. « Je ne crois qu’à la civilisation française » : quel nietzschien aurait osé, ce soir de l’irénique nique nique Saint Sylvestre, cette impudente profession de foi ?

 

 

 

 

UN PRESIDENT INCULTE ?

 

       L’an de disgrâce 2013 s’en va vers l’été. La pluie ne cesse pas, notre Président a fait du parapluie son quant-à-soi. Il se protège ainsi des stupations (en langue médicale), des glaviots (en langue verte) du peuple français que déçoit, consterne, horripile son manque de logique et d’énergie. On me dit qu’il a été surnommé par Marcel Mélanchon « capitaine de pédalo », on me dit encore qu’il est affligé du sobriquet de « Culbuto ». Il apparaît de plus en plus nettement, ajoute-t-on, que s’il fit de convenables études et conséquemment carrière au parti socialiste avec esprit de suite et astuce, il n’est pas à la hauteur du poste où un lacs de conjonctures l’a porté pour son infortune et la nôtre. Une chose est sûre, à mon avis : habile à la langue de bois, comme il se doit dans sa fonction, il maîtrise mal la langue de Molière ou de Malraux, ce qui de sa fonction devrait, tant c’est scandaleux, le faire exclure. Ainsi le sens du mot mariage lui a si bien échappé qu’il a donné récemment son aval au concept farfelu de « mariage homo » et à une loi qui le légalise, et il vient de montrer, dans une déclaration bouffonne au lycée Buffon (où je fis mes premiers exercices de défense passive contre le chahut), qu’il ignore ce que c’est que « résistance ». Le plus comique, rapporte Ludovine de La Rochère dans un article du Figaro, c’est qu’il a commencé cette déclaration par : « les mots ont toujours un sens, il faut le leur donner »[1]. Dans un pays qui se targue de garantir à ses citoyens la liberté d’expression ce Président ubuesque ose interdire (« nul n’a le droit d’… ») l’emploi congru d’un mot dont il prétendrait par sectarisme restreindre le sens à un épisode historique, cependant qu’il se permet lui-même une grossière incongruité en avalisant contre une tradition millénaire et universelle un contre-sens sur le mot « mariage ».

Inculture ? Muflerie ?…. L’une et l’autre peut-être.

 

 

Année 201.   Ce 31 au soir. Seul dans ma chambre d’hôtes de Châtenay. Une télé. J’y attrape la météo, puis le sommaire des « informations » ; ça brûle ; le Président va parler.

Ne pas l’écouter, ne pas même l’entendre est mon vœu. J’y suis attentif et ponctuel. A qui me reprocherait de négliger mon devoir de citoyen je ne répondrais pas que ce Président ne l’est, tous décomptes faits, que d’un quart au maximum des Français véritablement français(je veux dire qui ne brandissent pas pour l’acclamer un autre drapeau que celui de la France. Je répondrai simplement qu’à l’instar de ses prédécesseurs il ne sera intéressant que par son adresse à mentir, à camoufler, à éluder, qu’il ne dira pas un mot sur le seul sujet qui vaille aujourd’hui une réflexion sérieuse et dont je me garderai moi-même de dire mot craignant, tant notre pays respecte la liberté de penser, des poursuites en justice. L’art académique des vœux présidentiels est un exercice de virtuosité sur le thème « parler pour ne rien dire ».

Ai-je tort de prononcer ainsi ? Oui, si l’on considère que la petite allocution tricolore de Fr. Hollande a déjà suscité, va susciter un sinistre de commentaires, de commérages, de critiques doucereuses ou venimeuses, d’approbations serviles ou nuancées. C’est le « poca favilla gran fiamma » de Dante. Il ne me déplaît pas d’ajouter à ces flots ma minuscule vague, mon friselis : j’ai l’avantage sur les chroniqueurs patentés, les journalistes stipendiés, les échoïstes à gage de ne pas connaître, de ce discours épi …,un traître mot. Cette ignorance me confère une hauteur de vues, une légèreté, une désinvolture qui manquent d’ordinaire à ceux dont l’esprit critique est entaché de ce sérieux qui affecte les officines de presse. Critique au sens radical, extrême, j’ai décidé, disciple de l’Ecclésiaste, de m’expurger de ce vain bruit de mots. Quant à la réalité politique, à ce qui dans la suite des jours se décidera, s’annulera, réussira ou échouera, il y faut d’autres antennes, d’autres palpes que celles d’un écran de télé.

 

Eussé-je été plus doué, c’est-à-dire plus instruit à surfer sur l’écume de l’actualité j’aurais inventé sans l’entendre cette homélie laïque adressée à l’église socialiste. Si l’Esprit, selon l’Evangile johannique, souffle où Il veut, il souffle chez F. Hollande où il peut, et à l’épreuve – on s’en doutait – il peut peu. J’ai eu vent de quelques-unes des allocutions de ce président qu’un humoriste (était-ce pour le dire invertébré ?), qualifia de sinistroptère . Il pleure volontiers, se repent. Il excelle, dit-on, dans l’exercice viril et véridique de la repentance coloniale.

 

Marcel Conche dans son « Journal étrange », tome III, étrange ô combien tant il évite les clichés du journalisme bien pensant (bien pénitent), reproduit (vérité ? fiction ? n’importe) la lettre que lui adresse au sujet de la colonisation un Camerounais. Elle mériterait d’être citée intégralement. Pour moucher notre Président j’en extrais ceci : « d’une façon générale, la colonisation, avec ses variantes et suivant les intérêts qui sont en jeu, engendre à la fois de bonnes et de mauvaises choses. Et il n’est pas facile d’établir objectivement un bilan/…/ »

 

LE MONDE VU AU MACRONSCOPE

 

Les infamies proférées à Alger par  Macron, ce clone du virginal et lisse Hollande,[1] ne m’auraient pas ému si elles n’avaient été suivies à Lyon d’une ridicule variation sur le classique « embrassons-nous, Folleville ! » illustrée par un emprunt aux Feuillets d’Hypnos de René Char. « Je tenais à ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne devait se rompre. J’ai aimé farouchement mes semblables cette journée-là, bien au-delà du sacrifice ». Cette journée-là : était-ce la journée où à Alger il a flétri le crime contre l’humanité que fut notre colonisation ? Ses « semblables » ne lui sont donc pas tous semblables : les colonisateurs et les colons, les « indigènes » qui pactisèrent avec ceux-ci, les Algériens d’aujourd’hui plus exploités peut-être par leur classe dirigeante  qu’ils le furent par les colons, tous ceux-là ne sont pas des « semblables », monsieur Macron ne tient pas à eux par « mille fils confiants »,  leur imputant le plus abominable des crimes il est patent qu’il ne les aime pas. La harangue d’Alger sape celle de Lyon.

Mais il faut encore coupler l’une et l’autre se souvenant du vrai patriote qu’était René Char, amoureux farouche de son pays, de sa province, capable en effet, tel ou tel jour dans son maquis de résistant, d’aimer au-delà du sacrifice. Quand monsieur Macron se déculotte à Alger, bafouant nombre de ses compatriotes (vivants ou morts) dont il se dissimile et se désassemble honteusement,  devant un Abdessalem Bouchouareb ou un Abdelmalek Sellal (épanouis, je le soupçonne, de gratitude et de mépris), puis consécutivement à cette prostitution   lorsqu’il feint dans la ville du primat des Gaules un faux unanimisme de meeting dissimulant une idéologie partisane, il commet la grossière erreur d’ignorer ce que René Char pensait de l’islam et de ceux qui baissent devant l’islam leur pantalon. Voici, pour sa gouverne, ce que nota un des intimes du poète de la Sorgue : * Longue diatribe contre l’Islam et son esprit de conquête ou de reconquête, et contre ses amoureux qu’il me nomme. « Un jour ou l’autre, nous ouvrirons les portes sacrées, comme à Constantinople en 1453 »*[2].  Il ne faut pas oublier que René Char avait noué avec Albert Camus une amitié virile, véritable, à toute épreuve, et on peut imaginer ce que l’auteur des Chroniques algériennes ou du Premier Homme eût pensé d’un blanc-bec de la Banque ouvrant dans un accès de repentance ses portes sacrées à la perquisition de l’Algérie concupiscente.

 

UN   MINISTRE DE LA ……[2] NATIONALE ?

 

 

 

Nae iste magno conatu magnas nugas dixerit, « sûr, celui-là à grands efforts va nous débiter de grandes niaiseries » (Essais, livre III, ch. 1).

 

Je dois à la lecture accidentelle du Figaro, l’autre samedi, et à la perspicacité critique de Jean d’Ormesson d’avoir lu une phrase d’une stupidité hippopotamesque, une des phrases les plus énormément idiotes qu’il m’ait été donné de rencontrer en cette dernière décennie. Elle est signée de Vincent Peillon, extraite d’un ouvrage où il s’exprime sur la révolution française, et c’est une phrase si éminemment imbécile qu’elle dissuade à jamais d’entrouvrir un tel ouvrage, à moins au contraire qu’on se réjouisse, le feuilletant, d’y faire une riche moisson de sottises et d’incongruités.

Cette phrase sans pareille, toutefois formatée semble-t-il selon les canons du stalinisme pas mort, la voici : « 1789, l’année sans pareille, est celle de l’engendrement, par un brusque saut de l’histoire, d’un homme nouveau ». Les amateurs d’histoire-fiction connaissent la mythologie, familière aux marxistes, du saut qualitatif. Eh bien, selon ce monsieur Peillon, agrégé (douteux) d’une philosophie fiancée à la Finance, mais formé à ladite mythologie du saut qualitatif, il y aura eu, dans l’Histoire, une Kehre, un Kairos, un moment pivotal, un coup de marteau sans pareil du commissaire-priseur qui met aux enchères les innovations de la civilisation perfectionnée. Comprenons : l’homme biblique, l’homme grec, l’homme chinois ou aztèque, l’homme de l’ecce homo, Héraclite et Isaïe, Confucius et Euclide, Aristote et Marc-Aurèle, Descartes et Gassendi, Voltaire et Rousseau, et tutti quanti, tous, jusqu’à 1789, tous sont éclipsés, frappés de désuétude, en l’année sans pareille 1789, par un homme nouveau.

Quels sont les caractères de cet homme nouveau ? Monsieur Peillon les détaille sans doute, les précise, les rend incontestables dans son ouvrage. De prime saut j’incline à voir en cet homme nouveau le promoteur d’un nouveau style d’expédition ad patres des compatriotes qui manquent à leur devoir – je parle évidemment de la guillotine – et le metteur en scène du premier génocide, exécuté sur les Chouans, de l’histoire moderne. Mais peut-être monsieur Peillon veut-il insinuer que 1789 engendre le citoyen, lequel est promis en effet à une belle carrière dont le couronnement sera sa récente promotion au grade d’épithète, qui fit naguère les gorges chaudes (il a tort !) de Philippe Muray. Il est vrai que ni Socrate, ni Jésus, ni Lao-Tseu, ni Thucydide, ni Sénèque, ni Thomas d’Aquin, ni Galilée, ni Michel-Ange, ni Montaigne, ni Couperin ni Leibniz, ni Marivaux ne sont des citoyens et qu’aucune de leurs activités ou façons d’être ne peut être qualifiée par l’adjectif « citoyenne ».

Il y aurait encore, pour excuser ou atténuer la sottise de monsieur Peillon, venant à la barre au procès que je lui intente pour témoigner en sa faveur Alexandre Vialatte et sa Chronique du 18 octobre 1955 où il fait état des mensurations de la tête humaine par le docteur Le Bon : 472 centimètres cubes pour le Parisien de Louis XIV, 593 pour celui d’aujourd’hui, « ce qui prouve », souligne Vialatte, « combien la prise de la Bastille a fait grossir la tête des hommes ». Gageons que la tête de monsieur Peillon, et les têtes ministérielles élues par la très forte tête (unanimement reconnue) de l’actuel président de la République, sont d’un cubage au moins égal à celui de la tête du Parisien d’aujourd’hui (c’est-à-dire d’hier) mesurée par le docteur Le Bon. Il en résulte l’excellente politique que l’on sait.

Trêve de plaisanterie. Il n’y a pas d’ »homme nouveau », Mr Peillon. Cette impudente sottise, on nous l’a déjà cornée au temps de la Russie soviétique (dont vous seriez, paraît-il, un nostalgique, dont vous êtes sans nul doute un ferment résiduel) : l’homo sovieticus devait être un mutant ; ce qu’il en fut, ô gobeur de coquecigrues, apprenez-le de Boulgakov, lisez, dans Le Maître et Marguerite, l’épisode où l’homo sovieticus s’écroule ivre-âpre devant le dieu dollar. La vieille histoire mosaïque du veau d’or ! Vous-même, riche héritier du directeur de l’Eurobank, êtes-vous un homme nouveau, farceur, ou un homme du veau ? Il y eut ensuite un homo siniensis, engendré par Mao ; or qu’apprenons-nous (information toute fraîche, manchette du Monde) ? Que les « princes rouges chinois » ont une « fortune cachée » ; ceux-là aussi, le dollar a eu raison de leur nouveauté fictive. Il n’y a pas d’homo sovieticus, pas d’homo siniensis[3], pas d’ « homme nouveau » millésimé 1789. Mr Peillon est un hébreu renégat, traître au Décalogue ; il n’y a – infligeons-lui Céline – que la « réalité de l’énorme et avide asticot », la réalité du vieil homme qui se répète, morveux, monotone et morne, depuis la chute d’Adam, le vieil homme de la libido.

 

Qu’est-ce, me demandai-je l’autre jour incidemment (lecture de Gide ou de Mauriac) qu’une « rime léonine » ? Est-ce que Peillon/couillon serait une rime léonine ? A dieu ne plaise que je tienne pour un couillon notre ministre de l … Nationale. Ma morale m’interdit de traiter de couillon qui que ce soit, même un ministre. (Docile à l’enseignement évangélique je n’évalue jamais le fond – ni les fonds – de mon prochain). En revanche, déceler, dénoncer des couillonnades, cela, je ne m’en prive pas, à l’occasion. Il semble bien qu’ès couillonnades notre ministre de l … Nationale soit passé maître. Une de ses dernières en date[4] est à mon avis une tentative désespérée d’engendrer, au prix d’un nouveau brusque saut de l’histoire, cet « homme nouveau » [5]qu’à l’évidence n’a pas engendré l’année sans pareille 1789. L’homme nouveau se fera par l’école : il faut « être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel ». Le programme d’Hitler, de Pol Pot ! En sera-t-on capable ? On n’arrache à des déterminismes que pour y substituer d’autres déterminismes. Ce philosophe de paille aurait dû lire au moins Spinoza.

Mais un chrétien sait que l’homme nouveau ne peut naître que d’en haut, à ce prix seulement s’arracher un tant soit peu aux déterminismes. L’année sans pareille est pour lui, comme elle devait l’être pour le chrétien Thomas More, auteur de la seule Utopie qui ne soit pas une coquecigrue, celle du Buisson ardent. Dans le célèbre triptyque de Nicolas Froment ce sont la Vierge et l’Enfant qui flambent dans le buisson. L’année sans pareille est l’année inaugurale de l’ère chrétienne, année dans l’Histoire et hors l’Histoire, année toujours actuelle.  Da perfectae novitatis plena nobis gaudia , dit une hymne à l’Esprit-Saint. Ah ! Un tel langage est inintelligible pour un héritier spirituel de ce Buisson hargneux, dont le Moïse était Jules Ferry, qui programmait déjà la colonisation des consciences et envenimait déjà la laïcité en laïcisme.

Ultime recours de l’utopie à bout de ressources, la gender theorie, dont monsieur Peillon se fait l’avocat discret, insidieux, retors : l’école primaire comme melting pot, garçons et filles indifférenciés s’entre-titillant sitôt que sevrés, l’initiation, dès la maternelle, au libertinage, ne serait-ce pas le beau risque à courir pour la fabrique d’une humanité arrachée au déterminisme biblique et familial ? Arrachée, qui sait, par de nouveaux us et coutumes des c… et des c…, à tout déterminisme ? Vous ne savez pas ce qu’un Ministre de la Fornication Nationale peut faire pour vous.

 

GRAND REVE

 

Le onze juin dernier Direct Matin offrait à ses lecteurs une interview exclusive de Madame Vallaud-Belkacem arborant dès la première page un sourire socialiste et sportif aggravé sur son tee-shirt bleu d’ un coq présumé gaulois. Elle voulait dire des choses « aux Bleus », fort bien dites ma foi (en impeccable langue de bois) pages 10 et 11, illustrées chaque fois par une nouvelle photo d’elle. « C’est une chance inouïe », disait-elle aux Bleus, « de pouvoir porter les couleurs de la France ». « On croit en eux », ajoutait-elle. (Comme on croirait en Dieu). Et Madame Vallaud-Belkacem, fécondée par Oscar Wilde, se trouvait grosse d’un rêve suffisamment grand pour ne pas le perdre de vue (sic). Quel ? « Je rêve que la France soit en finale contre le Brésil ». (Cela imprimé en une frise de grosses lettres capitales). Mais pourquoi ne grandissait-elle son rêve, Madame Belkacem, jusqu’à envisager pour le 13 juillet 2014 une victoire comparable à celle qui le 12 juillet 1998 fut un épisode si glorieux de l’histoire de France que nul n’est censé avoir oublié où il se trouvait ce soir-là ? (Je me souviens en effet, bien résolu à m’en footre, m’être éloigné ce soir-là de tout écran, de tout tapage consensuel).

A quoi rêvent les jeunes filles ? interrogeait Alfred de Musset. A quoi rêve aujourd’hui une femme, foot-elle ministre, atteinte de cette « pandémie universelle de crétinisation des masses » que dénonçaient dans Le Figaro en juin 1966 deux universitaires courageux ? Mon rêve, pour rester dans ce registre de trivialité, est tout autre : que nos Bleus, étrillés par le Honduras la Suisse puis l’Equateur, se hâtent de plier bagages, non que j’en veuille le moins de coupe du monde à ces braves bougres (quoique entre leur coupe et mes lèvres il reste de la place pour un malheur !), mais plus tôt ils seront boutés hors, plus tôt nos médias cesseront de déconner à plein tube.

Un rêve suffisamment grand ! Est-ce ça, le grand rêve qu’on propose aujourd’hui aux Français? S’échauffer à un match de foot sur un gradin ou derrière sa télé ce n’est pas du rêve, c’est du décongelé de fantasmes : je dribble, je passe, je zidane, je zlatane, je shoote, hurrah ! Et me couche énervé. Ça, c’est la pandémie planétaire. Quant à la France, cette vieille dame est-elle si poussive qu’elle ne compte plus que sur le foot pour se refaire un blason ?

 

Le quantum quotidien de niaiseries crachouillées par les médias durant ce mois de footitude sera si énorme qu’on aurait matière bonne heure male heure pour cent épigrammes. Je me contente aujourd’hui

 

  • de noter le contraste prodigieux entre les moyens techniques déployés (notamment, up-to-date, la « Goal Line Technology ») qui sont à l’honneur de l’humanité inventive et l’abyssale futilité, la tapageuse vulgarité des cérémonies servies par lesdits moyens
  • d’imaginer (ça, c’est un grand rêve !) un président de la république française secondé de sa ministre des sports qui aurait assez d’esprit et d’autorité pour inviter ses concitoyens durant les heures de matches déterminées par la Fifa à une détermination rétorsive et curative – lecture des Olympiques (Montherlant), écoute de Sports et divertissements (Satie), récitation de mantras tibétains ou cantilation des psaumes. (Quel influx de réelle vigueur !)
  • de préciser que je ne me fais aucune illusion : ce petit pamphlet qui ne sera lu avec sympathie que par au mieux douze personnes est comme une goutte de détergent lâchée sur une fosse septique d’environ 200.000 mètres carrés.

SES SATELLITES

 

 

L’ALBESSE BLONDE

 

« C’était une furie blonde, et de plus une harpie : elle en avait l’effronterie, la méchanceté, la fourbe et la violence » (Saint-Simon)

 

Si par un accident presque aussi improbable que la rencontre sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie Caroline Fourest venait à lire cette « Brève » qu’en ma considération pour elle je fais un peu longue, qu’elle veuille bien me pardonner. Je ne l’étrille qu’à cause de la malchance qu’elle a de porter le même nom que l’auteur facétieux de La Négresse Blonde, et par manière de divertissement. Il eût été convenable d’intituler cette esquisse « la Blanchesse » ou « la Pâlesse » ou « l’Albesse » Noire. Mais à l’évidence C.F. n’est pas noire du tout, autant que « Wikipedia » la donne à voir elle est albe, pâle, blanche à souhait ; sa blondeur, quoique fanée, ne fait pas de doute. Sa physionomie rappelle celle de l’inquiétante Vierge prédatrice qui effraya Huysmans au porche de la basilique du Rosaire à Lourdes.

Caroline Fourest fut jusqu’à l’âge de quatorze ans formée ou déformée dans un collège catholique. Je suis persuadé qu’après quelques décennies de divagations coléreuses elle se repentira,  fera une confession générale, retrouvera la délicieuse fillette que je suis persuadé qu’elle fut. Cette Maud Gonne (je dis bien Gonne, avec un G) –référence à Yeats et l’Irlande  – se calmera, reprendra ses esprits, cessera de s’imaginer nécessaire à la réfection de cette « Gauche » dont elle a le mérite après Albert Camus de noter la déchéance (mais à la différence de celui-ci la naïveté d’espérer la rédemption), renoncera à se démener sur les estrades foraines et dans les défilés de rue, pliera les genoux devant le Saint-Sacrement, se taira enfin se taira ! pour le plus grand bien de la collectivité nationale et de l’espèce pensante. Cette prophétie n’est pas trop hasardée : « Internet » me donne d’elle une photo bouleversante où la pasionaria, déposé le masque de harpie, se montre dans l’ovale d’un visage aux traits paisibles et la vérité d’une pieuse et honnête jeune fille que l’on coifferait volontiers d’une cornette de nonne.

… Alors (si ma prophétie se réalise) elle saura ce qu’elle sait déjà au tréfonds de son être mais qu’elle camoufle sous un badigeon de réclames politiciennes, qu’une heure à prier lui serait plus profitable et à la planète que trois cents pages d’un bouquin truffé de vieux clichés. Alors (si ma prophétie…) elle comprendra que l’égalité telle que l’entendent les grenouilles laïques est l’iniquité même, un rouleau compresseur écrasant les différences donc annihilant la justice qui exige un ménagement délicat, subtil, astucieux des inégalités inévitables, en sorte que si par exemple on a l’infortune de n’être attiré sexuellement que par des personnes du même sexe il serait illicite de prétendre que l’on ait dans cette condition les mêmes droits (rationnels) au mariage et (fantastiques) à l’enfant que les couples constitués selon la règle commune d’un homme et d’une femme. Elle réapprendra par ailleurs son Histoire d’écolière, vérifiera que la devise républicaine, fondatrice de la France moderne et contemporaine, en ce qui touche à l’égalité n’a jamais eu, hormis la solennelle abolition le jour de la saint Jean-Marie Vianney des privilèges nobiliaires, la moindre application effective.

 

J’ignorais jusqu’à peu qu’il existât une C.F. Un entrefilet, dans un mensuel mal pensant, m’a révélé qu’elle accusait la France vichyssoise d’avoir exterminé 6 millions de Juifs. Six millions, diable ! On sait que le nombre de victimes juives fait l’objet d’un récurrent procès en révision. Entre les négasionistes comme on dit et les mégasionistes je ne balance pas. Une telle horreur devrait interdire les traits d’esprit. Mais, s’agissant de C.F. et de cette fascinante bourde – car « 6 millions », c’est le chiffre extrême, comparable à celui des koulaks massacrés sous Staline par la Russie léniniste, que l’on impute à la rage hitlérienne sur tout le continent – je me rappelai ce banquet des anciens du lycée Lamoricière où l’un de mes commensaux, accueillant sans sourciller le chiffre de 3000 victimes pour le pogrom du 5 juillet 1962 à Oran, me rétorqua, cependant que je lui susurrais que c’était tout de même un tantinet trop, qu’on a toujours avantage à d’abord exagérer. J’avais, environ deux lustres plus tôt, négocié à Kairouan l’achat d’un tapis de haute lice, le duel d’évaluation entre le vendeur qui exagérait dans un sens et moi dans l’autre mais ni moi ni lui ne passant la mesure s’était terminé à l’agrément de l’un et de l’autre : deux vainqueurs ! Serait-ce pas l’idéal dans toute confrontation, qu’elle soit savante, sportive, militaire ou syndicale ?

Ces « 6 millions » risquent de coûter cher à C.F. Du moins confirment-ils le jugement que, selon l’article de « Wikipédia », toutes sortes de gens, çà et là, portent sur elle, l’accusant de multiplier erreurs et mensonges : n’a-t-elle pas été récemment condamnée pour complicité de diffamation ? Je serais porté, moi, à une relative indulgence : ce chiffre évidemment erroné relève d’une rhétorique de l’hyperbole ; elle eût lâché aussi bien « 60 millions » si elle ne sentait pas d’instinct que l’hyperbole même ne peut passer certaine limite que fixent des données objectives (il n’y avait pas au temps d’Hitler 60 millions de Juifs dans le monde). J’essaie de la comprendre : il y a dans sa tête turbulente une suppuration de haines et une passion d’incriminer. Il faut à tout prix, au plus haut prix, fût-ce à un prix exorbitant, rendre la France détestable, infecter les Français d’une incurable culpabilité pétainiste, catholique et coloniale.

Inspectons le fond du pot. (Ce pot dont une héroïne de Proust, lesbienne déjà de choc, disait à sa compagne : « je vais te casser le pot »). La haine de Caroline, qu’on peut synthétiser en haine du Fascisme, cet avatar bon chic bon genre de Satan, dont les sept « esprits », pour parodier l’Apocalypse, sont racisme, antisémitisme, machisme, islamophobie, homophobie, misogynie, pédophilie, est en vérité, je le soupçonne, une haine de soi : elle hait la femme qu’elle est, l’amante d’un homme vraiment viril qu’elle aurait pu être, l’épouse, la mère qu’elle aurait pu être, la catholique, la française qu’elle ne laisse pas d’être ; elle hait sa tignasse raide comme ses principes dont la blondeur rappelle le cuivre des lèchefrites, son visage trop anguleux et vierge de spiritualité, sa carence patente de vertus d’écrivaine, la médiocrité de ses arguments en faveur de la démocratie et de la gaycratie ; elle hait enfin le fanatisme, l’intégrisme homosexuels dont elle s’est vêtue comme d’une camisole de force. Bref, elle hait son propre Fascisme, si évident quand on la voit sur des clichés imparables serrer de près serrée de près d’autres forçats femelles en état de combustion vaginale et d’éréthisme militant .

Albesse blonde, Albesse de Casse-pot, vous me faites peur. J’avais connu, dans mes vertes années, une autre Caroline, celle du Mariage secret, opéra dont je suis sûr que vous ignorez, Albesse, qu’il avait enchanté l’auteur d’Henry Brulard lequel ne se remettait pas d’avoir perdu très tôt sa mère elle-même prénommée Caroline. Vous m’effrayez, Caroline : à quel point l’obsession fanatique du féminisme peut altérer, défaire, faner, détruire, en un être féminin la féminité ! Quel accident de puberté vous a donc infligé cette danse de saint-guy permanente, cette chorée, cette logorrhée ?

Albesse de Casse-Pot, vous me faites peur. J’apprends, par « Wikipédia », que vous défendez mordicus, morbleu, « les libertés individuelles contre toute idéologie dogmatique, liberticide, essentialiste, raciste ou intégriste ». Ah ! Tombant sous le coup de ces imprécations je passe aux aveux : ne suis-je pas en effet un idéologue « dogmatique » (je récite chaque dimanche le Credo nicéen), « liberticide » (je priverais Caroline, si je le pouvais, de la liberté d’infester l’espace public de ses anathèmes), « essentialiste » (je crois à l’hypocheimenon d’Aristote et qu’il m’est essentiel d’être homme, essentiel à Caroline d’être femme,)   « raciste » (je préfère, blond aux yeux bleus, les brunes ou noires aux albesses et je suis donc pour les discriminations), « intégriste » (disciple de saint Paul je veux maintenir intact le dépôt de la foi et j’aime les hymnes latines) ? Alors, quelle chance aurais-je d’en réchapper, ogresse blonde « assise, toute nue, sur une peau de kanguroo, dans l’île de Tamamourou », si je tombais sous tes dents démocrates et cannibales ? Albesse, je t’apporte ici mon cœur et ma cervelle aussi, va bâfre tout….

« La société  … un enfer de sauveurs ». Nous ne voulons pas de l’infernal salut de l’Albesse blonde. Elle continue la tradition usée, éculée, épuisée de ce Tchernychevski dont l’inepte roman Que faire ? qui secoua Lénine, inspira à l’humoriste Rozanov la spirituelle réponse : « que faire ? » ramasser des baies en saison, en faire des confitures, l’hiver les savourer en buvant du thé vert. Oui, comme on les aime, ces êtres qui se dispensent de pratiquer l’amour du « Prochoix »[6] et se rendent précieux par ne s’agiter pas ! Il y eut jadis un agité du bocal qui se piquait de secourir les colonisés ou les prolétaires. Il y a aujourd’hui des agitées du boxon. Lesbiennes ? On le veut croire. Mais ça ne leur va guère si l’on en juge à leur vibrionisme. Imaginez-vous Saphô dans ces transes mentales ? Caroline, je vous croirais lesbienne en vérité, en volupté, si l’art des caresses profondes vous avait rendue sereine, séduisante, et dotée d’un style. C’est « l’âpre stérilité de votre jouissance » qui vous rejette dans une agitation de majorette et une prose de supérette. Où l’érotique échoue arde la politique. Mais vous ne guérirez pas la « Gauche » : on guérit d’un cancer, on ne guérit pas un cancer. Vous ne guérirez pas la « démocratie » : celle-ci est aujourd’hui incurable. C’est vous-même, Caroline, fleur fanée de jeune fille, qu’il importe de guérir.

… Chère Lesbienne, que ne te nommes-tu Lesbie ! Je t’aurais offert un moineau avec un petit poème de Tibulle. Mais puisque tu te nommes Caroline je ne me contenterai pas, en guise d’envoi, de rappeler combien la Caroline de Cimarosa, qui enchanta Stendhal, est de ces créatures d’opéra qui par la magie de la voix libèrent en tout individu capable d’écoute les harmoniques de la note intime la plus exquise. Une autre Caroline, hier découverte dans le « Figaro », me paraît jouir d’une de ces libertés individuelles qui ne s’épuisent pas en agitations et proférations stériles mais obtiennent dans la patience d’un honnête labeur de ces choses qui enchantent la vie humblement quotidienne : Caroline de Marchi ne travaille pas des concepts froissés, fripés, foireux (« gauche », « laïcité », « égalité », « démocratie »), mais des réalités sensibles, les cuirs, qu’elle élève, à l’école d’un artisan génois, à la dignité de petites œuvres d’art pour la joie des femmes qui n’ont pas honte de se croire des femmes.

 

 

NOTE CONJOINTE

 

Caroline Fourest a déjà beaucoup publié. Elle publiera beaucoup encore. La lire est une pénitence que je ne m’inflige, persuadé que sa prose, à l’instar de sa gesticulation, s’enlise dans les sables mouvants de l’actualité merdigère, que sa seule chance de bien écrire eût été d’ajouter un essai ou un roman à la littérature ( il est vrai trop copieuse et déjà obsolète) des femmes analysant leurs sensations vaginales et/ou clitoridiennes. Ce qui m’a poussé (comme on pousse, chez le Duc de Saint-Simon, une selle) à tenter, avec elle pour matière, cet exercice de style, c’est l’actualité luxurieuse du « mariage homosexuel » dont Caroline, qui n’en manque pas une, est évidemment partie prenante et propagandiste zélée. Que ledit mariage soit un monstre juridique, moral, cultuel, culturel, qu’il ne représente nullement une « liberté » heureuse à conquérir mais une agression haineuse contre le sacrement juif ou chrétien il n’y a pour en douter que des cervelles molles et je ne consacrerais pas dix secondes à le démontrer, ce travail étant admirablement fait par Anne-Marie Pourhiet, s’il ne m’était pas venu, un soir où je savourais quelques gouttes d’un petit vin des coteaux du Gers, une métaphore que je crois susceptible non pas d’agir sur les cervelles molles – elles sont incurables – mais de ragaillardir celles qui ne le sont point et leur fournir une espèce d’argument par l’image[7]. Désignons par le terme d’accouplement le pinard basique : s’accouplent les gays et les gorilles, les cochons et les cochenilles, etc. Le mariage ( la conjugalité, l’union de l’homme et de la femme scellée pour la vie en vue d’autres vies) est le grand cru de l’accouplement. Oser nommer « mariage » l’assortiment de deux verges ou de deux vagins, c’est un abus de langage, une fraude, une tentative malodorante de faire prendre de la piquette pour du château Peyrabon. Et pour tout dire en quelques mots, il me suffit de citer le pieux Tobie : « maintenant, Seigneur, tu le sais ; si j’épouse cette fille d’Israël, ce n’est pas pour satisfaire mes passions, mais seulement par désir de fonder une famille qui bénira ton nom dans la suite des siècles »

Qui bénira ton nom … Le dimanche 18 novembre l’Institut « Civitas » organisait à Paris un défilé familial de protestation contre l’ineptie du mariage « gay ». Quelques harpies, rassemblées en faisceau, s’attaquèrent par le brocard et le blasphème  à ces catholiques mal pensants; plusieurs d’entre elles s’étaient coiffées d’une cornette de bonne sœur, d’autres dépoitraillées, une des plus hardies, adoubée, encouragée par Caroline Fourest, levant le poing à la manière fasciste, exhibait entre ses seins une consigne tout hitlérienne : « Fuck God ». Foutre Dieu ? Ma belle espères-tu d’un éjaculat émouvoir le Mont Blanc ? Les vigoureux gaillards qui formaient le service d’ordre du défilé s’attaquèrent à ces tourmentées de la glande, les molestèrent. En cela ils avaient tort  … « que dirai-je aux insultes ? Ouïr ta voix ligure en nénie ô maman ! » … Mais par un de ces retournements perfides dont l’Opinion a le secret (de polichinelle) les médias s’empressèrent d’incriminer ceux-ci baptisés intégristes et de plaindre les harpies appelées victimes. Caroline exprima sur ordinateur son amertume d’avoir été traitée de « gouine ». Elle eut tort, car « gouine » est un vieux mot pour le moins aussi croustilleux que « gay ».

Le surlendemain une chaîne de télé présenta quelques images de ces harpies agressives et agressées, outrageantes et outragées. Selon l’éthique et la politique de l’équité, de l’égalité, il aurait fallu présenter en regard quelques images des fidèles de l’Institut Civitas. Nos médias sont hémiplégiques. Toutefois en l’occurrence je me demande si le reporter n’était pas un rusé fripon qui sous couleur d’exciter la pitié à l’égard de cette colonie de lesbiennes n’avait pas cherché à les rendre grotesques. Lesbos !… Je pense à la rigueur, à la sérénité, au talent, à la réserve, à l’écriture fine et forte d’une Marguerite Yourcenar. Je pense aux jeunes filles en fleurs de Proust, à la « petite bande », tant d’ébats délicieux sur la plage de Balbec, je pense au sismographe subtil de la volupté comme le déroule au fil de l’intrigue l’auteur de La Recherche, aux conséquences imprévisibles et heureuses de l’amour gomorrhéen quand il permet grâce au talent d’Andrée le déchiffrage du septuor de Vinteuil dont l’œuvre catholique se trouve sauvée grâce au libertinage de sa fille. Eh bien, si peu exercé que l’on soit à doubler du regard du Christ guérisseur son propre regard on ne peut voir ces fausses « libérées » que comme de pauvres filles en proie à un vilain petit diable, prises dans les rets de l’idéologie homo-sectaire, tristes chiennes d’un désir mal diverti en jappements revendicatifs, qu’il faudrait confier à un exorciste ou ridiculiser par un Aristophane. « L’Assemblée des femmes », c’est à cette comédie des ekklêsiastikai – ecclésiastiques privées de l’organe – que je pensai tout de go, voyant ces femmes se contorsionner en émettant des vociférations à caractère revendicatif. Mais c’est aux « Grenouilles » enfin que j’arrêtai mon choix, aux « Batraciennes » dont le fin mot, qui résume la logorrhée démocratique de Caroline Fourest, fin mot qui n’eut, n’a, n’aura sur le cours de l’Histoire pas plus d’effet que n’en peuvent avoir les productions de cette harpiste du répertoire Gauche Gay, est le fameux, l’intraduisible mais immédiatement intelligible par tout être animé, le redondant, l’obstiné, l’entêté, le frénétique brekekekex koax koax.

 

REPENTANCE

 

 

Je me suis bien amusé. Je dirais volontiers comme les Grenouilles que j’ai  « joué et raillé en vainqueur, méritant la couronne enrubannée » – paisanta kai skôpsanta nikêsanta tainiousthai -, victoire intime, ma notoriété étant à l’étiage, moi-même ne coassant qu’à fleur d’eau. A quoi encore me font penser ces vieilles gamines exhibant leurs mamelles dans une artère parisienne sous prétexte d’outrager des calotins ?[8] Aux « mamelles de Tirésias », et mon rire redouble. Brekekekex coax coax.

Cependant il ne me plaît pas d’avoir été médisant. La médisance, notait Cioran, est un sous-produit, je dirais plutôt un laxatif de la colère. J’avais eu motif à m’irriter contre Caroline. J’ai préféré, avec mes modestes moyens de satiriste, me moquer. Est-ce de bonne guerre ? Oui. Ce n’est que riposte à une virulente agressivité. Mais je crains qu’il n’y ait, dans mes jets de verve,   très peu de pitié, un rien de mépris. Suffit-il pour me disculper d’arguer comme je l’ai fait dans mon exorde que ce n’est pas Caroline en chair que j’agresse par mesure de rétorsion mais son image médiatique dont je me gausse, excité par son nom qui est le même que celui d’un délicieux humoriste ? Tout est venu de la négresse blonde : c’est Georges Fourest, la connaissance casuelle que j’en ai, qu’il faudrait mettre en cause. De même je brûle depuis deux ou trois saisons de faire un sort à Noël Mamère, non que ce viédase viride et vireux m’ait infligé le moindre mal, mais qu’il soit une sorte de Mère Noël et qu’à ce titre il ait sanctifié dans sa mamairie le mariage de deux mâles me met dans un tel état d’hilarité que je cours le risque tel madame Verdurin de me décrocher la mâchoire sans avoir sous la main un docteur Cottard pour me la remettre en place si je ne m’en exonère par une décharge de mots. N’importe, j’aurai beau invoquer le droit de rire tout mon saoul à des fins curatives, me taraude une parole dorée de saint Thomas d’Aquin :   « pardonner aux hommes, les prendre en pitié, c’est œuvre plus grande que la création du monde ».

Repentance ? Certes non. Ce mot traîne dans les égouts de la subversion subventionnée. Il implique l’accusation du prochain au bénéfice de la disculpation de soi. C’est toujours l’autre qui doit la corde au cou entrer en repentance. « Repentance », je ne puis employer ce terme que par persiflage. C’est le mal de Pott dont veut nous infecter le mauvais esprit ambiant. Je ne courberai pas l’échine, je ne me casserai pas. Repentance, non. Repentir, oui. Larmes du repentir après le rire aux larmes.

Cela exige une mise au point, le dépliement de l’esprit sur au moins deux portées. Pardonner n’est pas donner quittance. Il y a de l’impardonnable : « mariage pour tous », stupidité ; « gay pride », niaise infatuation ; usage abusif et captieux du mot « démocratie » ; haine du christianisme et négation de l’évidence que l’Europe est chrétienne en ses fondations … A ces bévues, balivernes, finasseries, mensonges, calomnies il n’est pas seulement licite, il est impératif d’opposer un NON radical, décisif, le tranchant évangélique du NON. Et ce NON doit bien viser des faisceaux de personnes. Mais la plupart de celles-ci sont pardonnables pour autant – je l’ai déjà insinué sur le mode de la raillerie, je le répète en clef de miséricorde – qu’elles sont des instruments plus que des agents. Le Christ s’écrie : « Père, pardonne-leur, ils ne savent ce qu’ils font » ; saint Paul souligne que nos ennemis sont les puissances des ténèbres ; saint Augustin précise que nous n’avons qu’un seul Adversaire, Satan. Si l’on ajoute que les chrétiens corrompus par le monde ont mérité dans une certaine mesure la haine que le monde leur voue en tout état de cause, l’on comprendra qu’après m’être diverti à étriller Caroline je sois enclin à me repentir non d’avoir dénoncé, déploré et moqué son fanatisme mais, conjurant mon ire, renonçant à mon espièglerie, de ne m’être pas situé dans le plan de sérénité où toute l’agitation des fils et des filles d’Eve vient se briser sur l’opus magnum du pardon.

 

NOEL MAMERE

 

Noël approche. C’est aujourd’hui dimanche 2 décembre. Par bonheur j’en ai fini avec Caroline Fourest, c’est-à-dire que je crois en avoir sur elle assez dit, lui avoir passé exactement la sorte de savon qu’à mon avis elle mérite, et maintenant je m’en lave les mains. A la fin des pages (de trop) que je lui consacre il y a une allusion à Noël Mamère ; cette allusion manque de grâce : «  viédase viride et vireux », écrivais-je. Pourquoi ce substantif, ces épithètes ? Parce qu’ils me tombèrent sous les yeux tandis que je consultais mon Littré. Voici, pour être franc et clair, ce qui se passa : Noël Mamère étant (selon notre jargon politique actuel) un « Vert » je voulais m’assurer dans le Littré que je pouvais le qualifier de viride. Le Littré s’ouvrit par Hasard (mais c’est le sobriquet, dit Chamfort, de la Providence) à « viédase », terme rare et précieux, injurieux et grossier, pour désigner un imbécile. Je n’hésitai pas une seconde : Noël Mamère ayant répudié la foi catholique, celle qui offre à ses adeptes le double bâton (baculum) du psaume XXII, le traiter d’imbécile allait de soi, ne comportait aucun risque d’erreur. Je dus tourner des pages avant d’atteindre celle où « viride » se signalait par son absence, seule y était admise la « viridité », état de ce qui est vert, de Noël Mamère définition, pour son pedigree sinon pour ses cheveux gris, à peu près exacte. Mais un malin génie me fit revenir un tantinet en arrière, je tombai sur « vireux » – « qui est doué de qualités malfaisantes »-, épithète censée ne s’appliquer qu’aux « substances végétales » mais un « Vert », acolyte de surcroît de José Bové, n’est-il pas une manière humaine de substance végétale ? Voilà donc, en toute franchise, comment fit irruption dans mon hommage à Caroline Fourest un Noël Mamère en viédase viride et vireux. (On notera qu’à « vireux », qu’on peut tout de même contester, ce serait enfance de l’art que de substituer « véreux » dont la véracité ne fait aucun doute car on n’imagine pas ce Girondin sans « quelque vice secret » et il est notoire que son « cas » une fois ou l’autre – Pellerin, à la barre ! – ne fut pas hors de tout soupçon). Ce fut un coup de hasard, une facétie verbale, en aucune façon un propos mûri.

Je redis donc pour Noël ce que j’ai dit pour Caroline. Outre que le tréfonds de mon esprit est une oasis d’indulgence plénière, quelles que soient leurs sottises et quelle que soit ma sotie je ne mets nullement en cause leur être personnel, leur délicieuse et délébile singularité, l’accent absolument unique de ce qu’ils sont au regard de leur Ange et de Dieu. Ce n’est pas avec eux que j’ai affaire, mais avec leur apparence de papier ou d’écran, le « on-dit » médiatique, le personnage social qui fatalement a quelque chose du paillasse ou même n’est rien qu’un paillasse. Pour l’une comme pour l’autre – et l’on en dirait autant de cent et cent individus que leur entrée dans l’arène publique place sous les projecteurs et durant un ou deux lustres fait des utilités « incontournables » du grand Cirque de l’Opinion – le vibrionisme de la chiacchierata est constitutif du rôle qu’ils jouent : ils parlent, on en parle ; ce ne sont plus que des nœuds d’interférences langagières. Il y a là dans nos démocraties – qu’on me pardonne de le dire – un scandaleux détournement de l’attention sur des futilités. Certes il arrive que certaines décisions politiques soient déterminantes sur le cours de l’Histoire. Qui déclencha la première, la seconde guerres mondiales ? Comment grâce au fanatisme de Clémenceau (celui-là, le « père la victoire » qui fut aussi un père l’hécatombe, on le pointe sans hésitation) refusant de traiter avec François-Joseph notre pays perdit environ 700000 hommes en sus– une peccadille. Dans ces jours de décembre 2012 où j’essaie de saisir Mamère dans ma toile de mots l’on ergote beaucoup à propos de « Mittal » et de l’acier, on se demande qui, de Montebourg ou Ayrault, emportera le morceau, et il est vrai qu’arracher ou non à un magnat de l’Inde, nationaliser ou non Florange, c’est le destin de milliers d’ouvriers peut-être qui se joue. Avançons sans grand risque d’erreur qu’une fois sur cent, pas plus !, la politique et sa vassale la presse (à moins que ce ne soit l’inverse) ont un réel effet sur le cours des choses ; voire, un philosophe engagé, tel « BHL », stimule parfois un Président Sarkozy à intervenir contre un despote des Syrtes, et le résultat est patent : mort le Colonel Kadhafi, de la Libye chaotique s’échappent des milliers d’hommes et d’armes qui permettent à une clique islamiste de s’emparer de Tombouctou, puis l’on décide ou non pour l’en chasser d’une vaste coalition africaine appuyée par la France. Je laisse entendre par ce dommage « collatéral » – le mal troqué contre le pire – que l’on ne sait jamais, en langage péguyste, pour qui marchent les légions. Les vrais événements de ce monde, ceux qui constituent réellement dans l’ordre technique et matériel un progrès, pour la plupart ne sont ni militaires ni politiques : qui ne le sait ? J’énumère au petit bonheur : la lunette astronomique, la machine à vapeur, le double échappement du pianoforte, le cyclotron, le radar, le réacteur nucléaire , l’IRM, l’ADN, qu’est-ce, auprès de ces prodigieuses inventions, le caquetage politique de nos édiles et éditorialistes, de nos ministres et présentateurs du journal télévisé, de nos plumitifs à la solde de la Phynance et de nos présidents vire-au-vent ?

Je reviens après cette petite digression (dont la banalité me fait honte) à Caroline et à Noël, à la quasi nullité de leurs positions publiques et de leurs productions mentales. Roulant mon tonneau de calembours et de calembredaines je ne suis pas plus futile et inutile qu’ils le sont, et j’ai sur eux, je crois, l’avantage d’abord de le savoir, et puis de savoir aussi que les seuls êtres humains véritablement opératifs sont ceux qui ou bien s’abaissent par amour au ras et au service des plus pauvres ou bien ont une chance, s’élevant eux-mêmes vers l’Un (Plotin) ou le Dieu (Augustin), d’élever ipso facto, si peu que ce soit, le niveau général de l’espèce ; je salue aussi avec enthousiasme les vrais artistes, eux aussi des élévateurs de niveau. Enfin qui serait assez stupide pour douter que Diogène, tous comptes faits, n’ait mieux qu’Alexandre servi l’humanité ? Et encore – j’enfonce le clou – qui, doté d’une intelligence déliée et discriminante, ne serait pas suffoqué d’indignation à la pensée qu’une Caroline (Fourest), un Noël (Mamère) suscitent plus d’intérêt dans la communauté nationale qu’une Florence Delay ou un Yves Bonnefoy ? Je ne parle pas des nombreux savants qui honorent le génie français, auxquels l’Opinion crétinisée par les médias préfère le moindre fouteur de première division.

Ah ! je divague. Pardon ! pardon ! C’est Mamère, tout Mamère, rien que Mamère, Mamère mis en sotie, en momon, c’est Mamère qu’il nous faut. Mamère, donc. (Mamère en momon, pas mal !). Quels éléments de ce momon, de cette sotie, me sont, à cette heure, disponibles ? Déplions, ouvrons l’éventail des paragrammes possibles, du moins de ceux qui me viennent en tête tout de go : se présente d’abord (je suis un fan de Ravel) Ma Mère l’Oye, conséquemment (sans délai) je me reporte à l’article oie du Littré où je découvre que la locution « faire des contes de ma mère l’oie » vaut pour « dire des choses où il n’y a nulle apparence de raison et de vérité » – cela servira. La petite-oie ? la grande-oie ? Pudeur démocratique oblige : soyons discret sur cet article. En revanche le couple Monpère l’Oye ( ??) et Mamère porteuse (oui oui) pourrait avoir de l’avenir. Mamers en langue osque est le nom du dieu Mars, ses fidèles sont dits les Mamères-tins (comme on dit les lauriers-tins), mais on nomme pareillement, aujourd’hui encore, les habitants de Mamers, bourg sarthois. Mamercus fut tyran de Catane, traître il passa aux Carthaginois, Timoléon le battit, l’abattit. Bravo, Timoléon, je vous élève sur le grand pavois. Saint Mamert ….y aura-t-il un saint Mamère ? On doit à saint Mamert les Rogations : il ne serait pas concevable qu’un Vert invétéré, si allergique fût-il à la piété catholique, boudât des prières processionnelles si évidemment dites pour le bien des productions de la terre. La Mamertine, dont la salle inférieure est construite en blocs de pépérin (qu’est-ce, le pépérin ? doit-on le discriminer du mamérin ? Le mamérin, est-ce que ça existe ? Le nie mon ordinateur, qui s’empourpre d’ire) …. la Mamertine, eh bien c’est la prison idéologique où Mamère enferme les suppôts de sa doctrine, c’est-à-dire les Verts qui, soumis au dogme écologiste, deviennent vert-de-gris et se trouvent ainsi passibles de ce distique – « Parce que vous mêlez à la cire des cierges   Votre affreux suif vert-de-grisé » – des Châtiments.

 

Tel est le matériau littéral. (Je répète que l’homme ne m’intéresse d’abord ensuite et enfin que par la conjonction sidérante et hilarante de son nom et de son prénom). Ajoutons-y, avant de touiller le tout, quelques éléments biographiques, de ceux qu’expédie « Wikipédia ». à la va-comme-je-te-pousse. (C’est peu, mais cela me suffit). Noël Mamère est né (on l’eût deviné) un 25 décembre, dans une famille de commerçants « catholique de droite ». Brrr… Il sentit très tôt, quoiqu’il eût reçu sa première éducation chez les Jésuites, que la crèche, Marie Vierge, Joseph cocu présomptif, l’enfant Jésus, tout cela était de la grosse blague pour petits bourgeois casaniers, grippe-sous et attardés mentaux, que la raison, la vérité, la justice, l’avenir étaient à « gauche ». Aussi, le 21 avril 2002, fut-il parmi les choristes les plus remarqués du chœur de pleureuses qui célébraient les obsèques politiques de Lionel Jospin en vociférant les nénies de règle dont le leitmotiv était l’imprécation rituelle contre Jean-Marie Le Pen. Depuis, il n’a rien manqué des attitudes, postures intellectuelles, positions de pouvoir qui, si l’on prend le fin de la chose, sont toutes indexées sur la volonté de n’être plus ni « Noël » ni « Mamère » (assujetti par cette ridicule fiche d’identité à la France la plus calotine) et, le demeurant pour l’état civil, de le proscrire absolument par les partis pris. Aussi ne se tromperait-on pas, ou que peu, en le voyant doté de toute la layette de ces énoncés « citoyens » qui sont les langes de l’homme de « gauche », cet éternel nouveau-né aux coquecigrues d’égalité et de fraternité. Je retiens seulement qu’il se prononce contre la discrimination homophobe, pour la légalisation de la GPA, « gestation pour autrui », compatible (qui en douterait ?) avec l’IVG sauf au cas où celle-ci devenue la norme exclurait le recours aux mamères porteuses. Je note encore que, chaleureux partisan du vélo, là réfractaire au GPS (gouine pute salope), on lui prête, mais j’ai peine à le croire, une dévotion pour … le Hollande (avec réserves), surtout pour la Hollande comme la décrit La Chute, peuplée de Lohengrin filant rêveusement sur leurs noires bicyclettes – il est fou, paraît-il, de cette séquence, Mamère, et je l’en loue, ça lui fait honneur car c’est du grand Camus.

 

Mais pourquoi tourner autour du pot (ce pot dont, à propos de Caroline F., je disais que le casser, fémininement parlant, était – ou se le faire casser – une des propositions choc du lobby lesbien) ? Noël Mamère se signala le 5 juin 2004, quoique lui-même marié le plus civilement du monde à Barbara Pompili par accoupler solennellement en sa mairie deux verges mâles (pardon, deux verges, ça suffit). Cette audace lui valut l’approbation d’un philosophe alors bien en cours. Jacques Derrida, interrogé par Jean Birnbaum, confessa avoir soutenu « de sa signature sans hésiter l’initiative bienvenue et courageuse de Noël Mamère » mariant deux hommes : c’était une première en notre pays, quelque chose comme l’Annapurna vaincu. Noël Mamère, encensé par le penseur de la différance, devenait le Maurice Herzog du Bou Kornine de l’accouplement. Mais le philosophe, lui, vendait la mèche, tirait au clair ce que le député-Mamère n’eût osé avouer, peut-être ne s’avouait pas. Rappelons : Noël, Marie-Joseph le modèle monogame, Jésus-Marie-Joseph la sainte famille. C’est cela qu’il s’agit de proscrire, « cette équivoque ou cette hypocrisie religieuse ou sacrale », le « mariage » (n’oubliez pas les guillemets) chrétien, son prototype et l’enfant de Bethléem son fruit détestable. Seuls, paraît-il, les chrétiens (quelle sale race !) sont monogames, les juifs ne le sont devenus qu’ « au siècle dernier » contraints par l’Europe chrétienne, les gens de l’Umma sont, eux (leur chance !), exemptés de cette calotine obligation. Si je me piquais de me dérider aux frais de Derrida j’ironiserais sur la chattemite qui après avoir vilipendé le « mariage » prétend que pour le « ma-riage » (chichi de cette déliaison !) son « respect est d’ailleurs intact ». Mais c’est le seul Mamère ici, et le Mamère officiel, public, laïque, que j’appréhende, menotte de mes railleries, mène à la Mamertine de ma gouaille.

 

Eh bien, puisque c’est le mariage gay qui m’a conduit au député-maire de Bègles, insistons sur le sujet. Et, au scandale de mes lecteurs bien-pensants (c’est-à-dire mal-pensants selon l’idéologie Mamère), venons-en à faire amende honorable, venons-en à une palinodie. Je me prononçai résolument jusque naguère contre l’accouplement légalisé de deux verges, disais-je, ou de deux … Mais je me suis souvenu que l’éminent Maurice Godelier, penseur à la cheville duquel ne se hausse pas mon crâne de chrétien obsolète, arguait en faveur dudit mariage gay les pratiques sexuelles de nos « cousins » bonobos ; ceux-ci, soulignait-il, ne répugnent pas à se satisfaire entre mâles ou entre femelles ; à preuve, ajoutait-il, celles-ci sans vergogne s’entre-caressant la vulve. Diable ! me dis-je. Elles en ont de la chance, ces femelles. Se caresser la vulve, elles, et …pourquoi pas moi ? Enfin, entendons-nous, à défaut de vulve, ce sera … Il n’y a aucune raison que là où l’espèce simiesque raffine dans la luxure l’homo sapiens y échoue. Je me rappelai avoir écrit en quatrième de couverture d’un livre clandestin : « la proposition « l’homme descend du singe » n’est qu’une demi-vérité, la proposition « l’homme descend au singe » risque fort de devenir une entière et atterrante (ou hilarante) vérité ». Je ne savais pas alors que descendre au singe, comme je l’écrivais par malice, ne constitue aucunement une régression mais une libération des vieux tabous judéo-chrétiens. L’accouplement (intellectuel), dans ma chambre mentale, de Noël Mamère et de Maurice Godelier m’arrache à mes certitudes désuètes. Je sens bien que le vrai progrès n’est pas dans la « diminution des traces du péché originel » comme le croyait le fanatique Baudelaire mais dans la possibilité de forniquer à loisir, en tous sens, en toute occasion, si possible en évitant la catastrophe d’une grossesse.

Car là est l’enjeu, là s’impose Noël (Noël !) Mamère en tant que personnage conceptuel. Noël (sans Mamère) fut, durant la période chrétienne de l’Histoire, la fête excellemment de l’enfance, de ces enfants dont l’Evangile dit que leurs anges ont la face tournée vers le Père. Mamère Noël ne l’entend pas de cette oreille, je veux dire de cette oreille virginale qui se prêta au souffle spirituel de l’Annonciation. Dans la ville mamertine où je réside la « foire de Noël » (est-ce selon la directive de son Mamaire ?) a évacué la crèche ; au diable, vilain petit Jésus ! En revanche le Papère Noël y fait florès, doté d’une barbe à faire bander les salafistes. Le député-mamère de Bègles s’est inquiété des atermoiements du Président Hollande soupçonné de ne pas approuver à fond de chausses la légaylisation du mariage  ; nous avons, susurre-t-il, « la main tremblante quand il s’agit d’avancer vers une société plus juste ». Main tremblante ? Ne savez-vous donc pas où la mettre ? Consultez Michel Onfray. La société plus juste, on l’aura compris, est celle de l’entregent des verges et des vulves : solution radicale et d’avenir si l’on veut se préserver du mal d’enfants. Le poète des Destinées la préconisait dans sa Colère de Samson : « La Femme aura Gomorrhe et l’homme aura Sodome, Et, se jetant de loin un regard » /ici Vigny sur son brouillon hésite : alité ? excité ? sagitté ? éclaté ? dilaté ? … je suggère … de gaieté/, Et se jetant de loin un regard de gaieté Les deux sexes jouiront chacun de son côté ».

Monsieur Godelier, dont multiples furent les fonctions, multiples les distinctions, est docteur honoris causa de Louvain la Neuve, ou la Vieille, n’importe ; je ne le suis pas même, moi, fonctionnaire de petit format très peu distingué, de l’Université de Bézaudun sur Bise. Monsieur Godelier a été plusieurs fois chargé de mission en Papouasie. Je suppose que c’est là-bas qu’il a appris que nous avions beaucoup à apprendre des Papous et plus encore des primates. Ainsi se confirme le dicton : un peu de science éloigne des singes, beaucoup de science y ramène. Noël Mamère, sensible aux leçons de tels savants ferrés à glace sur l’anthropogénèse, a (locution plaisante, aujourd’hui périmée ?) « viré sa cuti ». Au temps où, n’ayant pas viré, j’étais encore chrétien, c’est-à-dire prisonnier du Dogme et donc réactif, rechigné, j’aurais ri, au risque d’être méprisant, de ces ex-baptisés qui exterminent en eux l’enfant de lumière et appellent sur eux et sur leur cité le feu qui consuma les villes maudites. J’appelais alors clafoutre cette idéologie de la libération sexuelle, c’est-à-dire de la dépendance servile à l’égard du sexe et de l’addiction à la luxure, quel que fût par ailleurs le partenaire choisi. « Occupe-toi de ton cul », consigne qu’on pouvait lire sur le poitrail d’une lesbienne exaltée le 18 novembre dernier, me semblait définir assez exactement la sorte de progrès qu’on pouvait attendre d’une société en dévoiement : principe entropique, me disais-je, tout au rebours du principe anthropique ; slogan d’une société qui se croit avancée parce qu’elle fait du tête-à-cul son Théétète mais qui ne l’est qu’à la manière de la figue ou du poisson qu’il n’y a plus qu’à mettre à la poubelle. Je veux Noël, eussé-je crié alors, sans Pépère ni Mamère !

J’ai changé. Je suis converti.

Je m’avance désormais « vers une société plus juste ».

Bon Noël, monsieur Mamère, bonobo Noël !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

GENDER STU(PI)DI(TI)ES

 

   « La consternation (Spinoza, Ethique, III, 42) se dit de celui dont le Désir d’éviter un mal est réduit par l’étonnement du mal dont il a peur ».

   J’ai déclaré naguère, au prix de quelques phrases facétieuses, combien j’étais consterné par Caroline Fourest, Noël Mamère, François Hollande. Qui les aura lues aura compris que le mot « consternation », s’agissant de crever de rire aux performances de ces deux loustics et de cette fée, était impropre. Il l’est encore ici. Certes, c’est encore d’un mal qu’il s’agit. Mais en suis-je étonné ? Non, dans l’état de désagrégation intellectuelle et spirituelle où se trouve, depuis des lustres, le pays, c’est la survenue d’un bien, quel qu’il soit, qui serait étonnante. « Il y a étonnement », écrit Spinoza, « quand à l’imagination d’une chose l’Ame demeure attachée, parce que cette imagination singulière n’a aucune connexion avec les autres ». Or les images de suicide de l’Europe et en première ligne de la France qui nous sont proposées depuis que l’avortement légal et rémunéré passe chez nos maîtres-penseurs pour une (sic) grande conquête du siècle se succèdent selon une programmation volontaire ou involontaire, mais visible dès que l’on s’avise simplement de voir. L’idée d’effacer la différence sexuelle en la subsumant sous la notion équivoque de « genre » est en étroite connexion, du moins chez nous, avec la toute récente décision d’étendre le concept de mariage à tout assemblage de deux chairs consensuelles, si bien que l’on assiste, outrepassant la norme provisoirement fixée, à des vœux d’union légalisée entre un homme et son chien, une femme et son ordinateur, moi-même décidé à consacrer prochainement devant un maire mes épousailles avec la vieille et jeune Chloé, mon excellente voiture, mon indéfectible Peugeot qui depuis bientôt vingt ans m’aura donné des joies telles que l’insertion la plus voluptueusement étudiée d’une verge entre les plus exquises des fesses risque fort de ne pas les égaler. D’autre part ai-je désir d’éviter un mal ? Non. Ce mal est inévitable. Il serait aussi fou de désirer l’éviter que d’éviter une éclipse prévue de lune ou la survenue annoncée d’une comète. Rien ne peut s’opposer à l’effondrement d’une société qui, au paroxysme de son délire qu’elle imagine faussement dionysiaque et qui n’est que priapique, prend pour modèle les cités bibliques de Sodome et de Gomorrhe fondues en une mégapole de la partouze exorbitée. Quant à la peur (timor) ou à la crainte (metus), dit encore Spinoza, il me semble que je l’exorcise par cet exercice précisément de spécieuse consternation qui devrait en vérité – mais la vérité a cessé d’avoir cours dans notre monde logomachique – s’appeler, cabrioles de phrases gaies sur un tas de prônes égalitaires, exercice de jubilation.

    

 

 

   LA THEORIE DU GENRE   LES THEORIES DU GENRE

   LE CONCEPT DE GENRE   LE BON CHIC BON GENRE

 

 

 

AUBADE GUILLERETTE        Je n’aurais sans doute pas essayé de me fourvoyer dans le débat héroï-comique autour de la notion de « genre » si je n’avais appris incidemment qu’en Suède, pays de toutes les innovations, un universitaire d’Uppsala avait proposé pour éviter la distinction classique entre « il » et « elle » (« han » ou « hon ») le recours à un terme neutre, « hen ». L’article du Figaro où il tre de l’ « on classique entre « ù il était fait mention de cette avancée décisive dans le combat contre la discrimination sexuelle notait que c’est la ministre de l’Egalité qui la première avait imposé le « hen » à l’Assemblée plénière du Parlement.

Je fus aussitôt saisi d’un fou-rire homérique et britannique. Homérique, car incontinent je me rappelai que « hen » c’est une transcription possible du neutre « un » en langue grecque, et « Un » dans la philosophie plotinienne étant le prédicat du Bien j’imaginais la progéniture scandinave, garçons et filles confondus, toute exaltée au-dessus de toutes les contingences physiologiques et libidinales, sublimement indifférenciée. Mais fou-rire britannique aussi, car je dois à la vérité, qui peut être triste (ainsi pensaient Nietzsche ou Renan), de représenter à mon lecteur que le « hen » anglais, d’usage plus ancien et plus répandu que celui d’Uppsala, joue à celui-ci le plus pendable des tours : «  a hen is a female chicken », « the female of any bird can be referred to a hen ». L’universitaire d’Uppsala n’y aurait-il point pensé ? Ou, ironiste subtil, n’aura-t-il pas voué à un éternel ridicule – au   « viens, poupoule, viens, poupoule, viens »- ce monosyllabe captieusement conçu pour promouvoir l’unisexe ?

Un détour par les gallinacés ne sera donc pas ici de trop. Gallinacés, du latin gallinaceus, de gallina, poule, de gallus, coq. Dans l’optique suédoise seul le terme gallinacés, incluant poule et coq, serait idoine. Parler à des enfants de poule et de coq ce serait leur suggérer une disparité des rôles qui par voie de conséquence risquerait de réactiver dans leur conscience la vieille idée qu’ils ne sont pas « hen » mais « han » ou « hon ». Je dis qu’il faudrait éliminer les mots « poule » et « coq » de notre langage, y substituant par exemple « gallinacé 1 » et « gallinacé 2 » comme il faillit se faire – « parent 1 », « parent 2 » – pour la famille humaine, mais ce n’est pas suffisant. Qu’un momichon ou une momichonne mal surveillé tombe sur un poulailler et s’y intéresse, il ne tardera pas à y découvrir des jeux de rôle non interchangeables, le personnage à éperons et barbillons ayant la fâcheuse coutume de couvrir assez brutalement sa partenaire. N’ergotons pas : toute espèce animale où de tels jeux de rôle sont patents devrait être exilée des lieux de la planète – qu’on espère en voie de se multiplier – où « han » et « hon » sont remplacés par « hen » ou termes équivalents.

J’ai nommé Plotin : ce très subtil penseur utilise à fond dans la langue grecque qu’il manie en virtuose les ressources du neutre ; ce neutre est souvent dans le contexte difficile à imputer mais désigne d’ordinaire une catégorie transcendante ; le traducteur précise : le Beau, ou le Bien, ou l’Intellect. Mais ne vaudrait-il pas mieux qu’il ne précisât point ? Le neutre suédois est une création linguistique qui a précisément pour objet de proscrire la précision. Il fait de l’indétermination une tactique transcendante : Masculin et Féminin se résolvent, se dissolvent ou se camouflent en un être indéterminé et qui doit, même dans les parties fines, rester tel. Hen ? Oui, c’est Hen, je vous en conjure, retardez le plus possible, s’il se peut sine die, la navrante découverte que cela n’est qu’un garçon ou une fille, un mâle ou une femelle[9]. L’idéal serait qu’en toute rencontre je ne sache plus à qui j’ai affaire et que je sois sexuellement disposé à faire affaire avec qui que ce soit comme que ce soit. Car, on l’aura bien compris, la finalité de cette révolution linguistique et anthropologique étant de placer le commerce charnel, qui est le fin du fin, non plus sous le signe odieux du QuodvulVit mais sous celui du plus versatile ad libitum.

 

BRANLE (prophétique ?)         Cicéron remarquait qu’il n’est sottise au monde qui n’ait trouvé un philosophe pour s’en faire le porte-plume ou le porte-voix. N’importe quelle extravagance, il est vrai, peut trouver des arguments et un interprète. La raison est ployable à tous vents, notait l’auteur des Essais. Flaubert, avant de composer un Dictionnaire des idées reçues, s’appliqua par trois fois dans son Saint Antoine à dresser un catalogue des bouffonneries hérétiques dont avait souffert l’orthodoxie chrétienne. J’ai moi-même un faible pour les artotyrites qui complétaient le pain du sacrement eucharistique par du fromage et – ceci touche à notre sujet – admettaient des prêtresses. Le vingtième siècle n’a pas été en reste pour la fabrique d’idées folles et de mensonges saugrenus. Le « genre » – théorie ou théories ou concept -, qui jusque naguère était une notion philosophique ou grammaticale dont les remous ne concernaient qu’une aristocratie de penseurs, est devenu aux environs du chaud mai 1968 une solfatare de violentes ébullitions sophistiques, féministes et plébéiennes. Son dégazage est aujourd’hui parvenu à un point critique. Bientôt ce ne sera plus qu’un cratère de Plomb.

 

 

GAILLARDE I (dans une quinte de rire)

 

Il fut une période où je ne croisais pas un être, masculin ou féminin, sans m’énumérer en un flash mental ses composantes, et, comme de bien entendu, surtout lorsque l’on a quelque peu entendu la leçon freudienne, il me plaisait de lui attribuer ou de lui refuser l’organe distinctif dont pouvait s’enorgueillir ma virilité. L’avoir, ne l’avoir pas était, dans mon esprit, une détermination décisive, dirimante et, bien sûr, je me flattais d’être de ceux qui l’avaient, l’ayant jouissaient d’un plus-de-jouir dont se targuer. Bref, j’étais un virtuel macho que seule une éducation puritaine avait préservé d’exercer un naturel talent de séducteur et qui aurait jugé humiliant de s’infatuer d’une « maîtresse » tant il se sentait en droit et devoir d’exercer une domination. Les attributs traditionnels que la société assigne à chaque sexe facilitaient dans la vie courante, sur la voie publique, la discrimination : l’être nommé fille ou femme avait une coupe de cheveux, une tenue vestimentaire, voire un attirail qui le distinguait immédiatement de son congénère à braquemart. Celle-ci, me disais-je, ne l’a pas : celle-ci, j’usais incontinent du genre féminin. Celui-là, l’a : celui-là, c’était le mâle, peut-être même le surmâle. Avec celui-là je me sentais spontanément des affinités, une connivence gaie, égrillarde. C’était un mec. Mon petit dictionnaire du français argotique m’avait confirmé dans la certitude qu’entre le mec et la nana il y a un monde de différences et je ne doutais point que les différences anatomiques ne dussent entraîner des différences physiologiques, psychiques, morales, voire spirituelles. Il est superflu d’ajouter que j’étais, comme la plupart de mes semblables, quelque peu effarouché par cet autre moi si autre que moi qui sous sa jupe, sa robe, son jean ou son string dissimule un vide là où je me pare d’un vit. Le sexe, à l’évidence, si peu évident fût-il, n’était pas un marqueur de la division sociale, mais une donnée biologique immédiate : le féminin se distinguait du masculin aussi clairement que la lune du soleil.

(avec un grain de sel)     J’emploie dans cet alinéa l’imparfait de l’indicatif par politesse ou hypocrisie (l’une et l’autre s’entendent comme larrons en foire). Je feins de penser que je ne pense plus comme auparavant.   Mais le barattage contemporain du concept de « genre » n’aura eu sur moi aucune conséquence caséeuse et calamiteuse. Le « genre » ne précède pas le sexe : la réalité du sexe est une donnée immédiate de l’expérience la plus commune ; on ne le produit pas, on ne l’institue pas. On naît homme ou femme : c’est ainsi. La liberté ne consiste pas à faire semblant de n’être pas ce que l’on est mais à devenir ce que l’on est en développant toutes les virtualités de son être, indexées sur le Bien. Voilà du moins ce que je serais tenté de dire par foucade, par « bravitude » en langue Royale, si je n’étais averti du caractère obsolète de telles assertions.

L’unisexe, si c’est bien cela qui est visé par les innovateurs, et je crois que c’est en effet bien cela, pourrait avoir pour emblème la licorne, et son poème-mascotte serait celui de Rilke, si hélas l’auteur des célèbres sonnets orphiques n’avait écrit : « o dieses ist das Tier, das es nicht gibt » – « ô voici l’animal qui n’existe pas » ! Mais les techniques actuelles, dont il est raisonnable de soupçonner qu’elles sont en voie d’infini développement, autorisent à penser que Rilke s’est trompé, ou plutôt qu’il ne s’est pas trompé, la suite du poème assurant que «weil sie’s liebten, ward ein reines Tier » – « parce qu’ils l’aimaient un animal pur naquit ». Pur ? C’est à discuter. Né ? Il est encore trop tôt pour le dire. En voie de naître, c’est évident si l’on se réfère aux modes vestimentaires, telles, aujourd’hui, dans les pays émancipés de la tradition, que si l’homme hésite encore à porter la jupe la femme se plaît au jean. Mais l’animal (unisexe) sera né véritablement le jour où les organes distinctifs seront convertibles ou contraints à l’indistinction. S’il s’agit de rendre douteux au bénéfice du genre les signes physiques de la sexualité deux options se présentent : soit exhausser le clitoris, qui en est une ébauche, en pénis, mais à ma connaissance la plus dure des drogues, la plus habile des greffes n’ont pu à cette heure obtenir un tel résultat, soit – ce qui est de pratique séculairement courante – délester le mâle de ses bourses et de son chibouque. La solution ne serait-elle pas alors, en lieu du fabuleux unicorne, l’eunucat universel ? Un homme châtré est presque une femme. Qu’on se renseigne, si l’on en doute, auprès du grand Turc ou des grands managers du pèlerinage mecquois. Mais ce n’est pas exactement l’unisexe qui est la lune des fous du Genre, c’est la transsexualité : l’idéal, pour autant que je ne me trompe, serait non tant de se décider une bonne fois en toute liberté, exorcisée la contrainte natale, pour une façon de vivre féminine ou masculine, que d’avoir à son gré comme la lune des phases ascendantes de libido pénienne et des phases descendantes de libido vaginale, ce que les prouesses d’une chirurgie éthique additionnée à la chirurgie esthétique devraient dans un proche avenir, tant s’accélère le progrès, rendre peut-être même physiquement possible. Car n’importe quel homme peut jouer des rôles de femme, tout encombré qu’il est de ses affûtiaux virils, et n’importe quelle femme peut jouer des rôles d’homme si atrophiée que soit sa verge virtuelle, mais comme la mutation serait plus convaincante si le corps était convenablement instrumenté ! L’ablation du pénis et des testicules ne pose aucun problème. Les récupérer en revanche, après qu’on s’en est débarrassé, ou en gratifier une vulve, voilà le grand défi. Mais j’extravague … les hormones étant de longue date ce qu’elles sont et la médecine étant aujourd’hui ce qu’elle est il est désormais facile de donner par inoculation d’oestrogènes une paire de mamelles à n’importe quel Tirésias et de transformer par inoculation de testostérone n’importe quelle Jocaste en as de la pédale.

 

(cristallin)     L’épisode fort connue de Bruce/Brenda Reimer n’est pas, à vrai dire, très encourageant. Le docteur Money, qui crut illustrer la doctrine du genre en intervenant à plusieurs reprises sur le pauvre garçon changé en femelle puis reconverti en mâle, au prix de quelles séquences opératoires !, n’était, dit-on, qu’un sagouin, et le suicide de son patient aurait dû mettre fin à toute spéculation optimiste sur les thérapies transsexuelles si le lobby qui les encourage n’était par principe allergique à tout ce qui offense son idéologie. On naît garçon ou on naît fille comme on naît coq ou on naît poule : c’est ainsi. Goethe, qu’on ne saurait accuser de préjugés cléricaux, le fait savoir décisivement dans ces paroles dorées qui font la première strophe de son grand poème Urworte :

DAIMON

Wie am dem Tag, der dich der Welt verliehen,

Die Sonne stand zum Grusse der Planeten,

Bist alsobald und fort und fort gediehen,

Nach dem Gesetz, wonach du angetreten,

So musst du sein, dir kannst du nicht entfliehen,

So sagten schon Sibyllen, so Propheten ;

Und keine Zeit und keine Macht zerstückelt

Geprägte Form, die lebend sich entwickelt »

 

… »tu as prospéré selon la loi sous laquelle tu fis ton apparition. Ainsi faut-il que tu sois, à toi-même tu ne peux échapper /…./et aucun temps et aucune puissance ne morcèlent la forme signée qui en vivant se développe ».

 

INTERMEDE en Marco majeur   LE CERCLE AÏGIARUC

 

Je suis co-fondateur à Toulouse, faubourg Bonnefoy, du cercle Aïgiaruc. Il convient que je m’explique sur cette information qui a le mérite d’être de dernière heure, et le restera. La théorie ou les théories ou le concept du genre ou de genre, fort appuyés (théorie, théorie, concept) par l’Umma des banlieues intellectuelles ultra-sensibles qui se désignent par l’acronyme LGBT, variante actuelle de BCBG, cette ou ces théorie(s), donc, ce concept ont apparemment pour visée l’égalité complète entre les sexes, soit la réhabilitation parachevée de la femme traditionnellement tenue pour inférieure et assujettie à l’homme. Mais rien n’est plus chimérique et captieux que le concept d’égalité. Les anciennes colonies émancipées deviennent apparemment les égales des nations colonisatrices, à preuve jouissent du même pouvoir de vote dans les instances internationales, le « tiers monde » n’est plus en tiers, il a part entière désormais dans les affaires du monde. La vérité est tout autre : qui ne colonise pas est colonisé ; l’Europe décadente est la proie des peuples hier encore assujettis. L’esprit de revanche, le drame de la pauvreté se conjuguent pour précipiter dans un « chez nous » qui est de moins en moins « chez nous » des hordes qui nous imposent peu à peu, halal est grand !, leur loi barbare. L’Algérie fut française, la France devient algérienne. Notre Président de la République est gouverné par l’émir du Qatar. Evidences que ne parvient pas à dissimuler l’omerta scrupuleuse des médias. Il en va de même pour la millénaire relation entre l’homme et la femme. Celle-ci était la colonie de celui-là, le dernier continent, disait Fanon, à décoloniser. C’est en voie de se faire, de se parfaire. C’est fait. Mais ce ne sera parfait que si la femme, qui ne peut se contenter d’être légalement ou élégamment égale, prenant sa revanche sur des millénaires d’humiliantes servitude et séquestration prend les commandes et transforme en réalité civique et politique le titre non moins hypocrite qu’obséquieux de maîtresse que lui décernaient les petits-maîtres. La partie sera gagnée quand monsieur torchera le môme cependant que madame fera sa tee-partie. Ne l’est-elle pas déjà gagnée, la partie ? Montrons du moins preuves historiques à l’appui que la femme n’est rien moins qu’égale à l’homme lui étant supérieure à tous égards non seulement parce que le pouvoir physique écrasant qu’elle exerce sur lui durant les neuf mois de sa gestation puis la longue période de sa petite enfance peut, dans des cas je le concède exceptionnels mais susceptibles au prix d’une éducation congrue de se multiplier, faire la preuve qu’elle l’emporte physiquement sur les athlètes mâles les plus doués.

On connaît des héroïnes fameuses pour battre le mâle à tout coup. Mais Atalante ne l’emporte qu’à la course, et sera tout de même victime d’une ruse. Bradamante doit son invincibilité à la lance d’Argail. L’une et l’autre ne sont au reste que des figures de légende. Il n’en va pas de même d’Aïgiaruc dont Marco Polo conte l’histoire dans son Devisement. Celle-ci, fille du roi Caïdou, s’est rendue célèbre pour vaincre à la lutte n’importe quel prétendant. Elle n’accepterait de se marier qu’à son vainqueur. Se présente le fils du roi de Pumar, un damoiseau de belle prestance, rompu aux exercices physiques. Eh bien il est à son tour défait, s’enfuit honteux et confus,et laisse à la fille, pour prix de sa défaite, un tribut de mille chevaux.

Aïgiaruc me paraît par excellence l’héroïne que toute femen et même toute femelle devrait avoir en poster ou en icône dans le saint des saints de sa chambre et qu’on peut espérer qui remplacerait un jour prochain à la Chambre le buste de la ridicule Marianne. Au-dessus d’Aïgiaruc je ne vois, dans la symbolique universelle et triviale, que la mante religieuse qui, une fois accouplée, se délivre par dévoration de son mâle. Ces figures-archétypes résument, condensent, synthétisent en un acte décisif, une fois (Aïgiaruc) ou mille et mille fois (l’insecte), la suprématie réelle, quand même les siècles obscurs l’auraient refoulée, de l        a femme. Il convient de saluer, à ce propos, les remarquables prestations des Taubira, Aubry, Duflot ou Kosciusko-Morizet, ces surfemmes qui sont, à l’échelon ministériel, du moins dans l’actuelle conjoncture, un camouflet à Alfred Jarry, Frédéric Nietzsche et tous les mâles qui se flattent d’être le sexe fort. Présidente, Ségolène a déjà failli l’être. Elle le sera. J’augure bien des prochaines décennies : « mesdames, mesdames » (je parodie Yvette Guilbert et ses mélismes), les VIP, les PDG de demain, c’est vous, à vous la gloire.

Car (dois-je le redire), ce n’est pas l’égalité, c’est la suprématie qu’elles désirent, qu’elles croient à elles dévolue, qu’elles veulent arracher à ces benêts de porte-braguette qui, de machos qu’ils étaient masos devenus, se mettent en frais de la leur concéder.

 

 

 

 

 

AUTODAFE (avec une gaieté accrue)     Une des égéries de la Gender Theorie a souligné avec bravoure que « la femme » n’a de sens que dans les systèmes de pensée hétérosexuels. Lesbienne, elle assure que les lesbiennes ne sont pas des femmes. Sont-elles seulement des lesbiennes ? Lesbos, « où les Phrynés l’une l’autre s’attirent ». Les Phrynés sont évidemment des femmes – Sapho le savait – expertes à tirer de leur identité sexuelle des jouissances qu’elles ne peuvent espérer de l’organe et de l’orgone mâles.

         Je soupçonne que Baudelaire à maint titre doit être exécré des créatures qui conspirent à rendre indiscernable le masculin du féminin. Le procès des Fleurs du mâle est à refaire, et le mâle en question devrait écoper d’une lourde peine pour avoir utilisé dans son poème Lesbos le mot de « fille » et même celui de vierge sexuellement différenciée. Mais à quoi bon Baudelaire ? Posons la question drastique : de quelle littérature doit-on se débarrasser pour que la littérature queer obtienne les résultats espérés des adeptes ? J’imagine l’école nouvelle. Ces petits garçons, ces petites filles, qui ne sont plus des petits garçons ni des petites filles et dont on a scié doctrinalement l’appareil génital s’il fait saillie en sorte que la prévalence de l’ »avoir » cesse de produire ses effets machistes au bénéfice de façons d’être ductiles et convertibles, que leur donnera-t-on à lire qui ne les infecte pas, ne les rapatrie pas dans les catégories obsolètes ? Je parcours mentalement ce que je connais des œuvres classiques, celles-ci s’étendant jusqu’à Proust, Camus, Robbe-Grillet. Il est évident qu’il ne faudra mettre entre les mains des impubères ni Ronsard ni Racine, ni Rabelais ni Molière, ni Marivaux ni Musset, ni Zola ni Villiers, ni Claudel ni Gide, ni Claude Simon ni Le Clézio, ni … ni … Tranchons net. Toute la littérature, à quelques niaiseries près, ou œuvres pies (l’Imitation), doit être exterminée si l’on veut sérieusement épargner à nos jeunes garces et gars, disons plutôt à nos … garsfilles ? (non, il faut inventer un mot neutre) la tentation de se croire déterminés à ce rôle social que leur assignent Dante ou l’Arioste, Goethe ou Shakespeare, Stendhal ou Tolstoï. L’autodafé des livres de chevalerie que le Curé et son acolyte se décident à faire pour sauver Don Quichotte de sa manie il importe de le répéter, non dans la fiction romanesque mais dans la réalité pédagogique des écoles d’une république enfin égalitaire : toute œuvre où la différence du genre – masculin/féminin – est à l’évidence soutenue sans échappatoire possible par la différence du sexe doit être éliminée des lieux de travail ou de loisir où quelque jeune lecteur courrait le risque, s’y intéressant, d’imaginer qu’Alceste en aucun cas ne peut être Célimène et Célimène Alceste en aucun cas. L’ enfer des bibliothèques, jadis réservé aux livres pornographiques ou hérétiques, serait désormais l’édifice colossal où par mesure conservatoire et à l’usage des érudits l’on aurait soustrait au feu purificateur à peu près toute la littérature mondiale jusqu’à Judith Butler.

La Suède qui est en pointe dans l’idéologie du Genre et qui l’est aussi dans la fabrique des gloires mondaines devrait instituer, sous la rubrique du HEN, un prix Nobel de la rature. Un rêve, que m’inspire le fameux poème de Baudelaire : comme l’on peut imaginer une Babel d’escaliers et d’arcades sans minéral ni végétal, je veux imaginer Shakespeare et Molière purifiés du Masculin et du Féminin.

LE COMPLEXE DE PHILAMINTE (dans un double forte, en femen majeur, d’hilarité moliéresque donc irrésistible)     Cependant mon impiété entrevoit une autre solution, non dramatique, comique. Les Femmes savantes, du déplorable Molière, sont une de ces comédies sur lesquelles la Gender Theory se casse évidemment les dents. J’ai parcouru quelques écrits de ces Bélises secondées par des bélîtres, de ces Philamintes servies par des efféminés. Il suffirait souvent de reproduire au iota près tel ou tel extrait de leurs copieuses dissertations pour susciter chez tout lecteur non décervelé un ouragan de fou-rire. J’appelle de tous mes vœux un nouveau Molière, peut-être déjà existe-t-il ? Peut-être déjà brûle-t-il les planches ? A moins qu’une nouvelle loi Gayssot interdise, sous menace d’amende voire d’incarcération, le plus léger trait de satire à l’adresse des diacres et diaconesses de la déconstruction des rôles sociaux ? Déconstruire, c’est le mot. C’est l’abracadabra. Des collégiens férus de Heidegger ou de ses épigones jouent, non sans talent, dans leur griserie de novateurs émoustillés, à déconstruire. Je me rappelle mon enfance, ces cubes ou ces pièces de mécano qu’il s’agissait d’imbriquer ou d’ajuster puis je me plaisais à défaire ce que j’avais fait. Les enfants gâtés d’une merveilleuse civilisation en train de s’écrouler avec eux, gavés d’avoir prennent leur frénésie d’encore plus avoir pour une présomption d’être. Avoir une identité leur semble une prisone, être, zoophile ou nymphomane, tante ou transsexuel, leur paraît la liberté même.

M’amusé-je à parodier leur jargon précieux ? le décalqué-je ? La notion de gender est un outil théorique qui permet de conceptualiser la fabrication historique et sexuelle ; l’hétérosexualité loin de surgir spontanément de chaque corps nouveau-né doit être réinscrite ou ré-instituée à travers des opérations constantes de répétition et de récitation des codes (masculins et féminins) socialement investis comme naturels. Il convient de déconstruire les notions de binarité et de complémentarité, de rôles masculins ou féminins, de repenser les relations entre les comportements sexuels, les identité érotiques, les constructions du genre, les formes de savoir, les régimes de l’énonciation, les logiques de la représentation, les pratiques communautaires, pour réinventer les relations entre l’amour, la vérité et le désir. Que le désir, la vérité et l’amour sortent indemnes de ce palus de jargon, j’en serais ébaubi. Mais il ne s’agit de rien de moins, au prix de ces méphitiques émanations mentales, que de dissiper le mauvais charme de la « nature humaine » telle que la société judéo-chrétienne l’a instituée, avec sa conséquence la plus néfaste, l’hétérosexualité, d’où résultent, selon ces cuistres, concurrence, croissance, consommation, bref tous les maux dont actuellement nous souffrons et dont n’ont pu nous délivrer ni Reich, ni Marcuse, ni Guattari, ni Onfray. Le paradis, c’était Sodome et Gomorrhe, ce sera Somorrhe et Godome, la possibilité de jouer tous les rôles dans toutes les positions, pourvu toutefois que le Féminin assure sa suprématie. Telle est la revendication de la Philaminte post-moderne, femen nommée, et l’on comprend que ce qui reste de Chrysales parmi nous soit époustouflé sinon émasculé jusqu’à tant que la flicaille de l’Islam vienne avec la divine chari’a remettre de l’ordre dans ces vagins et ce charivari.

 

(dans un fou-rire presque voluptueux)

 

« On ne naît pas femme, on le devient ». Cet apophtegme de madame Beauvoiry, héroïne romantique de l’IVG, est désormais connu urbi et orbi. Il présente l’intérêt de fournir une matrice où couler toutes sortes d’énoncés de même pâte qui en acquièrent une autorité incontestable. Non moins incontestable me semble l’assertion que me susurre hélas ma sénescence : « on ne naît pas vieux, on le devient.» De même, on ne naît pas féministe, on le devient, on ne naît pas cuistre, on le devient, et caetera. En revanche je suis payé au prix fort pour savoir que l’apophtegme « on ne naît pas homme, on le devient » est controuvé dans nombre de cas : je plaide pour mon incurable enfance. Aussi bien traité-je la délicate question de la « Gender Theory » sur le mode badin, par cabrioles et nasardes. Que voulez-vous, je lis plus volontiers Jean de La Fontaine que Stéphane Lavignotte. M’a traversé l’esprit, hier, l’idée de rassembler tous les items de la fable du Genre dans la fable des deux belettes et de la chauve-souris. Ce petit animal ne réalise-t-il pas le type idéal de l’androgyne, du masculin-féminin, tel que, sous couvert d’un captieux concept du neutre, tente de l’imposer au monde le Parlement de la nation qui décerne avec les prix Nobel la plus haute distinction qui soit au monde ? La chauve-souris est-elle oiseau ? Non c’est un muscidé. Est-elle un muscidé ? Non, elle a des ailes. Transposons (marivaudons en ravaudant Marivaux) : es-tu femme ? non, je suis homme – es-tu homme ? non, je suis femme. Je suis femme pour toi, homme pour lui, je ne suis ni homme ni femme, je ne fus ni garçon ni fille, je m’accouple, par-devant par-derrière, je suis actif ou passif, je refuse le «e » humiliant dont on fit trop longtemps en France la marque honteuse du féminin. Je suis « il » ou « elle », selon qu’il me plaît, ou qu’il vous plaît s’il me plaît qu’ainsi vous plaise. Et c’est ainsi que je me sauve de la belette et re-belette, entendez de l’Ancien puis du nouveau Testament, de la tradition biblique, du Dieu mâle, de Moïse et Aaron, de Jésus et de Jean. Aux dernières pages d’un roman de Kundera un monsieur obèse et chauve au sourire graveleux, un peu plus que mûr et cependant nu intégral, expose sur une île naturiste à un troupeau de bipèdes à face humaine indifférenciés la Gender Theory.

 

Tout proche de nous un philosophe qui par malheur se référait à la tradition biblique, donc un phallocrate présomptif, faisait du neutre –hen – le principe éthique d’une ouverture au prochain quel qu’il soit, sans préjugé. Parler de quelqu’un, professe paraît-il Karin Salmson, sans lui donner un sexe c’est avoir « plus de chance de rencontrer l’être humain d’abord ». Mais l’être humain est sexué d’abord. (Transposons, pour faire éclater l’ineptie : parler d’un végétal sans le nommer œillet ou narcisse, c’est avoir « plus de chance de rencontrer » la fleur « d’abord »). Je demande à cette ingénieuse Suédoise de se livrer à l’exercice de traduire en sa langue les Mémoires de Saint-Simon en faisant en sorte que les hommes n’y soient plus distingués des femmes : c’est l’être humain sous ce badigeon alors qui disparaîtrait. Le neutre ainsi entendu neutralise?

(Aïe !)   Il y a lieu ici de faire deux remarques. La première est conjoncturelle, anecdotique, désopilante mais sans grande portée : ce moment de détresse mentale où la femme se démène pour n’être plus destinée ni désignée comme telle est celui où elle s’affiche avec insistance et brandit hargneusement les statistiques pour souligner combien le modèle égalitaire dont elle feint d’être éprise est loin de se concrétiser dans les pratiques sociales[10]. Pour le dire avec un humoriste, on trouve chez elles plus de laiderons que de « leaders ». La seconde remarque tend à confirmer le vieux diagnostic de Chesterton : le monde moderne, on dirait aujourd’hui « post-moderne » (que dira-t-on demain ?), est plein d’idées chrétiennes devenues folles. Plus de différence sexuelle dans le Royaume, affirme Jésus ; en Christ, continue saint Paul, s’abolit ici même la distinction entre homme et femme. Ce que la parole eschatologique ou l’éthique de la charité rendent effectif dans un plan de transcendance, des intellectuels de petit format prétendent le réaliser dans le quotidien de la triviale existence, comme si la haine, l’envie, le ressentiment camouflés en réquisit d’équité avaient la moindre chance de transformer la turbulente Babel en copie séculière de la sainte Sion.

Mais que veulent-elles, à la vérité ? Deux choses absolument incompatibles qui les condamnent soit à l’incohérence soit à la guerre intestine. Les unes souffrent de la condition humiliante de la femme dans une société machiste et sont engagées dans une guerre à outrance pour l’égalité des droits et des fonctions, les autres, si ce ne sont parfois les mêmes, revendiquent pour en finir avec l’ascendant mâle l’effacement des genres Masculin et Féminin. On voit bien dans le premier cas la constitution d’un bloc identitaire, l’affirmation d’un être-femme, l’enrôlement dans la légion féminine pour la conquête du pouvoir ou au moins l’obtention de la parité: la femme, les femmes. Dans le second cas, la marque sexuelle étant effacée on ne voit plus l’ombre d’une raison pour que le beau sexe, qui aura cessé d’être beau et d’être sexe, déploie le hargneux génie d’une inquisition maladive pour dénoncer la perpétuation de la loi phallique.

LE RÖLE   (hyperboliquement drôle)

 

Dans le discours traditionnel la notion de « drôle de genre » servait à désigner sans aménité des êtres «queer», c’est-à-dire bizarres, hors normes, se comportant mal, et c’était surtout des femmes que l’on affublait de cette qualification péjorative. Un humoriste très proche de l’esprit Gender par excision d’une lettre a inversé la tendance : « rôle de genre », suggère-t-il. Ce concept, congédiées les discriminations obsolètes, peut devenir l’arme absolue d’une guerre désormais mondiale (exception faite de l’Arabie saoudite) menée contre les anciennes assignations sexuelles. « Le genre précède le sexe » est l’article premier du nouveau catéchisme. Le genre, précise un Trissotin ou une Philaminte dont m’échappe le patronyme, est l’ensemble des moyens discursifs et culturels par quoi la « nature sexuée » ou un « sexe naturel » est produit et établi dans un domaine « pré-discursif », antécédent à la « culture ». Mais à quoi bon ce goudron de phrases versé sur le bon sens par des cantonniers de la nouvelle scolastique quand l’énoncé succinct, clair et net : « le genre précède le sexe », moulé sur le vieux ragot « l’existence précède l’essence », dit l’essentiel ?

Rien de drôle comme le rôle, voilà ce que met à nu, comme jamais ce ne le fut dans aucune époque antérieure, la nouvelle idéologie du (bon chic bon) genre. Il s’agit simplement d’étendre à toute la société, à tous les temps et lieux de l’ordinaire existence l’exquise incertitude, l’incessante surprise, le quiproquo plaisant qui dans certaines situations romanesques ou réellement vécues, au carnaval et sur le théâtre permettent de n’être plus homme ou femme qu’au gré du désir et de la circonstance. Ce serait l’apothéose de cet homo festivus festivus dont Muray a dressé le portrait-robot inoubliable, dernier avatar, on le soupçonne (on l’espère ?), du dernier homme. Métamorphisme, caméléonisme exaspérés : je veux et je peux dans le devenir de ma personnalité mutante et à la faveur de cyclones cycliques jouer successivement, une shakespearienne nuit des ruts, L, la lesbienne, G, le gay, B, le bi-, T, le trans-. Ce serait, transposé et réalisé dans la vie triviale, le voeu nietzschéen de n’occuper aucune position philosophique mais de les essayer toutes l’une après l’autre l’une déconstruisant l’autre, librement, gaiement. Ce serait, dans la vie sexuelle, permettre à tout un chacun de changer de rôle comme le fait à l’écran ou sur la scène l’acteur, de tenir en toutes postures, à son gré, le rôle masculin ou féminin, et, par-delà la vie sexuelle, dans les travaux les plus quotidiens ne rien réserver, ne rien interdire à l’un des sexes, de sorte que le mari, dans un couple (si la notion de couple est maintenue), ne répugne pas à torcher les mômes cependant que madame joue au scrabble, et que madame accepte de tenir la comptabilité tandis que monsieur se plairait à récurer les casseroles.

 

(saugrenu) J’ai vu par deux fois passer en courant dans ma rue des Lois un quinquagénaire en tutu rose, le crâne ceint d’une couronne florale et les mamelles bien prises dans un bustier à pampilles. Indécent! fut mon jugement-réflexe à cette grotesque parade, indécent ! au sens le plus acide et strict – non decet, non, cela ne convient pas, cela est, dans l’ordre éthique ou esthétique, l’équivalent du viol d’une vierge.. Ce podas ôkus[11] n’eût-il pas mérité mes godasses au cul ? J’éprouvai des frétillements d’orteil. Mais on peut opposer à ma sensibilité réactive deux choses : l’une, c’est que décence, beauté, mesure étant depuis quelques décennies mises en France tacitement hors-la-loi par l’Opinion, mon jugement-réflexe ne fait que traduire un esprit hors de mode et n’exciterait chez les bobos que bordées d’insultes ou éclats de rire. L’autre, c’est que l’individu en cause ne représente nullement un freluquet attardé, ni – me fait remarquer un ami félibre – un tutu panpan du folklore arlésien, mais un précurseur de cela, l’unisexe ou bisexué, avenir de l’espèce. A preuve le succès que rencontre auprès des enseignants qui exigent sa mise au programme, de toute urgence, dans les écoles primaires, de la BD Papa porte une culotte. Cette édifiante histoire propose, paraît-il, la mutation d’un boxeur à gros gants en danseur à tutu. Tudieu ! Vers quel rose avenir allons-nous !

J’apprends, à l’avant dernière minute qu’un règlement européen conseille de laisser planer le doute, tel un aigle johannique de haut vol, sur tout individu dont le sexe n’est pas évident. Il s’agit non seulement de maintenir l’ambiguïté mais, on le soupçonne, de la considérer comme une chance et un exemple à suivre. Bref, c’est le marivaudage promu au rang d’institution sinon même de coercition. En langage moderne on parlera d’OSNI, objet sexuel non identifiable. Ne savoir jamais à qui l’on a à faire, quel pactole érotique, quelles giboulées d’or pour l’âme-Danaé ! A la dernière minute il me parvient par les ondes la nouvelle exaltante que le Teuton, devançant peut-être le Viking sur cet article ?, admet dorénavant sur les fiches d’état-civil et les cartes d’identité la mention, au cas où, de « sexe indéterminé ». Il s’agit des êtres dotés d’un pénis inchoatif et d’un micro-vagin. Garçon ? Fille ? Entre les deux mon bistouri balance. Mais non, John Money, n’opérons pas ! On entend à « France Culture », ce 32 du mois d’août, un être ainsi conformé que ses parents ont d’abord voulu viriliser, dit-il, au prix d’une intervention chirurgicale et d’injections massives de testostérone, puis, le marmouset ne se sentant pas bien, ont décidé de soumettre ensuite à un traitement hormonal pour le rendre fille, nouvel échec ; eh bien cette victime du préjugé familial et social revendique fièrement, hargneusement, sa qualité d’androgyne, laissant deviner que c’eût été pour lui une chance d’être gay potentiel ou lesbienne présomptive. (Il crie son indignation avec une belle voix de baryton, non de ténorino : sa tessiture, hélas, ne souffre pas, elle, d’ambiguïté. Ah ! la mue de la voix chez le mâle, quelle guigne ! Vé, la permutation des rôles serait si facile si toutes les voix sans exception étaient sopranistes ou sopranes !). Il paraît que deux cents jeunes Français naissent chaque année ainsi pourvus d’un soupçon de pénis et d’une ébauche de vagin. Seulement deux cents ? Formons le vœu que cette anomalie génétique soit l’illustration de ce que devrait être pour tout un chacun dans notre république égalitaire une morale de l’ambiguïté sexuelle érigée en idéal.

 

Interlude plaisant à la manière de Jules Renard

Jeanne, ennemie des stéréotypes, écrase des œufs, s’en barbouille le visage, et s’écrie : « qui suis-je ? » C’est sa façon folklorique de se faire hommelette, de rendre indécidable son appartenance sexuelle. Cependant, fière d’avoir ainsi rompu en visière, si l’on ose dire, avec la valeur faciale et le principe d’identité, elle parle de sa « merformance », car performance pue le père. Je suis, proclame-t-elle, une féministe obstinée.

Quelque part en Afrique du Sud un petit garçon de quatre ans a, été battu à mort par l’amie de sa mère qui exigeait d’être appelée « papa ». Cet incident ne serait pas concevable en Suède, où il n’y a plus de petits garçons ni de papas ou de mamans différenciés.

 

(railleur) Notre école entretient, paraît-il, les inégalités entre garçons et filles. Un récent rapport en fait le désolant constat. Quel remède ? Dès la rentrée prochaine (j’écris ceci en août 2013) cinq cents établissements, sur le modèle de la crèche Bourdarias (en Seine-Saint-Denis) qui se signale comme le fer de lance français de la lutte contre le sexisme, lanceront des ateliers ludiques où les tout-petits joueront (c’est du moins ce que l’on suppose) à ne pas s’imaginer fille ou garçon ou bien à imaginer qu’il ou elle peut être indifféremment l’un ou l’autre. En somme, que le garçon ne garçonne pas, que la fille ne fillole pas ; qu’on s’interdise de dire de celle-ci c’est un garçon manqué de celui-là c’est une fille manquée car l’un ou l’autre seront habilités à l’un et l’autre rôle. Est-il prévu un uniforme unisexe ? ou des tenues interchangeables de sorte que le boy s’habille en boy ou en girl et la girl en girl ou en boy selon que les dés en auront décidé ? Reste cependant, quelque soin qu’on prenne dans ces établissements-pilotes d’éviter qu’aucun mimi ne se montre nu, le fait brut que nul mimi ne peut, à moins d’être un prodige de niaiserie, ignorer : cela l’a, cela ne l’a pas ; cet insolent appendice que l’ »ABCD de l’égalité » se trouve hors d’état de déclarer hors jeu, et qui risque fort chez cela qu’on appelle garçon de produire d’incontrôlables effets. Faudra-t-il rendre obligatoire dès la maternelle, afin de conjurer l’éventuelle forfanterie phallique, la menace « je vais te couper le zizi » qui jusque là n’était proférée que dans des fictions cauchemardesques ? Tu l’as ? Oui, mais sache que tu l’as échappé belle …L’enseignant sera instruit à effrayer le jeune mâle en lui représentant qu’il ne possède son fait-pipi qu’au mode conditionnel et qu’à la moindre incartade sexiste l’on pourrait bien le lui enlever.

Le susdit rapport a-t-il prévu, pour que la déconstruction des « stéréotypes de genre » soit menée chez les mimis avec l’efficacité maximale, soit de leur interdire les spectacles sportifs soit de ne plus admettre ceux-ci – je parle évidemment des sports d’équipe – que si la parité hommes/femmes y est assurée comme elle doit l’être chez les managers, les ministres, les permanents de France-Culture, les éboueurs, les flics, les conducteurs de tramways, les accordéonistes, les pilotes d’essai, etc. ? Car que voit-on, sur un stade de foot ? Que des mâles, rien que des mâles. Rugby ? Pareil. Hockey, basket, volley … Ou alors il y a des équipes exclusivement féminines, qui rencontrent d’autres équipes féminines. Mixité ? parité ? Comment un marmouset que la télé homo- ou hétéro-parentale afflige de telles discriminations négatives ne sera-t-il pas enclin à croire que l’homme qu’il est destiné à devenir jouit d’un statut sportif différent de celui de la femme et comment n’en induirait-il pas que si celle-ci n’est pas représentée équitablement dans les clubs et dans les matches (cinq garces au foot pour six garçons, ou cinq garçons et six garces) c’est qu’elle mérite la qualification jadis en vogue, aujourd’hui justement récusée, de sexe faible ? Or l’histoire d’Aïgiaruc, que je rapportais tantôt, invite à juger qu’il n’y a pas de sexe faible, qu’il y a en chaque sexe des faibles et des forts, et que si l’OM ou le PSG recrutaient autant de majorettes que de porte-braguettes les parties et les scores n’en souffriraient point. J’ajoute que le sport d’équipe quand il rassemble des mâles exclusivement est un avatar du fascisme, à preuve la « nuit de cristal » que s’offrit naguère le PSG au cœur de Paris.

(avec un soupçon de nostalgie)   Encore une remarque, celle-ci réjouissante. La chanson française traditionnelle – je puis le vérifier grâce aux succulents petits recueils de Jean Edel Berthier (mais si démodés !) – fourmille d’énoncés sexistes, je veux dire que le gars y est un gars, la fille une fille, et qu’il s’agit pour celle-ci de succomber aux instances de celui-là ou pour celui-là d’être séduit par les grâces et les minauderies de celle-ci : « auprès de ma blonde », « Perrine était servante », « Jeanneton prend sa faucille », etc. Puisque c’est une chose avérée que l’égalité entre les sexes sera d’autant plus complète que la différence entre les sexes moins apparente, il importe que cela ne soit plus Perrine, plus Jeanneton, plus « ma blonde », ni le mousse du « petit navire » ou les « bougres » sur la route de Longjumeau. Eh bien réjouissons-nous : le nettoyage ethnique, sur ce point sensible, semble avoir été fait et bien fait, je veux dire que l’on n’entend plus, sinon dans des fêtes folkloriques, de ces vieux airs sentant le terroir, la tradition, bref le nazisme en herbe. Je fréquente chaque été la charmante station de Villard-de-Lans, réputée pour son climat salubre et assaillie conséquemment de mimis en vacance. Pas une fois, en quelque dix ans je n’ai surpris un groupe de gamins ou gamines en flagrant délit de fredonner « mon ami me délaisse » ou « petite marjolaine », non, c’est « y a pas d’heure pour se faire plaiz’ avec un couscous merguez » qui s’impose sur la sente du Pont de l’Amour ou les sentiers de Bois Barbu[12].

 

 

peut-être trop sérieux ?

 

     Excès contre excès. A délire délire et demi. Il n’y a pas le moindre espoir de trouver un argument qui puisse ébranler l’impavide niaiserie des maniaques de la déconstruction acharnés à déconstruire et mettre à distance (ainsi s’expriment-ils) les « stéréotypes de genre ».

Du moins est-il loisible de jouer leur jeu en abattant des cartes que leur étroitesse mentale n’a pas prévues. Déconstruire ? Soit. De toute urgence, aujourd’hui, c’est le stéréotype « déconstruire les stéréotypes» qu’il serait salubre de déconstruire. Il faudrait aussi déconstruire celui de l’égalité, celui de la discrimination, celui de l’alternative « droite » ou « gauche » qui donne lieu à une multitude d’énoncés aussi péremptoires que parasites. Imbéciles ! Ne voyez-vous pas qu’il n’est concept qui ne puisse devenir stéréotype ?

(Déconstruire, détruire …. Lanza del Vasto prévoyait dès 1943 les ravages à venir du plaisir de crier « à bas » et de mettre le feu partout, « ce jeu-là, » écrivait-il, « ne tardera pas à remplacer tous les autres au Paradis mécanisé ». Nous en sommes là. De médiocres intellectuels émerillonnés par la puérile et impudente facilité de démonter les concepts rivalisent de zèle pour « déconstruire » leur civilisation sans se douter qu’ils la détruisent. Ainsi Jean-Luc Nancy, employé à déconstruire le christianisme en philosophe averti et pondéré, devient pour Michel Onfray, auquel on ne reprochera certes pas de peser des œufs de mouche dans des balances en toile d’argiope, un destructeur du christianisme. (« Après l’esprit de discernement, ce qu’il y a au monde de plus rare, ce sont les diamants et les perles »). Mais certains ou certaines, si l’on s’obstine à employer le féminin ou le masculin grammaticaux, n’hésitent pas à faire de la destruction leur projet avoué ; ainsi Monique Wittig, très endiablée, pasionaria de la « pensée straight », affiche qu’il faut « détruire politiquement, philosophiquement les catégories d’ «homme » et de « femme » ; emportée par son élan elle en vient à décider qu’elle n’a pas de vagin – on demande à voir ! – et, s’affirmant lesbienne avec fierté, stipule que les « lesbiennes ne sont pas des femmes »).

 

Tout ce qui est excessif est insignifiant, disait un certain évêque d’Autun.

On ne naît pas excessif, on le devient. On se laisse embarquer sur la Närrenschiff de clichés, de slogans, d’utopies qui l’une sur l’autre renchérissent, fascinés que l’on est par les techno-sciences et s’imaginant que l’éducation est susceptible des mêmes progrès que la cybernétique. Ainsi s’engendrent les Gender Stu(pi)di(t)ies.

Que peut-on sauver de ces bouffées délirantes ?

Il serait proprement miraculeux que la différence sexuelle qui fait le garçon ou la fille, l’homme ou la femme, comme on le constate à l’œil nu, n’entraîne pas des différences de sensibilité, de caractère, d’inclinations, de comportements. L’organe créant la fonction, comment s’étonner que cela dont le sein sécrète le lait ne soit pas habilité à pouponner plus naturellement que cela dont le sein, à moins qu’un cyber-Moïse ne le frappe de son bâton, est sec comme un syllogisme ? Il y a, c’est évident, une nature humaine bisexuée, et les seuls « trans » dignes d’intérêt sont ceux qui s’en affranchissent non selon le caprice libidinal mais selon l’évangélique liberté des enfants de Dieu. Mais bon dieu à quel bas degré d’humanité se réduisent ces gens qui sous le sigle LGBT semblent ne vivre que pour se flairer le cul comme des cockers! Le monsterhund, dans la BD hyperboréenne[13], le « monstre-chien », ça devrait être Kivi, l’horrible héros asexué.

 

(avec une pinte de bon sens)     Mais il est vrai que la culture, s’agissant de l’espèce humaine, peut beaucoup sur les données naturelles : Montaigne le disait avec une subtilité, une sagesse, une ironie, un bonheur d’expression dont leur mauvais genre prive tristement nos doctrinaires du « genre ». Il est vrai que dans la plupart des sociétés traditionnelles, pour ne pas dire toutes, le grand Ensemblier a souci de répartir les fonctions entre les deux sexes, assignant à chacun ses rôles, redoutant les interférences et interversions, et il s’agit surtout, pour assurer la propagation de l’espèce, de veiller à ce que la femelle ne s’offre pas le luxe, propre à Monique Wittig, de n’avoir pas de vagin, mais au contraire qu’aucun des organes qui la font femelle ne souffre la plus légère mise en doute ni la moindre indisponibilité. La femelle est donc la parturiente qui, ensemencée, portant le germe de l’enfant, le mettant au monde, est toute désignée pour l’allaiter, le torcher, le pouponner, le …materner. Elle est épouse, une ou plurielle, et mère. Femme, avec ses désirs de femme, l’Ensemblier n’y prête aucune attention. D’ailleurs il a décrété qu’elle était inférieure au mâle. Ce qu’énonce le Coran avec une clarté sereinement médinoise se faufile sournoisement dans presque toutes les sociétés archaïques, médiévales ou modernes. Ainsi à trente-trois ans, victime de ses onze grossesses, s’éteint Dona Beatriz, mère de Thérèse d’Avila qui elle-même se sera épargnée les épuisants labeurs de la fécondité charnelle mais n’aura cessé de sacrifier au préjugé machiste en se traitant de mujercita. Or, devançant d’au moins un demi siècle la théorie du genre, mais indemne des stéréotypes de la déconstruction, Unamuno appelait la sainte la grande Père et Jean de la Croix son disciple le petit Mère. On compterait par centaines dans l’histoire biblique, romaine et européenne les femmes de premier plan qui se seront montrées plus viriles en leur temps que la plupart de leurs congénères masculins. Je pense, assez près de nous, à Simone Weil, si continûment forte dans sa vie comme dans ses écrits. désespérant (dans une de ses ultimes lettres) de ses compatriotes énervés et ramollis.

(à mou-mourir de rire)         C’est une sottise de gros calibre que de ne croire pas à la différence biologique entre les sexes, mais c’est une vérité que la répétition et récitation des codes – tu es un garçon, tu es une fille – confirment, accentuent cette différence biologique, l’aggravant d’une différence culturelle qui peut en effet être nuancée, atténuée, voire modifiée. C’est une ineptie que de rechercher entre les sexes une « égalité » et conséquemment une « parité » dont tout vrai penseur[14] sait que loin de l’accomplir elles contrarient la justice, mais c’est une heureuse idée que de généraliser au moins dans le principe la vicariance. Je ne mets pas de robe, mais faire la vaisselle, la cuisine ou le ménage ne me trouble pas comme cela semble troubler, paraît-il, un dénommé Serge qui, s’il lui arrive lui aussi de récurer ou balayer, s’accoutre alors du sobriquet, propitiatoire ou apotropaïque je ne sais, de Momo comme si Momo nommé il s’immunisait contre le sexe.

C’est une autre vérité que de pointer l’opprobre, le lourd mépris dont furent victimes dans notre société, tant de siècles durant, les pervers. Autant il est aussi ridicule qu’ignoble de tirer « fierté » d’être sodomite ou gomorrhéenne autant c’est manquer à la justice et à la charité que de persécuter, traquer, anathématiser ces déviants comme s’ils étaient voués fatalement au feu infernal, et cela se fit scandaleusement dans une Europe prétendue chrétienne, au mépris de la leçon évangélique. La choquante stupidité de la « gay pride », les ineptes outrances d’une Monique Wittig sont excusables pour autant qu’elles sont une riposte à des siècles d’humiliation et de dénégation. Je ne connais pas un sodomite dont le vice ne trouve son origine ou du moins son enzyme dans la cellule familiale. Qui faut-il incriminer alors ? Un père efféminé ou trop absent ? Une mère captative ? Le juste critère, ignoré du « gros animal », n’est pas à trouver dans le choix d’objet mais dans la qualité de la relation, n’est pas dans une illusoire égalité que tout dément mais dans une complémentarité gracieuse qui est le don d’un amour vrai. Qu’importe que l’homme soit le chef de famille, que la femme lui soit assujettie, si l’une et l’autre vivent une vie de couple harmonieuse ? Qu’importe, chères lesbiennes, que l’une de vous soit une Delphine hommasse et l’autre Hippolyte la jouvencelle à l’aube baudelairienne de l’initiation, si de l’une à l’autre le courant érotique passe pour la joie de l’une et de l’autre ? Comme il faut toujours un objet de haine aux hypocrites vertueux le haro aux « pédophiles », après que peloter les mimis fut une des recettes fort goûtées de l’art de vivre dans les années 70 (un certain Daniel Cohn-Bendit, que j’eus un an sous ma gouverne au lycée Buffon, mais sans explorer son fond de culotte, était très « pour »), est devenu aujourd’hui un shibbolet de la pensée correcte et l’on ne s’étonne pas d’entendre un Michel Onfray, habile à courber l’échine sous le vent de la dernière mode, partager l’indignation officielle en maccarthyste (« de gauche ») des impubères en péril sans prendre garde que son discours contre la famille monogame et en faveur de l’ « IVG » encourage l’interdit de vivre et pour les enfants admis à naître des désordres dont ils sont victimes plus qu’ils ne le seraient d’attouchements libidineux qui seront peut-être pour tel ou telle d’entre eux un palliatif aux défaillances du« parent 1 » ou du « parent 2 »distraits des soins paternels et maternels par le dévergondage. Le spectre des prédispositions et attentes sensuelles ou sexuelles est aussi diapré que celui du cou de la colombe. Osera-t-on prétendre qu’une gamine, parce qu’elle a atteint l’âge légal où forniquer est licite, ne sera pas la dupe du premier prédateur venu ? A-t-on la certitude qu’André Gide, amateur de garçons impubères, n’ait pas été une bonne fortune pour tel ou tel d’entre eux ? Encore une fois seule la qualité de la relation importe selon les affinités électives. Il s’agit donc, à contre-pente de l’arriération mentale caractérisant les obsédés des « stéréotypes de genre », de discriminer, de discriminer afin de ne pas choir dans le bourbier de l’indistinction.

 

strette

(goguenard) …Cela, donc. Cela, mâle ou femelle, garçon ou fille. Dans la langue secrète des pédérastes « cela » serait trop caleçonné ; c’est « ça » qu’on dit pour désigner la proie que l’on convoite. Cependant « cela », dans l’usage traditionnel, s’emploie pour parler des personnes sur le mode familier ou méprisant. Par manière de divagation, «cela » évoquerait à l’homme de fine culture que je suis (mais oui ! mais oui !) Céladon héros de l’Astrée ou Encelade, fils d’Ouranos et de Gaia. Aïe, des mâles… Mais sans plus errer revenons à nos mimis. (« Mimi », indifféremment fillette ou garçonnet, quelle aubaine ! Dans l’école Egalia, à Stockholm, les mimis sont les amis, garçon ou fille n’ont aucune existence linguistique). Cela est excellemment le neutre qu’il faut pour désigner hors loi phallique   Anémone (prénom masculin ?) ou Serpolet (prénom féminin ?), car le jeu des permutations dans la société égalitaire invitera à intervertir sans cesse et Anémone ou Serpolet seront indifféremment affectés à han ou hon, « il » ou « elle ». L’important seulement c’est de se débarrasser des prénoms de la civilisation judéo-chrétienne sexiste phallique, misogyne, discriminante, répressive et agressive. Même Dominique ou Claude, que l’usage français impute à « lui » comme à « elle » de sorte qu’un petit être à figure mignonne et cheveux bouclés qu’on appelle ainsi soit en droit et en dotation dans notre aire culturelle de se sentir androgyne, sont à proscrire parce qu’on sait bien que saint Claude se distingua par porter la mitre, symbole détestable du pouvoir clérical mâle, et que saint Dominique fut un affreux moine fanatique persécuteur des Cathares.

(bouffon) Cela est une solution linguistique. Ou ceci. Ce sont pronoms démonstratifs qui par bonheur ne démontrent aucunement que l’on a affaire à un garçon ou à une fille. Celui-ci ? celle-là ? Notre école égalitaire doit les effacer du paradigme. Cette solution linguistique peut et doit servir de leçon pour l’ensemble des comportements sociaux. Reprenons en guise de conclusion quelques-unes des conséquences inéluctables, si l’on ne veut pas rester à mi-chemin, du combat mené par nos élites pensantes contre les stéréotypes du genre aux fins de réaliser entre le masculin et le féminin une parité sans défaut. Qu’il n’y ait plus d’équipes et de compétitions masculines et féminines dans aucun sport, cela va de soi et l’on s’étonne que madame Belkacem ne s’en soit pas jusqu’à cette heure souciée. Qu’il n’y ait plus de « ceci » ou « cela » que son vêtement désigne comme appartenant au sexe « faible » ou au sexe « fort », il y faut veiller ardemment. Ou bien qu’à l’instar du baladin/bayadère que je voyais par ma fenêtre évoluer en tutu rose et casqué d’une couronne de rosière tout homme soit à tout moment susceptible de troquer le pantalon pour la jupe et de s’adorner d’un soutien-gorge cependant que madame (il va sans dire que c’en est à jamais fini de « mademoiselle ») n’hésitera pas …mais c’est désormais acquis …à porter le pantalon, j’ajoute le gibus, la queue-de-pie ou le veston. C’est ainsi qu’on pourra sauver l’attirail vestimentaire des fêtes folkloriques ou des reconstitutions historiques qui si on les maintenait telles quelles insinueraient en la conscience de nos mimis le soupçon qu’il y a tout de même une différence, une disparité entre les sexes. Pourquoi pas des messieurs en cotillon ou vertugadin, des dames en pourpoint et haut-de-chausses, avec lavallière ? Une seule règle : la réversibilité, l’identité indécise, la vacillation des repères de genre. Bref, le carnaval à tout crin et sans répit. La barbe évidemment interdite, à moins que la femme à barbe, jadis objet de risée ou de cirque, ne soit, fût-ce au prix d’injection de testostérone, banalisée. Les cheveux ? Ah ! finie la « toison moutonnant jusque sur l’encolure » ! Toutes coiffées à la garçonne. Ceci et cela également ras. Problème de la mue pubertaire ? On exercera les mômes, aussi tôt que possible, à chanter en voix de fausset, les fillettes en voix de rogomme. Il va sans dire que l’un et l’autre sexe seront initiés à toutes les perversions possibles, l’une d’elles étant la désuète « normalité », sans qu’ils soient passibles, comme dans le poème atrocement biblique de l’atrabilaire Vigny, de s’en aller confus chacun de son côté. La mère, cet avatar catastrophique de la féminité, n’aura plus lieu d’être puisque les enfants seront produits sans qu’ils aient à endurer la longue, lourde captivité d’un ventre. Le mot même de grossesse sera banni du lexique. Alors chacun dans une société protéiforme et métamorphique sera prêt à jouer n’importe quel rôle, à prendre toutes les postures la meilleure étant l’imposture évidemment. Ce sera la grande partouze, cela que j’appelle dans ma novlangue le clafoutre et que le vieux Livre yahviste appelait le tohu-bohu. Lequel vieux Livre doit être incinéré pour jamais. On se rappelle que l’empereur Qin Shi Huang brûla, pour inventer une Chine nouvelle où il exercerait les pleins pouvoirs tous les écrits confucéens. Nos boutefeux des stéréotypes jugent que notre civilisation est morte. Il faut donc la tuer. La Gender Theory s’y emploie avec un zèle inquisitorial qui épate. On ne peut la tuer véritablement qu’une fois désinfectés langage et textes des virus du masculin et du féminin. Cela suppose l’autodafé de toute la littérature biblique et grecque, latine et européenne. Mais à l’heure de la globalisation ce n’est pas seulement la civilisation fondée sur un Livre dont les premières pages affirment qu’Il les créa homme et femme qu’il est impérieux de mettre au tombeau, c’est aussi l’hindoue, la chinoise, l’islamique, avec la quasi-totalité des cultures à tort dites jadis primitives. Il ne s’agit de rien de moins que d’une mutation de l’espèce. Au feu donc la Bible, aussi le Coran, ô combien, où l’infériorité de la femme (horreur ! horreur !) est affichée sans vergogne. Au feu tout l’art européen, peinture, sculpture, musique vocale. En revanche l’art musulman, rétif à la figuration, épris de l’arabesque, l’art irlandais du livre de Kells seraient épargnés. Mais haro sur la miniature chi’ite qui osa la figuration, voire le portrait du Prophète. Bref, sous le spécieux prétexte de mettre fin à la violence masculine c’est une violence extrême qui se déclenche, une guerre atomique de niaiseries poudrées de science que mène contre l’Esprit-Saint un groupuscule d’utopistes sans esprit qui confondent leurs éruptions libidinales de bobos avec l’inauguration d’un nouveau kalpa.

 

(post-scriptum en cabriole d’hilarité)

 

« Et je pensai encore : les garçons[15] jouent avec un sabre de bois, qui, grands, deviendront des soldats et les petites filles bercent des poupées de carton, qui demain seront mères ». Que voilà, Lanza del Vasto, une méchante pensée ! Comme elle est datée ! L’ère du Verseau où nous entrons est celle du versicolore vice versa, de la culbute générale, et on ne peut que se réjouir, du moins en France, de ce que l’actuel Président de la République soit désigné par le sobriquet prometteur de « Culbuto ».

 

 

 

           ISLAMOPHOPHILIEBIE

 

 

 

BREKEKEKEX HOAX HOAX[16]

 

« Si je dis l »Algérie aux Algériens  tout le monde crie bravo !!! La Tunisie aux Tunisiens tout le monde crie bravo la Turquie aux Turcs tout le monde dit bravo! L’Afrique aux Africains tout le monde dit bravo! La Palestine aux Palestiniens! tout le monde dit bravo! Mais quand je dis la France aux Français  on me traite de raciste »

Ce texte est-il imputable à Coluche ?

Un commissaire de la pensée correcte nous assure que non. Rien de tel ne peut être trouvé dans les traces écrites ou orales qu’on a de Coluche. Fils d’un émigré italien il était à l’opposite du chauvinisme national et l’on peut citer de lui des mots à cet égard probants, par exemple : « y a quand même moins d’étrangers que de racistes en France, je préfère m’engueuler avec les moins nombreux ».

« La France aux Français »  fut un slogan de l’antisémite Drumont. Il est repris par le FN, dit le commissaire, et prêté frauduleusement à Coluche. Telle est, en résumé, sa mise au point.

 

Que ce soit un « hoax », un bobard, je le crois volontiers. Mais le zélé censeur qui démasque ce bobard aurait pu, pour tempérer son indignation (je n’en ai donné que la quintessence), réfléchir à ceci :

1) Coluche est mort en 1986. Nous sommes en 2016. Que penserait-il en 2016, Coluche, au vu de l’emprise sur la France des monarchies pétrolières et de l’islam qui y fait tache d’huile ? « Comme si », écrit naïvement l’indigné, « nous étions sous l’emprise d’une domination occulte, juive, arabe ou musulmane ». Mais voyons ! Pour ce qui est de la domination arabe et musulmane, elle n’est pas occulte, elle est patente (lire Salem Ben Ammar). Notre indigné devrait se renseigner ! Avec quelle arrogance il fait fi de l’Histoire ! Ne peut-on imaginer Coluche, après les attentats de « Charlie-Hebdo », avec lequel il copinait, puis du « Bataclan », plutôt bien disposé à l’égard du slogan « la France aux Français » ?

2) C’est un « hoax », un bobard, oui. Mais la faute à qui ? Les gens du pouvoir, leurs complices des médias pratiquent avec tant de muflerie et de lâcheté le truquage, le camouflage, l’omerta sur tous sujets sensibles que le bobard est la riposte normale et je dirais salubre à l’enfumage.

3) Tel quel, environ 120 ans après son premier et malheureux emploi pour lancer « La libre Parole », ce slogan repris au terme d’une courte mais topique énumération d’autres slogans qui font florès aujourd’hui dans nos Big Others Parades, a tout de même dans le contexte national et international un autre sens qu’en 1892. Je me rappelle le bobard sur la tour Eiffel dotée d’une mosquée à son premier étage pour les visiteurs musulmans en proie à la prière rituelle, ou encore ce bobard de Valls voulant débaptiser 5000 communes françaises qui, portant des noms de saints, chagrineraient l’islam. Dans ce moment de son histoire où la France, comme le souligne Eric Zemmour, se suicide par honte d’être française, le slogan « la France aux Français » traduit la vérité scandaleuse, officiellement niée mais dévoilée, serinée même par les musulmans désintoxiqués de l’islam (dernière en date dans l’actualité, Zineb el Razhoui) que le Djihad est toujours au programme et qu’il y a une revanche à prendre sur Poitiers.

J’ai moi-même vu, de mes yeux vu il y a quelques années – ce n’est pas un bobard – de belles affiches en Ile-de-France : « fier de manger halal ». Eh bien je n’étais pas fier, moi, ni pour les musulmans qui se vantent d’une pratique si cruelle, si déshonorante, ni sur les gouvernants d’une nation européenne qui tolèrent un tel affichage.

Les indices de cette occupation symbolique ou pragmatique du territoire sont nombreux, mais l’on ne sait souvent ce qui est exact, ce qui est déformé ou inventé. La pléthore d’informations va de pair avec un acmé de désinformation. Qu’en est-il par exemple, du curé de Sartrouville ? Aura-t-il songé un moment à se priver de cloches pour ne pas offenser les oreilles islamiques ? Vrai ? Faux ? Un Libanais a exprimé sa consternation … (En fait, l’église Jean XXIII a reçu trois cloches et je crois savoir qu’elles sonnent. Un nouveau Robert Planquette devrait nous concocter un nouvel opéra-comique : « les cloches de Sartrouville »).

 

Bravo Nadine Morano

 

De Gaulle a-t-il dit que la France est un « pays de race blanche » ? Comme le propos est rapporté par Alain Peyrefitte on peut le mettre en doute. On peut mettre en doute aussi le scrupule vicieux de ceux qui le mettent en doute car on a recueilli vingt et trente propos du Général qui confirment celui-ci, et notamment nul n’ignore qu’il ne voulait pas que Colombey-les-deux-Eglises devînt Colombey-les-deux Mosquées.

Ergoter sur l’acception et l’emploi légitime ou non du mot « race » relève du fanatisme sémantique ou/et du fantasme de persécution, si ce n’est de l’hypocrite pruderie. Qu’il existe une « race » française, au sens politique, poétique, romanesque, il suffit pour s’en convaincre de lire A la recherche du temps perdu. Proust était-il raciste ?

J’ai relevé, rien que dans le Figaro, pour stigmatiser Nadine Morano : « dérapage », « maladresse d’expression », « propos intolérables » (sic, Manuel Valls) ; on l’aurait même taxée de « porte-parole du Ku-Klux Klan ». Or son expression n’est aucunement maladroite, elle ne l’est que sous l’angle de vue étriqué de la politique électorale (on peut alors en effet parler de « dérapage »). Ses propos ne sont intolérables que pour des énergumènes de parti.

Nadine Morano a l’original, le courageux mérite de dire, comme l’enfant du fameux conte d’Andersen, que le roi est nu, en l’occurrence d’insinuer avec de Gaulle qu’il s’agit aujourd’hui de résister comme lui-même résista au temps de l’Occupation, que le nouvel occupant armé du niqab et de la sourate entend bien substituer la mosquée à l’église, et que le Pouvoir en place, avec sa clique, sa claque et son Ku- Klux Kan, a choisi la Collaboration.

« Le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais », écrit le docteur Rieux à la fin de La Peste.

Il aurait dû ajouter que la peste se métamorphose, qu’elle peut devenir le virus de l’immunodéficience, le virus Ebola, le … virus Al Qaïda, Al Nosra … Et cetera …

 

 

 

 

 

ISLAMOPHOBIE   ISLAMO-GAUCHISME

 

 

  1. C’est septembre. Je déjeune au bord du lac d’Annecy avec une amie intelligente, de « gauche ». Sa presque première question : « que pensez-vous de l’islamophobie ? » Elle attend que je peste contre, comme elle (car je suis intelligent, moi aussi).

Je lui réponds que je ne suis pas islamophobe (ce n’est en effet qu’une phobie) mais que j’ai peur de l’islam[17], oui, que j’en ai peur parce que je suis intelligent, que je connais le Coran et l’usage qu’on en peut faire, qu’on en fait en France aujourd’hui un peu partout ; j’ai peur de l’islam parce que j’ai le courage de la lucidité ; n’en avoir pas peur me paraîtrait même un indice de lâchage, de lâcheté.

  1. Le concept d’islamo-gauchisme serait dû à un trotskiste anglais, Chris Harman. Il est bon de se rappeler ce que Trotski pensait de l’islam : « L’Orient est encore dominé par l’islam, par les anciens préjugés, croyances et coutumes /…/ Tout comme une pièce de tissu putrescent ». « Les anciennes croyances ont moisi ». Et dans la tradition de la pensée des Lumières il plaint « la femme d’Orient, la plus bridée dans sa vie, dans ses habitudes et dans sa créativité, esclave d’esclaves » ; « ayant retiré son voile », espère-t-il, elle sera « la femme travailleuse émancipée ».
  2. L’islamo-gauchisme est le tissu putrescent d’un trotskisme dégénéré. Mais cette putrescence n’est-elle pas celle d’à peu près toute la « gauche » dont Camus peu avant sa mort disait faire encore partie « malgré moi et malgré elle », dont il voyait (déjà !) « la déchéance » ?
  3. Dans un kiosque de gare je cherche en vain l’essai intelligent et lucide de Pascal Bruckner (Un racisme imaginaire. La Querelle de l’islamophobie) mais je trouve celui de Thomas Guénolé (Thomas ? qu’attend-il, ce Thomas, pour toucher les plaies ?) : Islamopsychose. Psychose – « fondamentalement une perturbation primaire de la relation libidinale à la réalité »  (Vocabulaire de la psychanalyse) – tel est le mal dont souffre ce politologue atteint d’une cécité et d’une surdité évangéliques.
  4. Putrescence de l’intelligentsia française : monstrueux hybrides (islamogauchisme) (il y eut naguère des « nietzschéens de gauche »), termes impropres (« phobie » au lieu de peur) (« mariage » gay). Ineptes substitutions lexicales : ce matin 13 février un affidé du candide Emmanuel Macron m’apprend que droite/gauche pour son candidat, ça n’a plus cours ; désormais c’est conservatisme ou progressisme. Mais que gagne-t-on à substituer le scybale à la merde, le bren à l’excrément[18] ? Le prochain président de la République en notre âge de « muflisme »[19] intégral sera-t-il monsieur Homais ?

 

 

DE POLYPHEME A CIRCE

 

 

 

L’incivilité en partie double dont Ajaccio vient d’être le théâtre m’inspire, à la faveur d’une balade, une petite excursion mythologique.

Je ne peux, dans ma station de montagne, écouter que les radios françaises officielles. Ces « Très Bavardes » (c’est la signification de Polyphème), Très Bavarde dont la polyphémie est ravageante savent cependant se taire quand l’exige le Diktat des Pouvoirs établis. Ainsi ai-je appris par elles que de méchants Corses, parmi eux san doute (je l’ai entendu) des « catholiques intégristes », ont mis le feu à un lieu de culte musulman et ont manié  sans le respect requis des livres sacrés. Ils ripostaient ainsi à un caillassage dont des pompiers de la ville avaient été victimes. Qui, les agresseurs des pompiers ? Motus. Innommables.

Ulysse, à Polyphème qui lui demande son nom, répondait : « Personne ». Dans notre épisode

ajaccien c’est Polyphème, ce sont nos « Très Bavardes » qui à la question (au reste éludée) « qui a caillassé les pompiers ? » se dérobent tant et si bien que l’auditeur est encouragé à croire que c’est : « Personne ».

Personne ? Un autre épisode de l’Odyssée, puisque nos « Très Bavardes » se taisent, peut permettre cependant de préciser que ces caillasseurs  sont des personnes qui sous l’effet d’une drogue  ( le coran ?) semblable à celle (le cycéon) absorbée par vingt-deux compagnons d’Ulysse, ont été changées en cochons. Un mauvais coup de Circé ? Ou d’al-°Uzzâ ?

 

PS : l’hémiplégie dont sont frappés nos médias n’est que trop patente, évidente, flagrante. Je note seulement ici comment leur « silence chargé jusqu’à la gueule » (dirait Camus-Clamence) quand il s’agit de …chut! …  forme un contraste frappant avec leur indignation logorrhéique si ce sont des Corses et/ou des catholiques qui sont incriminables.

 

 

 

 

 

 

 

 

INTERMEDE DE LA BURQA (avec une ardeur salafiste et voilée)

 

 

Il est donc établi par les arguments les plus solides, dont je me dispense ici de faire le compte renvoyant le lecteur à un traité d’Ethologie générale, que la revendication spécieuse d’égalité cache le dessein subtil de s’emparer du pouvoir et de prendre une éclatante revanche sur les millénaires d’oppression. Mais je ferai semblant de croire que c’est l’égalité, rien que l’égalité, qui est voulue par la Gender Theory, et je propose pour accélérer, assurer, conforter cette égalité, la rendre indiscutable, de rendre indiscernables dans la vie publique et dans les critères d’identité l’un et l’autre sexes, par deux mesures que je m’étonne que les diacres et diaconesses de la religion féminitaire n’aient pas déjà pensées et élaborées.

Je dois l’idée de la première à ma fréquentation des alpages et paturages, où je soupçonne que les dévots de la gender ou de la queer Theory, tout occupés qu’ils sont à brasser des concepts et à sécréter des subtilités sophistiques, ne se hasardent guère. Quatre chiffres, placardés à l’oreille, suffisent à distinguer toutes les vaches d’une dition. Quatre chiffres, c’est peu. Un calcul élémentaire donnerait le nombre de nombres distincts que permettent les quinze chiffres de l’INSEE ou les seize de la carte Visa : suffisant peut-être pour l’ensemble du cheptel humain, au moins pour le cheptel de l’Europe, même si l’on y admet le grand Turc. Notre oreille supporte bien le clip, la boucle. Pourquoi refuserait-elle un matricule ? On ne dirait plus Jean ou Nicolas qui fleure le masculin, ni Sarocchi ou Sarkozy qui pue le magyar ou le corse, mais mon identifiant de Sécurité sociale ou celui de la Société Générale. C’en serait fini de mes traits d’esprit sur la ressemblance de Sarocchi avec Sarkozy qui m’encourage à déclarer qu’il s’en faut de peu que je ne sois un substitut concevable de ce virtuose des intrigues politiques, comme je me rappelle avoir jadis failli briguer à Genève la succession de Starobinski au titre d’une évidente paronomase. Fini, le privilège indû des Dupont et Durand, de ces noms si insolemment français. Coûfontaine ? Absit ! Plus de lord, plus de Sly –« old Sly’s son of Burtonheath » –, plus de John Naps ni de Peter Turf. Mais que nous chaud la comédie shakespearienne ? Il s’agit de l’actualité la plus pressante et de la France qu’on répute pressurée par des hordes de métèques dont l’étrangeté se déclare impudemment par leur patronyme ou prénom. Ces métèques nous aiment – c’est évidence -, nous sommes xénophobes – non moindre évidence. Il faut convenir que « Mohammed » n’est pas acclimatable au pays de Montaigne et qu’y substituer l’obsolète Mahomet serait ranimer les cendres d’une insolente tragédie de Voltaire. Le matricule universel efface de telles incongruités. Quand je me faisais cette réflexion, l’honnêteté est de dire que je n’avais pas en tête la question du féminisme. Mais on voit comment le vœu de complète égalité se réalise si les condamnations à « mademoiselle » ou « madame », la discrimination par Julie ou Sophie sont abrogées au bénéfice du chiffre, ce neutre absolu.

Ma deuxième idée est, elle aussi, de vieille provenance. Qu’on me pardonne de transcrire ici sans trop les modifier, ne les abrégeant guère, des considérations que m’inspira, au temps où elle battait son plein, la querelle de la burqa – mais quand finira querellée ou non la burqa ? il faut en dire ce que disait Mallarmé du haut de forme – elle est, elle sera, une fois apparue elle ne peut, pas plus que la croix, gammée ou non, disparaître. Si j’étais un écrivain sérieux, si je me piquais de ne traiter en sage écolier que mon sujet rien que mon sujet j’éliminerais ici les pages frivoles, indécentes, où je prétends la détester, la burqa. Je les ai gardées par frivolité, indécemment, dans l’arrière-pensée qu’elles seraient apéritives à la manière de ces tapas qui excitent l’appétit en le contrariant par des saveurs incongrues. Mais, au risque de frôler tout de même le sérieux, j’avoue que la question est pour le moins à double tranchant : les féministes ont d’excellentes raisons, que je puis feindre de faire miennes, de haïr la burqa comme je le fais, et si je prends le parti de suggérer qu’on l’impose universellement c’est pour servir la cause féministe.

 

….. « Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve

De voiles »….

 

Pourquoi la burqa est-elle intolérable ?

 

 

 

  • Parce que Lévi-Strauss, dans ses Tristes Tropiques, ouvrage parmi les plus essentiels du dernier siècle, raconte le comportement hystérique, en Inde, dans un compartiment de train, d’un indigène mâle qui ne supporte pas, quoiqu’elle soit encagée dans le voile intégral, la présence d’un Européen vis-à-vis de sa femme et se décide après cent simagrées convulsives à la traîner dans un autre compartiment.
  • Parce que mon ami C.M. me raconte une scène converse et tout aussi grotesque qui se déroule dans une petite ville française : la femelle à burqa souffrant de quelque mal intime, son mâle, lui en short et tee-shirt elle camouflée dans son voile, la conduit chez un gynécologue hélas incirconcis et surveille d’un œil aussi courroucé que sourcilleux la mise à nu et l’indiscret examen (dieux, quelle épreuve !) de ces bijoux de famille – comme on dit en style gaulois (en patois oranais cette figa) – dont la burqa devrait interdire fût-ce la supposition.
  • Parce qu’à tout bien considérer, comme l’était la barbe pour Schopenhauer – la police devrait l’interdire, prononçait-il – la burqa est obscène : d’une femme  ainsi entoilée pour le soustraire au regard l’on ne voit plus que son sexe et mentalement on la déshabille et on la besogne. Le nu intégral des Folies Bergères est moins obscène que le voile intégral. La burqa ne peut être l’invention que d’imbéciles mal civilisés et surtout mal virilisés qui s’imaginent que la virilité consiste dans la corvée du coït alors qu’elle est toute dans la force attractive d’un amour assez fort pour se passer de toute menace et de toute contrainte. Le mâle pourtrait par Lévi-Strauss, celui que m’évoque C.M. sont des cocus présomptifs : je forme le vœu qu’ils le furent.
  • Parce qu’elle est un acte politique d’une espèce de gens qui prétendent introduire en France une forme sordide et surannée de machisme incompatible avec les valeurs catholiques ou les valeurs républicaines ; à plus ou moins brève échéance, il s’agit de substituer les mœurs d’une société musulmane dans la pire acception à une société chrétienne et/ou laïque. Toute femme en burqa est un calicot, une cocarde, une enseigne qui bafoue le drapeau tricolore et la croix.
  • Parce que la plupart des femmes auxquelles on l’inflige murmurent dans une langue du sang pareille à celle de la Phèdre racinienne : « que ce vain tégument, que ce voile me pèse ! » ; quant à celles qui s’en accommodent et seraient fâchées de la quitter, qui s’en targuent et s’en remparent, il ne suffit pas de dire que ce sont des sottes, peut-être des hypocrites, il importe de leur signifier qu’elles offusquent le paysage, qu’elles sont au sens le plus strict intolérables, que la seule excuse à ce tégument ténébreux serait une mascarade festive (le mardi-gras coranique ?) ou un entêtement d’humour noir.

 

Je ne donne que cinq raisons de détester la burqa. Il y a quatre-vingt dix-neuf raisons de détester la burqa. La centième, Dieu seul – que Son Nom soit béni – la connaît. Mais en faire l’éloge par jeu est une salubre gymnique de l’esprit[20]. Je m’y essaie

 

  • (cocasse)

Argument naturaliste. La burqa est une sorte de chitine, matière, selon Littré, qui constitue les téguments des insectes. Le substantif tégument m’est venu d’abord, sans la chitine (les trajets mentaux d’un mot à l’autre dépendent d’incidences si subtiles qu’on chercherait en vain à en retracer le cours). Le Robert voit dans la chitine « une substance’ organique constituant le squelette des animaux articulés ». Pour le Larousse du XXème siècle elle est le « constituant principal de la carapace des arthropodes » ; elle n’a pas « été rencontrée chez les vertébrés », précise indûment ce dictionnaire. On la rencontre chez le vertébré femelle d’une sous-espèce coranique dont elle constitue à l’évidence (et à la consternation des démocrates) le constituant principal. Burqa chitineuse : la justesse et la drôlerie de cette métaphore me réjouissent. Chitine et tégument couplés imposent une référence aux insectes, notamment à ces insectes dont le tégument chitineux est aussi noir que celui de la burqa. Je nommerai en premier lieu le nécrophore germanique, d’abord parce que ces femmes à « voile intégral » semblent des nécroses de la féminité, portant leur propre deuil, ensuite parce qu’il est avéré que la sorte d’islam qui leur impose cet accoutrement a eu partie liée avec la plus noire des productions du peuple allemand, le nazisme. Je nomme ensuite le procuste chagriné, c’est, dit-on, le plus gros carabe européen, et en effet la femelle à burqa, s’il n’est pas certain qu’elle soit toujours chagrinée (se vantant même parfois de n’être à l’aise que sous sa carapace chitineuse) ni certain qu’elle soit toujours européenne (quoiqu’elle infeste actuellement l’Europe) peut passer pour une sous-branche arabique et monstrueuse des oryctes nasicorni. N’étant pas Jünger j’arrête là mon bestiaire de métaphores. Toutefois la burqa me faisant penser à l’armure ténébreuse des carabes ou scarabes je ne résiste pas à évoquer ici la métamorphose de Grégoire Samsa, le héros de Kafka, en une sorte d’énorme ptérostiche : « qu’ès aco ? », s’écrie-t-il dans une variante non retenue de la nouvelle, « me voici transformé en femelle à burqa ? » Kafka et burqa : Je rêve de mo’allaqât où Kafka et burqa feraient belle rime.

  • (avec enjouement)

Argument lexical et médiatique. Burqa n’est qu’un nom. Ce nom commun peut trouver place dans le paradigme français comme y trouve place Kafka parmi les noms propres. On sait, dès Aristote, que nommer en soi ne devrait pas susciter de débat. (A moins qu’un puriste souligne que le génie de notre langue ne tolère point ce mot barbare). (A moins qu’on s’interroge sur l’existence ou non de ladite burqa : mais, par Allah, elle existe ; des témoins l’attestent ; on l’a vue, on la voit, on la verra). En revanche c’est – je l’ai dit – dans le discours assertif qu’elle fait problème. Et c’est une autre raison de s’en réjouir. La masse d’assertions stupides qu’elle suscite depuis deux ou trois saisons relève du genre que le doctes appelaient jadis héroï-comique et dont Le Lutrin de Boileau est chez nous l’exemple le plus divertissant. Pour ou contre la burqa : la guerre des télés, des radios, des magazines, des partis, des clans dans chaque parti, des groupuscules dans chaque clan, des musulmans salafistes et des musulmans falsifistes, des chrétiens bénévolents et des chrétiens intransigeants, des laïques laxistes et des laïques drastiques, a battu son plein, bat son plein. Un dictionnaire des idées reçues sur la burqa attend son Flaubert. Mais un étudiant en mal de thèse, à défaut d’être Flaubert, pourra mettre en fiches le caquetage médiatique, oral ou écrit, des élites, je veux dire des bélîtres qui se sont exprimés, s’expriment encore sur le sacré voile.

3) (en pleine crise d’hilarité) Argument esthétique. On définit la burqa : voile intégral. Ainsi se préserve l’intégrité de la femme. J’y vois un autre avantage : quelle que soit la disgrâce des traits, l’indélicatesse de la croupe, l’ampleur des cuisses, l’affection cutanée, la burqa les dissimule ; une femme en burqa ne peut pas offusquer. Toutes égales : viande de port. Entre la carabosse et la cendrillon il n’y a plus de différence. Une société égalitaire se doit de rendre invisible la laideur si préjudiciable à tant de citoyennes, et de citoyens. La solution de la chirurgie esthétique est coûteuse. Une burqa, quoique j’en ignore le prix, coûte certainement moins cher qu’un travail d’artiste pour éliminer les comédons d’une apprentie Greta Garbo ou rendre plus court le nez des Cléopâtres présomptives. Aussi, loin de proscrire la burqa une vraie réforme des mœurs dans la tradition jacobine est appelée à la prescrire, et ce qui aux yeux de quelques réfractaires signale un déplorable excès du puritanisme mohammédique est à la vérité une des avancées les plus généreuses de l’islam vers un juste statut de la femme. Il s’agit donc non de tolérer le port de la burqa, mais de l’imposer, non seulement aux femmes musulmanes, mais à toutes les femmes, quel que soit leur âge, quelle que soit leur religion ou irréligion. Mais s’en tenir là serait encore une injustice. Pourquoi les hommes seraient-ils exemptés du voile égalitaire ? Saint-Simon écrit du comte de Coëtquen qu’il « était très désagréablement laid ». L’auteur de ces pages est lui-même aujourd’hui un vieux monsieur qui a honte de montrer son visage tavelé, ridé, fripé, qui éprouve des accès de virulente envie à voir des adolescents beaux comme des Kouroi. L’inégalité des âges est une des plus insupportables. Le port général et obligatoire de la burqa y portera remède. Serait-on chagrin parce que c’est la burqa, vêtement féminin ? Eh bien qu’un nouvel Yves Saint-Laurent de la démocratie vestimentaire façonne une burqa pour hommes, et qu’on l’appelle tabard, casaquin ou comme on voudra. A la femme-homard correspondra l’homme univalve (j’ai trouvé – eurêburka !) engainé dans son burgau. Carnavalesque ? Certes, mais quoi de plus égayant et égalitaire que le carnaval ?

4) (décidément gai) Argument philosophique. Carnaval ? ou tragédie ? Il est un autre argument pour justifier la burqa, sans doute le plus exquis (tant pis pour le principe égalitaire) : ces femmes caparaçonnées de housse noire ne laissent pas de représenter superbement la tragédie de vivre. Comparez-leur, je vous prie, un top-modèle de magazine ou un mannequin de grand couturier chaloupant dans une galerie de mode. Tout l’avantage est évidemment à ces Clytemnestres, à ces Hécubes en deuil perpétuel qui signifient comme il faut la détresse de la condition humaine et le malheur d’être née femme. Je puis invoquer en leur faveur une confidence de l’auteur de La Naissance de la tragédie : « toutes mes relations humaines  n’ont de rapport qu’avec un masque de moi-même ; il me faut être sans cesse victime de ce que je mène une vie entièrement dissimulée ». Victime ? Victimes ? Cela a tout de même une autre allure que le dévergondage, l’exhibition libertine, le contentement hédoniste et niais des midinettes fashionable..

5) (rébarbatif, mais …) Nietzsche, dis-je ? Oui, parce qu’il portait une moustache à la Bismarck devenue, dans ses dernières années, une vraie burqa du labre, couvrant tant elle était expansée mi-partie de sa face. Mais si l’on se pique de philosophie on verra qu’il y a en faveur de la burqa maintes raisons dont je veux, sans être exhaustif, produire quelques-unes. Que ces raisons ne s’accordent pas entre elles, il n’importe, et c’est même tant mieux. La burqa est un artefact si insolite, un concept si extravagant, une concrétion si surréelle qu’il est licite à son propos de faire feu de tout bois. Je veux retenir encore en sa faveur deux arguments qui se contredisent : a) L’une des toiles les plus célèbres du Titien représente, sous le titre Amour sacré, amour profane, deux femmes, l’une vêtue, l’autre nue ; or, des deux c’est, quoi qu’on dise, la femme vêtue qui donne à voir ses formes sensibles, et c’est bien ainsi, comme je l’ai déjà suggéré, qu’il est loisible d’interpréter la burqa : ce voile intégral est un ingénieux artifice pour découvrir l’exquise nudité féminine, plus sensible sous le tégument qu’exposée à cru. b) Epicure, selon l’auteur du De Natura rerum, « a retiré à la Nature tous les voiles qui la cachaient », a « forcé les portes étroitement closes de la Nature » : ce viol, c’est le péché extrême de l’épicurisme, et quoi de plus contraire à l’épicurisme que l’austère prédication coranique ? On sait que « sourate » signifie clôture, rempart, muraille ; la burqa est une sourate tissue. Ainsi remparée la femme n’est plus cette créature dont il est dit que sa ruse est énorme – kaïda °athimoun – elle est un fragment du Livre sacré.

(un certain sourire)… A la longue je ne sais plus si la burqa mintéresse du point de vue politique ou du point de vue poétique. A quoi elle peut faire penser m’engage dans une kyrielle d’images divertissantes. J’ai rencontré hier le mot latin integumentum.Tégument est reçu en français, intégument serait un néologisme qui me paraît décrire, mieux encore que tégument (dont je me suis servi) le feuilleté vestimentaire dans laquelle se trouve prise, comme dans un pâté en croûte, la femme hyperboliquement islamisée. L’integumentum joue son rôle dans les traditions ésotériques. On peut interpréter la burqa selon les concepts de Porphyre ou même de Philon. On peut y voir l’équivalent vestimentaire, à l’usage de la gent femelle, de la mystérieuse et prodigieuse monture – buraq, anagramme de burqa ! – enfourchée par Mohammed. Porter la burqa, ce n’est qu’en apparence s’envelopper d’un voile ; c’est, en vérité, franchir sous l’apparence d’un voile les soixante-dix mille voiles qui séparent la faible et frivole chair corruptible de la divine incorruptible Présence. A qui serait tenté d’interpréter le « voile intégral » comme une protection contre la femme ensorceleuse, tentatrice, suppôt de Satan il convient d’infliger au contraire avec le Coran que ce « voile intégral » est l’intégument qui tient secret non le sexe mais le Ciel même en son aspect féminin. Ecartons donc avec horreur quelque chose noir, ce titre obscène de Jacques Roubaud dont l’islamophobie se déclare assez par ailleurs en sa revendication d’un croissant qui ne serait pas islamique lunaire mais losangé et parisien, se manifeste encore avec une singulière impudence dans sa « conviction » affichée « de la perfection absolue du porc ». Retenons au contraire, pour illustrer la burqa de la mention la plus flatteuse qui puisse lui être décernée, la célèbre profession de foi de l’Isis de Saïs : « Je suis tout ce qui a été, qui est et qui sera, et mon voile, aucun mortel ne l’a encore soulevé ». Sachez-le bien, mortels : la femme à burqa, aucun homme ne l’a pénétrée, ne la pénètre ni ne la pénètrera.

 

(Interrogé sur la burqa Michel Onfray fait justement remarquer qu’en la circonstance « l’arbre cache la forêt », que ce n’est pas la burqa qui fait problème, mais l’islam dont elle est un symptôme ; il en profite pour dresser contre l’islam le plus juste des réquisitoires, signalant notamment son phallocratisme et son mépris de la femme. A ce réquisitoire l’interlocuteur de « RTL » tente de répondre par des atténuations ou des corrections moins biaisées que niaises. Tous deux, hélas, se retrouvent cul et chemise dans le prêt-à-porter des énoncés aussi captieux que paresseux sur la parité des religions, également intolérantes, paraît-il, et misogynes – évidente fausseté si l’on se donne la peine de comparer les Evangiles et le Coran. Puisque Onfray, pour la gouverne de son sot interlocuteur, a précisé avec force qu’il n’a cure des musulmans, que c’est leur Livre fondateur qu’il met en cause, où l’on découvre sans peine, pour peu qu’on s’avise de le lire dans son intégralité, non seulement la justification du voile, intégral ou non, mais celle de la misogynie, de la xénophobie, de l’esclavage, du meurtre des « cafards », la même rigueur d’analyse appliquée au Nouveau Testament devrait lui arracher l’aveu que la prédication du Galiléen n’est absolument pas confondable avec celle du Médinois, ne comportant aucune de ces clauses d’intolérance qui font de la « tolérance » entendue dans le sens islamique une sinistre supercherie.)

Un hasard de feuilletage (photo insérée dans un bouquin) me donne, à contre-burqa, l’image de ce qu’est, inconnue de l’islam, la foi chrétienne : une sculpture de l’Ecole française du XIXe siècle représente dans le marbre une allégorie de la Foi : c’est une tête et un cou de femme couverts d’un linge blanc crème à souples plissés ; le visage dans ces plis est apparent, doux, méditatif, pudique et serein. On le voit, il n’y a ici rien de ténébreux, rien d’interdit et d’agressivement réservé : c’est la grâce même, en sa féminité transparente et transcendante, qui loin de se dérober ou de se refuser, invite, sollicite discrètement. Il me suffit de poser l’une à côté de l’autre cette photo et celle d’une captive de la burqa pour évaluer les chances respectives de la femme, c’est-à-dire les déclinaisons du voilage, dans les sociétés de la Foi évangélique et de la croyance coranique.

Un autre hasard de feuilletage me permet de tempérer l’excessive émotion de ceux de mes compatriotes qui s’inquiètent de la multiplication des burqas au pays de saint Louis et du sacre de Reims. Je ne remonterai pas jusque là. Mais je fais remarquer à ces compatriotes que la burqa se portait déjà couramment à l’époque du roman balzacien ; on peut lire, dans Splendeurs et misères des courtisanes, la notation que voici : « Il est peu de flâneurs qui n’aient rencontré cette geôle roulante » ; Balzac note aussi qu’on l’appelle « panier à salade » ; il était donc alors déjà banal de rencontrer sur les marchés parisiens – pour la province je ne sais – de ces femmes voilées intégrales portant un couffin chargé de chicorée ou de mâche. De là ce sobriquet. Plus près de nous il est intéressant de noter que le jeune René-Guy Cadou écrit en 1940 dans un poème de son recueil Morte saison qui n’a pas été inspiré par nos chères « banlieues sensibles » (il y avait d’ailleurs alors moins de banlieues qu’aujourd’hui et leur sensibilité était moins chatouilleuse) : « un œil ouvre sa grille » ; à l’évidence il a croisé une femme à burqa et celle-ci un tantinet coquine lui a jeté une œillade, ce que la locution ouvrir sa grille rend avec espièglerie.

 

 

 

 

 

           CHRISTIANOPHOBIE

 

30 septembre 2014,

J.S. à Monsieur Adrien Chaboche, secrétaire général des éclaireuses et éclaireurs unionistes de France

 

 

Monsieur

 

Un jeune garçon très affable m’a proposé dimanche votre calendrier 2015. En lui donnant les 5 euros qu’il me demandait (« ou plus », a-t-il ajouté avec esprit) je l’ai prié de le garder. Il a insisté, comme mû par une inspiration divine, pour me le mettre en main. Comment refuser quoi que ce soit à un enfant ? (Voir l’Evangile).

La consultation de ce calendrier m’a plongé dans une stupéfaction douloureuse. Je crois de mon devoir de vous en faire part. J’ai constaté en effet 1) que  les saints en étaient expurgés, sauf Georges (dont la biographie est plus légendaire que fondée en histoire !) – mais cette absence pouvait m’attrister, non m’étonner de la part de protestants ; 2) que les grandes fêtes juives y étaient mentionnées, et cela je l’approuve car nous sommes bien (nous nous croyons du moins, nous autres chrétiens) les héritiers du judaïsme,

mais … mais  3) qu’y étaient mentionnées aussi les grandes fêtes musulmanes, l’une d’elles même, 3 janvier, inaugurant la liste.

Alors, permettez-moi de vous représenter

  1. a) que le Coran n’a pas été conçu et propagé comme un supplément à la Bible, mais, celle-ci selon Mahomet étant falsifiée par les juifs et les chrétiens, comme un substitut qui la rend caduque, périmée, irrecevable,
  2. b) qu’au 24 septembre l’Aid-el-Adha commémore, pour la plupart des musulmans, le sacrifice d’Ismaël, et non d’Isaac,
  3. c) qu’au 16 mai la « Lailat al Miraj » commémore (soyons lucides, soyons critiques éclairés) une coquecigrue, un conte en l’air (un gros bobard) ; il doit en résulter pour tout lecteur attentif de votre calendrier que l’ensemble des événements qui y sont consignés mérite la suspicion ; ainsi l’on est fondé à soupçonner que la résurrection de Jésus-Christ (5 avril), son Ascension (frottée, le 14 mai, à la fameuse Lailat al Miraj) sont elles aussi des coquecigrues, des gros bobards.

 

Bref,  je découvre avec ce calendrier que les éclaireuses et éclaireurs unionistes de France préfèrent l’islam au catholicisme, Mahomet (« Faux Prophète », écrivait Claudel) à n’importe quel saint (fût-il le prophète Jean-Baptiste), qu’ils préfèrent enfin, au prix d’un captieux amalgame, une mayonnaise des religions dites (faussement) « du Livre » (ce n’est vrai que pour l’Islam) à l’œcuménisme. Quel recul ! Quelle gifle à Karl Barth, à Bonhoeffer, à « bien  d’autres encore »… ! Et quelle candide illusion …ou (je frémis d’y penser) serait-ce une subreptice complicité avec les traîtres qui s’emploient au gouvernement et dans les médias à faire de la France un pays où Colombey-les-deux-Eglises deviendrait Colombey-les-deux-Mosquées ?

 

Pardonnez-moi, Monsieur, si ces remarques vous semblent un peu rudes. Croyez bien que je ne suis pas belliqueux de nature, que mon souci serait d’établir entre les êtres humains, quelles que soient leurs divergences, un climat de paix.  Mais vous ne pouvez ignorer que s’il y a nombre de musulmans pacifiques et s’il y a dans le Coran nombre de versets …évangéliques (c’était la pensée de Nicolas de Cuse), on y trouve aussi de quoi nourrir le pire fanatisme.

 

En toute cordialité, mais non sans inquiétude !

 

(Monsieur Chaboche m’a répondu avec courtoisie, mais dans le style melliflu assez usuel dans les milieux chrétiens. Sa grande idée est la fraternité universelle. Je ne puis l’en blâmer mais j’aurais pu dans une réplique dont je me suis abstenu lui représenter que les catholiques en sont exclus).

 

 

PRENEZ VOS RESPONSABILITÉ, MONSIEUR VALLS

 

Monsieur Valls a eu l’imprudence – je n’ose dire l’impudence – d’exhorter Monseigneur Barbarin à prendre ses responsabilité. Celui-ci a eu la courtoisie, voire la

charité, de ne pas le moucher. Moins courtois, moins charitable, j’exhorte, moi,   monsieur Valls à prendre les siennes et de surcroît à ne se mêler, comme on dit familèrement,

que de ses oignons. Puisque le sujet de la « pédophilie », c’est-à-dire des atteintes portées à l’enfance, le préoccupe tant, je lui conseille

1) d’assainir un peu l’atmosphère médiatique : la pédophilie n’est certes pas louable, mais tolérer qu’on ne parle que de ça (aux infos, hier ou avant-hier, le gros titre, c’était : un chauffeur de car écroué

pour attouchements sur mineurs) c’est redoubler le mal  par une infection des esprits généralisée  (détournant ainsi l’attention de problèmes infiniment plus graves) et encourager un maccarthysme déshonorant pour notre démocratie

2) de remettre en cause le concept stupide de mariage pour tous dont les conséquences sur la famille et donc les enfants, soulignées par nombre d’études sérieuses, sont insondables et assurément néfastes

2) de s’inquiéter du développement de la cyber- pornographie sur Internet  ; on apprend que …fleurissent les publicités trash sur les plateformes de

téléchargement, que des vidéos circulent sur les smartphones jusque dans les cours de récréation ; bref les enfants sont exposés de plus en plus tôt à voir, comme dit le jargon d’ambiance, des « scènes classées X » . N’est-ce pas une forme de viol, monsieur le ministre, et qui touche non Gaston ou Sophie, mais tout un peuple d’enfants ?

3) de mettre un frein aux velléités ou volontés d’instruire les enfants dès l’école maternelle aux choses du sexe. Bon sang! L’admirable consigne de Rousseau – « il faut laisser mûrir l’enfance

dans les enfants » – n’a-t-elle pas un sens admirable, évangélique (il est vrai que vous avez honte d’être chrétien) ?  Si nos mimis dès avant la puberté savent tout sur le zizi et la zézette et le trafic qu’on peut en faire, je ne vois pas quels reproches posthumes on pourrait adresser à Tony Duvert.  René Schérer, Gabriel Matzneff ont raison : des enfants dont on a pourri l’enfance n’auront guère à souffrir d’adultes touche-à-tout

4) de mettre un autre frein à ses naïvetés concernant l’islam : vous croyez (faites semblant de croire), monsieur le ministre, que l’islam est compatible avec la démocratie : j’en doute ; en revanche qu’il soit compatible avec la pédophilie, de cela il n’y a pas le moindre doute puisque le fondateur, « beau modèle » selon la parole divine inscrite dans le Livre, enfila – Allah est grand! !- la petite Aïcha âgée de neuf ans. Allons-y gaiement!

 

 

UN CAS DE BEATISE

 

Ce vendredi matin 25 avril un jeune homme me tend, place du Capitole, avec de prestes vœux de « bon week-end », le journal « Metronews », dont les « news » sont niaises à souhait, il le faut. Aussi le feuilleté-je si je puis dire au pas de course, mais mon œil est attiré en page 4 par le titre ROME BEAT DEVANT SES PAPES, qu’illustre une photo composite où l’on voit Jean XXIII, Jean-Paul II et on le devine Benoît XVI. Mais il y a en sus un intrus, une sorte de Taubira mâle, au premier plan, comme un bourbillon en voie d’obombrer de son ironique noirceur les « deux papes » (je cite) « en voie de sanctification ».

S’ensuit un article décemment bâclé comme il s’en fait jour après jour j’imagine des millions de par le monde et même Le Monde, mais ce qui n’a pas été bâclé c’est comme pour servir de base à cette actualité religieuse le fait divers judicieusement choisi d’ »un pèlerin tué par une croix du Christ ». « Cela ressemble », note le jubilant chroniqueur, « à un châtiment divin. Un jeune pèlerin de 20 ans est mort hier écrasé dans l’effondrement d’une croix du Christ de plus de 30 mètres. Cruelle ironie /…/ ». Ce chroniqueur se gardera, soyez sûrs, de signaler d’autres cas de « cruelle ironie », en Syrie par exemple où des jeunes chrétiens parce que réfractaires à la « shahada » sont crucifiés, selon le témoignage de sœur Raghid, par les héros du Djihad.

Que conclure de tout cela ? Evidemment que la croix ne peut rien contre la cruauté, que les papes sont de grands imposteurs, que le grand cirque du Vatican pontifical ne mérite que dérision, mais … voici les news du jour, et … « bon week-end ». Ah ! Ici, mon pote, je m’insurge. Pas de ouiquinde pour moi, le sabbat, le dimanche. C’est un dimanche, ce dimanche dit de la Miséricorde, que sont canonisés Jean XXIII et Jean-Paul II. Guido Ceronetti (au reste fort peu papiste) : « Le sabbat est le fils de la sagesse, le week-end l’enfant du désespoir ». Le même, dans un beau texte intitulé Mort de la prière, où la béatise assiégeante, embastillante des médias dont « Metronews » est une émanation parmi d’autres est clouée sur la croix d’un lumineux diagnostic, écrit ceci : « Dans l’air s’agitent des mots en quantité épouvantable, et ce sont tous des mots d’épouvante, qui assaillent l’homme, qui nous désagrègent : mêlés à ces mots, il y en a aussi d’autres, venus des psaumes, emprisonnés dans cette foule de sons homicides comme le Christ porte-croix de Bosch, irradiant /…/ ».

Quant aux news … Je relève, en vrac : les bonheurs du festival de Bourges où the Strypes ont donné une leçon de rock, où Carbon Airways a produit un électro choc ; l’heure imminente de la finale pour le « Bachelor », où s’affrontent, subjuguées par le mec Paul, (« physiquement super canon ! »), la douce Elodie et Alix la piquante (non ! c’est l’inverse). Et quoi encore ? N’en jetez plus.

Quant aux béatifiés du Vatican, on s’en torche.

La béatise bat son plein. Na !

 

« Quand je veux savoir les dernières news » (non, nouvelles), écrivait Léon Bloy, « je lis saint Paul ».

 

LE JEU DE CACHE-CRECHE

 

(De crache-crèche ? On la méprise. De rache-crèche ? On a, quand on la voit, des éruptions du cuir chevelu[21]. D’ache[22]-crèche ? Elle provoque des algies)

 

Napoléon était allergique au chat, la France laïque est allergique à la crèche.

 

Une crèche à Paray-le-Monial installée dans le hall d’accueil de la mairie en a été retirée à la suite d’une plainte déposée par la « Ligue des droits de l’homme ». Méditant cet incident, au lendemain de Noël, sur des chemins aérés de Cerdagne j’ai d’abord pris feu et réagi avec une violence qui ne m’est que trop coutumière. (Le titre ci-dessus signifie la décision ultime de traiter la chose sur le mode comique).

Mon premier brandon fut celui-ci : la « Ligue des droits de l’homme » serait-elle si chatouilleuse ès matières familiales que lui répugne l’exposition publique d’un bébé ? « Imbéciles », proférai-je en ma véhémence, «la crèche, n’est-ce pas, évangiles mis à part, la célébration du couple et de l’enfant, de la fraternité de l’homme et de la bête, n’est-ce pas l’appel le plus gracieux qui soit à ces exclus que sont les bergers ? Imbéciles, vous ne voulez pas de la crèche dans les lieux publics, eh bien moi je n’y veux pas des trombines du show-biz ou de la politique. Mon intolérance est-elle moins tolérable que la vôtre ? » Je formai le vocable cocasse et injurieux d’imbélaïcilité. (C’était, je le répète, une irruption de colère pyrénéenne). Je soulignai enfin que Paray-le-Monial est un haut lieu dévotionnel ; superstition catholique ? mariolâtrie ? Soit. Mais pourquoi agresser des gens, les mettre en quelque sorte au ban de la communauté nationale, quand leur seul tort est de prendre plaisir à une maquette de la Nativité ? On sait que la crèche est une invention de François d’Assise, le plus fraternel, le plus pacifique des hommes. Elie Faure, peu suspect de sympathies cléricales, dreyfusard, antifasciste, mais intelligent, voyait en le Poverello naître un nouvel âge du christianisme. L’offensive de la bigoterie laïque contre les crèches l’aurait consterné.

Voilà la coulée de ma lave éruptive. Je voudrais, en cette année 2017 qui commence, éteindre ou du moins mitiger mes brûlots et montrer plus d’égards à l’endroit des individus et des clans dont la pensée ou plutôt l’absence de pensée me répugne. Car l’invective, le sarcasme, la raillerie, le brocard, ce mépris dont Chateaubriand disait qu’il faut en être économe tant il y a de nécessiteux, ne résolvent rien[23]. La question troublante est celle-ci : comment une « Ligue des droits de l’homme » recrute-t-elle ? Qui sont les individus qui s’y enrôlent ? Quelle est l’histoire personnelle de chacun de ses membres ? Comment sont-ils déterminés ? Quel climat délétère les voue à ce …fanatism, cette paranoïa ( soulignait une musulmane) ? Je puis les excuser, les pardonner, ce trois janvier, ayant en mémoire deux mots lumineux, l’un de François de Malherbe l’autre de Joseph de Maistre. « Il est des cervelles à fausse équerre », note celui-là, «aussi bien que des bâtiments ». Et celui-ci : « Ce ne sont point les hommes qui mènent la révolution, c’est la révolution qui emploie les hommes ». Ces deux pensées sont de portée fort inégale. La première n’est que le constat cruel mais banal que penser juste, avoir l’esprit bien bâti n’est pas donné à tout un chacun : se rebiffer à la vue d’une maquette de Jésus-Marie-Joseph dans la grotte de Bethléem signale à l’évidence une « cervelle à fausse équerre ». La seconde ouvre une perspective globale sur les mécanismes de l’Histoire : ces gens qu’une crèche rend maussades sont les héritiers d’une révolution dont les dernières cendres ne sont pas tout à fait éteintes, ce sont les épigones du jacobinisme pas (encore) mort, ce sont les victimes d’un syndrome mental analogue à quelque chose comme le syndrome neuro algo dystrophique. Tout ce qui est chrétien, plus exactement catholique, est immédiatement perçu par les Ligueurs comme anti républicain, donc inadmissible. Il s’agit, il faut bien le comprendre, d’une pathologie de civilisation, d’une sorte de leucémie spirituelle ; le sang du Christ qui irriguait la France de saint Louis (ceci est un symbole), encore (un peu) celle de Louis XVI, s’est corrompu, les cellules blastiques se sont multipliées ; la Ligue des droits de l’homme n’est qu’une des manifestations symptomatiques

de cette infestation ; nul de ses membres, en tant que tel, ne doit être jugé sans indulgence.

Mais, cela concédé, je voudrais représenter à ces Ligueurs, à propos de la crèche municipale de Paray-le-Monial, dont l’interdiction (demandée et accordée par une Instance juridique) peut servir de test de détraquement spirituel et intellectuel, l’énormité de leur indécence et de leur aberration. « Il n’y a aucune tradition de crèche en Bourgogne », prétendent-ils. Je doute du bien fondé de cet énoncé mais quand même serait-il vérifié je ne vois aucun mal à ce que cette province, jusque là privée de crèche, ne répare pas ce manque et n’accueille avec joie les santons de Provence. Mais on sent bien que cet argument traditionaliste est captieux. Le vrai motif de la Ligue est découvert par son avocate, Sophie Mazar, pointant ce mot du maire dans le journal municipal de Paray, pour le dénoncer : « la religion doit avoir sa place ». Il est scandaleux, pour cette sorte de gens, que la religion ait sa place ! Elle est un résidu de mentalité primitive dont il importe de se débarrasser. Or si c’est bien ce qu’on a cru il y a un siècle dans un accès de crédulité produit par les succès de la science, il faut aujourd’hui, sauf à s’enfermer dans une mythologie laïciste, le décroire. Un penseur aussi peu soupçonnable de dévotion que Régis Debray ne fait pas mystère aujourd’hui du constat, vérifiable par tout homme que n’enténèbre pas le préjugé rationaliste, que les religions ne sont pas mortes et que ne pas leur faire une place dans la société c’est vouer celle-ci à des routines ludiques ou des utopies mortifères. Notre pays expérimente que détruire le christianisme n’est pas anéantir la religion, mais substituer à celle des apôtres, au moins à titre transitoire, celle du prophète mecquois (laquelle – entre nous soit dit – au moins chez ses fidèles de bon aloi, ne peut être allergique à la crèche).

La frilosité, pour ne pas dire l’animosité des Ligueurs à l’endroit de la crèche a trouvé, pour n’être pas trop scandaleuse, le subterfuge de la tolérer en lieu public si elle est culturelle, artistique ou festive. L’important est qu’elle ne soit pas catholique. A quoi j’oppose : 1) qu’il est loisible à n’importe quel agnostique, laïciste ou sceptique de la tenir pour culturelle, artistique ou festive, la vidant ainsi, par une élémentaire décision ou une indifférence préméditée, de son aura religieuse ; la Sainte Famille n’est plus alors qu’une famille ordinaire, papa, maman, bébé, et la crèche peut alors charmer le poète Yeats comme son traducteur Bonnefoy, chrétiens ni l’un ni l’autre, mais l’un et l’autre saisis par «the uncontrollable mystery on the bestial floor », trop puissamment intuitifs pour circonscrire le mystère de Bethléem dans les catégories laïques de la culture, de l’art ou de la fête. 2) On craint le prosélytisme ? Mais le prosélytisme n’est-il pas partout dans un monde où l’image et le bavardage se conjuguent pour soumettre les cervelles à « fausse équerre » ? La Pub, la Politique sont des entreprises de prosélytisme à tous crins ; leur impudence n’a pas de limites. On est tympanisé depuis des mois, en vue des prochaines élections, de discours séducteurs, enjôleurs, suborneurs, intolérants à l’extrême, chaque candidat au poste présidentiel professant du haut de ses Cieux intimes, comme inspiré par l’archange Gabriel, sa parole tyrannique (voire coranique) camouflée sous des dehors émancipateurs. Eh bien, ne pourrait-on considérer l’apostolat comme une variété de Pub ou de Propagande ? Pourquoi ne pas tolérer les produits évangéliques comme on tolère les produits de Carrefour Market ? On vous tente avec le bonnet Audio Beanie ? Pourquoi, vous qui avez des oreilles pour entendre, ne pas être tenté par la parabole des talents ? Puisque le style connecté est recommandé en mercatique pourquoi l’interdire en religion ? Le danger de fanatisme, j’insiste, est partout[24] ; la mode, le must persécutent ; le commerce n’est pas moins persécuteur que ne le fut le christianisme en sa pire période ; ses guerres ont fait, font des millions de victimes. Il y a un fanatisme Adidas, un fanatisme Nike ; le commerçant d’Apollinaire, émule des égorgeurs de Daesh, coupe des têtes de mannequins parce qu’ils ne se vêtent pas – je corrige le poème – comme il faut qu’on se vête[25]. Il y a surtout une mainmise totalitaire sur certains produits et certaines régions de ces pieuvres qu’on appelle les « multinationales ». La Ligue des droits de l’homme, elle, est une modeste pieuvre de sectarisme laïque, qui tue par l’exeat ou l’omerta.

« Que tout homme qui défend ses opinions par des paroles et des œuvres de violence soit considéré comme un ennemi de notre civilisation actuelle, ou du moins comme un arriéré ». C’était un vœu de Nietzsche. Il ne me semble pas qu’exposer une crèche, fût-ce dans une mairie, soit une œuvre de violence ; c’en est une, en revanche, que de l’interdire, ça trahit une virulente intolérance, une arriération mentale, lâchons le mot une barbarie. L’inhumanité de cette interdiction est d’autant plus obscène, d’autant plus attentatoire aux vrais droits de l’homme que la crèche de Paray-le-Monial a été faite, avec amour on s’en doute, par des handicapés de Bethléem.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

TAOÏSTES OU VOLTAIRIENS

 

 

Lie-tseu rapporte l’anecdote d’un prince feudataire chinois qui, prié de prouver sa force par le roi Siuan de Tcheou, se dit capable de briser une cuisse de sauterelle ou de porter les ailes d’une cigale.

Nos médiacres sont taillés (je crois, j’espère) sur ce modèle : taoïstes de subtil exercice. Presse écrite, bulletins de radio ces dernières semaines ont donné lieu (il s’agissait des élections européennes puis de l’affaire Bygmalion) à une logorrhée de débats superlativement creuse, à une inflation exceptionnelle de caquetages, à une énurésie de stéréotypes. J’entendais notamment sur nos chaînes publiques parler de la « Démocratie » par des êtres dont le zèle pour cette grande Dame semblait dû à l’application sur leurs génitoires  cérébrales d’un vibro-masseur idéologique. Des heures et des heures d’émission, des pages et des pages de journaux étaient dévolues par ces démocrates à s’interroger sur la victoire « nauséabonde » (sic) de Marine Le Pen, sur les chances ou non de Sarkozy de s’en tirer puis de tirer la France du cul-de-sac où la fourre son actuel catastrophique président, etc.

 

Il y a, en ce juin, pire. L’approche du « Mondial « de foot produit dans les mass media une incontinence de puérilités, un débordement de niaiseries plus désastreux sur le plan mental  que sur le pays bigourdan la grande crue 2013 de la Garonne. Ainsi ne tarit-on pas (c’est un exemple) de considérations angoissées sur le cas de la « mégastar » Ribery. Ira-t-il à Rio ? Autour de lui, plus exactement de son rachis, s’épaissit chaque jour le « mystère » ; le « staff » des Bleus s’inquiète ; certes son hématome du nerf fessier a été opéré avec succès, certes il peut kiffer, certes il peut beugler « pep pep pep », certes il évacue son spleen sur le jeu « Call of duty » ; mais le tabloïd Bald lui inflige une mauvaise note et l’on craint qu’il n’ait « un coup de mou dans la tête » (allusion insidieuse à sa conversion à l’Islam ?).

…. N’insistons pas. L’hypothèse où les journalistes, politiques ou sportifs, prendraient au sérieux de tels pipis gouttant de leur vessie mentale doit être rejetée : elle signifierait une grave infection, une cystite pour le moins de l’organe pensant. Je les soupçonne d’être des Lie-tseu de la presse, qui nous lâchent des giclées de balivernes comme faisait par moquerie le prince feudataire chinois.

Taoïstes ? Ou seulement voltairiens, qui servent à la racaille (lecteurs du Monde  etc. auditeurs d’Europe 1,… etc. ) une miction de déchets informatifs et se réservent, égoïstes et gourmands, la dégustation des nouvelles et des commentaires dignes d’intérêt ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SEPT JANVIER   UN EVENEMENT

 

 

Und zumal, dass ich dem Geist des Schwere feind bin,

Das ist Vogel/Art

(« et c’est surtout parce que je suis ennemi de l’esprit de lourdeur que je suis comme un oiseau »)

 

Le sept janvier je me trouvais en Bigorre, la journée était belle, je fis une promenade, et se produisit l’événement de l’oiseau que je raconte ci-après. Le soir du même jour, étant à l’hôtel (Beau Site, ô combien, et fort bien tenu par monsieur et madame Taik-Colpi) je disposais dans ma chambrette d’une télé. (Je précise que tolérer chez moi un pareil bidule me rendrait mélancolique, j’ai appris de sa propre bouche que Nathalie Nothomb pensait de même et j’en ai aussitôt conçu pour elle une affectueuse admiration ; la télé dans mon appartement ce serait l’oiseau d’ébène dans la nuit plutonienne du fameux poème d’Edgar Poe). J’allumai la télé pour et seulement pour connaître la prognose météorologique ; j’appris alors l’événement de la rue Nicolas Appert. Du heurt de ces deux événements, l’un bigourdan, l’autre parisien, l’un produit par une lapidaire petite boule à plumes, l’autre par une conjuration de représentants des pouvoirs politique et médiatique dissertant sur l’exploit de deux gaillards rébarbatifs , jaillit l’étincelle qui alluma mon feu de verve.

J’achevais alors un petit travail, fruit de réflexions menées à loisir sur les sentes du Vercors –« seules les pensées qui vous viennent en marchant ont de la valeur »– dont l’auteur de L’Antéchrist était l’objet. Tout d’un coup il me prit la fantaisie d’imaginer Nietzsche d’abord me faisant un brin de conduite en Lavedan puis confronté aux « informations » de vingt heures, donc au numéro de bouffonneries involontaires improvisé par les Instances du pouvoir. J’éclatai alors d’un accès d’écumeuse hilarité : un team exceptionnel de pouacres[26] à diplômes, m’écriai-je ; ils illustrent à merveille cela que Zarathoustra appelle le « dernier homme ». Je me rappelai un ex-ministre dont il est charitable de taire le nom assurant qu’en 1789 était né un « homme nouveau » ; je me gaussai de cette couillonnade qui m’avait inspiré un brûlot impubliable (paraît-il) et j’’imaginai le fou-rire, la crise homérique d’hilarité, le hoquet de jubilation dionysiaque qu’eût suscités une telle ineptie chez l’auteur d’Ecce Homo.

Quelques jours se passèrent. J’appris qu’un nouveau numéro de l’hebdomadaire Charlie Hebdo était en imminence de paraître, où l’on verrait en première page un portrait satirique du Prophète sommé de la mention TOUT EST PARDONNÉ. Tout est pardonné ? Comme je ne m’attelle jamais à la charrue de l’écriture sans me faire tirer par Nietzsche et Valéry, ces deux bêtes de labour qui sont plutôt des léopards tirant le char de Dionysos ou des aigles entraînant dans l’air des intelligences de haut vol, j’eus tôt fait de repérer sur la notion de pardon une « mauvaise pensée » de celui-ci, un aphorisme de l’autre et de les confronter à la pensée évangélique qui me paraît à ce sujet avoir dit à jamais le dernier mot. Nietzsche, dont il va de soi qu’on ne puisse imaginer qu’il puisse accorder à la notion de pardon la moindre indulgence, devait être migraineux, nauséeux, bref mal inspiré quand il s’efforça dans Humain trop humain d’affirmer, péremptoire comme il l’est à l’accoutumée, qu’on ne doit ni ne peut pardonner : le souffle court, le génie éteint ne produisirent alors que de brèves contorsions mentales en guise d’argumentation. Valéry me parut plus subtil, plus ingénieux, plus retors ; je décidai, sur la voie de contester l’impudent TOUT EST PARDONNÉ de Charlie Hebdo, de faire du côté de chez lui un petit détour.

 

TOUT EST PARDONNÉ

 

« Quel excellent exercice d’assouplissement que le pardon des injures ! /…/ « Je te pardonne », c’est-à-dire : je te comprends, je te circonscris, je t’ai digéré /…/ » On ne saurait concevoir conception du pardon plus dissonante avec celle que recommande le Pater et plus discordante avec celle de saint Thomas d’Aquin pour lequel un acte de vrai pardon est plus grand que la fabrique d’un monde. Je n’oserais me substituer ici à l’Aquinate et ajouter un article de discussion à sa Somme théologique. Je me contente, modeste mais ferme et net, de quelques remarques d’honnête bon sens. Il ne s’agit de rien de plus, rien de moins que de moucher un paradoxe : la littérature y perd, y gagne l’humble, l’ancillaire vérité. Pardonner, un exercice d’assouplissement ? Cela peut être pris comme tel quand on s’intéresse dans toute relation, en invétéré Narcisse, d’abord et enfin à soi ; il est plausible en effet que le ressentiment, l’esprit de vendetta durcissent, tétanisent, interdisent la grande santé. Pardonner pour se bien porter : soit. Encore que … Mais il n’est pas douteux que le pardon des offenses préconisé par le Pater et l’acte magnifique du pardon tel que le conçoit Thomas d’Aquin ne visent pas en premier lieu le maintien ou le rétablissement de la santé physique ou psychique de qui pardonne mais sa collaboration à l’œuvre sublime de « ceux qui voudraient faire du mal le bien », comme dit le Vieillard de Macbeth, « et des ennemis des amis »., and friends of foes. Mais surtout comprendre quand on pardonne ce n’est pas circonscrire qui relève de la poliorcétique, digérer qui relève de la diététique  – images absolument étrangères à ce qu’est en vérité, s’il est « sincère », le pardon. Etait-il assoupi, Valéry, quand il s’exerça à cette définition spécieuse, paresseuse ? Etait-ce le résultat assez pitoyable d’un de ses « tâtons du matin » ?

Mais sur ce sujet du pardon l’offensive de l’esprit voltairien n’a de cesse que d’en remettre  couche après couche. « Je ne parle pas de vengeances ni de pardons », dit Borges, « l’oubli est la seule vengeance et le seul pardon ». Cet impie qui récitait chaque jour le Pater pour obéir à sa maman estimait donc aberrant le seul devoir exigé du fidèle par le rabbi de Nazareth soupçonnable donc d’être un piètre connaisseur de l’âme humaine. On s’étonnerait qu’en revanche Valéry juge le Pater un « texte d’une perfection et unicité absolues » – dithyrambe à mon avis excessif -, si ce prix d’excellence, accordé au Christ quelque trente ans avant la susdite mauvaise pensée, ne clouait pas au pilori par contraste la répétition hypnotique du Pater « à la dizaine » (il s’agit du chapelet). Camus lui-même, en son affectation de mépris des mesquines façons chrétiennes et sa sournoise parade de grande santé spirituelle note dans un Carnet : « Vous avez remarqué qu’il y a des gens dont la religion consiste à pardonner toutes les offenses et qui les pardonnent en effet, mais ne les oublient jamais. Je n’étais jamais d’assez bonne étoffe pour pardonner aux offenses, mais je finissais toujours par les oublier ». Parole hardie que dément une existence confrontée aux railleries inoubliables de l’adversaire politique, et parole contredite dans La Chute où si l’idée de « pardonner au pape » relève de la parodie comprendre sans pardonner ressortit à la tristesse ontologique, où s’exprime le vœu d’une religion qui fût une « entreprise de blanchissage », où enfin se pardonner à soi-même serait l’aurore d’une rédemption. Je me rappelle encore le mot lumineux de Paul Viallaneix qui lors de ma soutenance de thèse et comme pour condenser mon propos définissait  Le Premier Homme comme une œuvre de pardon. C’est que Camus, alors, ne joue plus à l’esprit fort.

L’esprit fort ne pardonne pas, il oublie : c’est un des articles majeurs de sa pub. L’exercice de pardonner, selon l’esprit fort, est même plus sournois que ne le laisse entrevoir la malice de Valéry. Il procède du ressentiment. C’est parce qu’on mâche et remâche sans la digérer l’injure reçue que l’on s’exerce pieusement à pardonner. Telle est l’arrière-pensée de Nietzsche, quand il y va de sa pointe contre le pardon en attaquant la sublime parole du Christ : « pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Valéry achève son hommage à Voltaire par l’énoncé en lettres capitales « ILS NE SAVENT CE QU’ILS FONT », sentence évidente, écrit-il. Il est non moins évident qu’il a omis « PARDONNE-LEUR ». On voit bien pourquoi si on l’a un tant soit peu suivi sur les grandes avenues de son royaume mental : « ils ne savent ce qu’ils font », c’est cracher son mépris ; « pardonne-leur », ce serait s’abaisser à une indulgence compromettante pour l’intellectuel sidéral qu’on se pique d’être.

Mais le pardon n’est pas du tout ce que Valéry prétend qu’il est. J’aurais envie de lui dire, puisqu’il se plaît aux métaphores, que le pardon consiste à couper le cordon ombilical des flatulences rétorsives. Ou, sans métaphore qu’il s’agit en pardonnant d’annuler, de réduire à rien le dommage dont on est victime et le réduisant à rien pour soi-même de le réduire à rien aussi chez l’agresseur. Quand on dit « je te pardonne » le toi visé est celui du pardon, exclusivement ; ce que l’on comprend, qu’on circonscrit, qu’on digère, c’est le tort, la faute, non la personne. Oui, on peut alors considérer celle-ci « selon la justice, et même avec bienveillance », mais justice et bienveillance n’incluent nullement, excluent au contraire absolument une quelconque prise sur la personne que l’on abandonne à son karma et à l’ordre de l’univers. Je dirais en ce qui me concerne que mesurant à la fois le prodige que c’est de pardonner (quoi qu’en pensent les esprits forts) quand on est atteint dans ses œuvres vives (ce peut être une grave blessure morale ou physique, le meurtre d’un proche), je serais secouru dans un acte de pardon sans nul doute alors héroïque par la considération que l’agresseur si odieux soit-il a été un môme, sera un mort condamné à l’innocuité, à l’innocence. Ainsi le misérable Coulibaly, à propos duquel la notion de « délit de facies » ne s’expulse de l’esprit qu’avec effort et qui vient tristement d’alimenter la chronique des faits divers, lui aussi fut un bébé langé par une mère, et le voici désormais réduit à la plus totale impotence. Considérer tout être humain en sa prime enfance et en sa dernière échéance, est-ce le comprendre, le circonscrire, le digérer ? Non, c’est au contraire l’expulser de toutes les déterminations de la sensibilité immédiate ou de l’idéologie, c’est le rendre hors de toutes prises à l’ineffable manière et matière d’être qui fut la sienne tout d’abord et qui sera (qui est déjà pour ce Coulibaly, couic !) la sienne enfin. En décidant de considérer un être humain au berceau et au tombeau j’excède doublement le pouvoir de l’intellect déterminant. Ainsi la crèche et la croix sont les deux figures, inscrites dans la Bonne Nouvelle, d’un excès de tout être humain sur tout ce qui peut en être dit par les savoirs fatalement arrogants de l’esprit scientifique, technique ou politique. Si je vois ce Coulibaly, tel que la presse ou le petit écran me le montrent, si je discerne un tant soit peu le faisceau des lâchetés, des inadvertances, de la fausse commisération qui ont conduit à le rendre libre pour le rendre meurtrier, pardonner ne m’est aucunement possible ; je profère en mon for intime contre lui une fatwa d’exécration, le voue à l’un des sept enfers coraniques. Mais me voici en prière, à la chapelle saint Jean-Baptiste, assistant à un office que le crétinisme officiel (cela aussi est à pardonner !) dirait intégriste. Un jeune couple dépose devant moi, sur deux chaises, la nacelle d’un petit Moïse, un délicieux bébé aux yeux limpides, aux menottes délicates, au front caressé par un nimbe de cheveux blonds. Que deviendra cet être minuscule ? Un Mozart ? Un Einstein ? Un terroriste ? Il est évident qu’il n’y a rien à lui pardonner, et il est évident qu’un fanatique qui le tuerait en criant « Allah akbar » serait, lui, absolument impardonnable, sauf si l’on considère en un énoncé majuscule qu’IL NE SAIT PAS CE QU’IL FAIT. Je ne le comprends pas alors, ne le circonscris pas, ne le digère pas : je le restitue à la dignité d’homme qu’il a perdue et (soit dit entre parenthèses) je lui accorderai la grâce d’une exécution capitale qui puisse la lui restituer. Mais j’imagine que je suis un jeune père, que mon petit garçon est assassiné au berceau par un quelconque Coulibaly, aurais-je la santé spirituelle d’un Borges, d’un Camus qui se targuant d’oublier se jugent par là même au-dessus du pardon ? Ou bien de pardonner ferais-je, comme l’insinue Valéry, un exercice confortable d’assouplissement ? …

Il faut en revenir à la sentence de l’Aquinate, si forte, si paradoxale et en son paradoxe faisant vaciller tel les muscles spirituels d’un Samson les colonnes du temple mental érigé par l’Amphion valéryen. Oui, que reste-t-il du paradoxe teinté de caféine et de nicotine d’un monsieur Teste quand le secoue la pensée paradoxale que le pardon est un acte plus grand que la création d’un monde ? Ici se confrontent sur le ring de l’évaluation la frivolité libertine et la profonde intelligence d’un maître philosophe. La pensée de saint Thomas n’a évidemment aucun sens (elle est alors un de ces mauvais paradoxes qui foisonnent dans la taverne d’Auerbach où toujours se tapit l’astucieux Méphisto) si l’homme n’est qu’un point dans le tout. Elle fait sens si l’homme, tout homme, est chaque fois le tout en un point. Pascal l’a énoncé en une de ces formules magnifiques destinées à traverser les âges et percer de part en part la sottise pandémique enfarinée des illusions de la Science : « Par l’espace, l’univers me comprend et m’engloutit comme un point ; par la pensée, je le comprends ». Si tout homme est plus que le tout parce que sans la pensée du tout le tout ne serait pas, la rédemption qui est le grand pardon offert à la communauté humaine par le Christ au Golgotha est plus que la création. Ce paradoxe est presque un lieu commun théologique et on en trouve la trace chez des penseurs juifs peu inspirés par la Summa : que suggère Rosenzweig dans son Etoile de la rédemption ? qu’insinue Adorno, pourtant marxiste, au terme de ses Minima Moralia ?

Simone Weil l’a dit admirablement en un de ces raccourcis qui font d’elle un des écrivains les plus virils du siècle dernier : « La résurrection est le pardon du Christ à ceux qui l’ont tué, le témoignage qu’en lui faisant tout le mal possible on ne lui a pas fait de mal ». Sur un mode humoristique on pourrait parler du coup du Golgotha, en comprenant que le coup du Golgotha chacun de nous le rejouerait chaque fois – est-ce possible ? – qu’il annulerait l’injure en l’annihilant. Ce n’est pas l’ennemi que l’on comprend, circonscrit, digère, c’est la niaiserie, la crasse dont il s’est rendu coupable. Tu voulais me faire du mal ? Je frappe ce mal d’un non-lieu ; il n’aura pas été. Je le néantise et ce faisant te restitue, toi l’ennemi, l’adversaire, le fripon, le fanatique, à ta vérité d’homme. Au nihilisme des stupides confrontations, des entêtements belliqueux, des misérables rancunes, des coups de pied de l’âne je substitue par un acte magnanime, régalien, celui-là même accompli sur la croix par le « Roi des Juifs », la positivité du pardon. « Quelqu’un emplit une éponge de vinaigre … Il a passé l’éponge ; en trépassant Il a effacé la dette. Ainsi la honte, la déroute, l’extrême défaite des méchants c’est que la méchanceté, chaque fois qu’on le veut – mais il y faut une ferme confiance en la croix du Christ – est réduite à rien, n’aura pas eu lieu.

En ce sens, et en ce sens seulement, on peut dire que « tout est pardonné ». Avoir affiché cette sentence au-dessus d’un crâne enturbanné de Mahomet dans un numéro spécial de « Charlie-Hebdo » consécutif à l’incivilité dont cet hebdomadaire fut victime n’a pas plus de poids qu’un caca de moineau tombé d’un toit. Qui, en la circonstance, pardonne ? Mahomet ? Tout ce qu’on sait de ce génial bonimenteur exclut que le pardon lui soit ordinaire et il ne manque pas de circonstances où c’est au contraire la rancune qui l’aura excité. Quel journaliste à la solde de quelle idéologie s’est cru autorisé à produire une sentence que seul le Crucifié ou quelqu’un de ses témoins, voire musulman (je pense à Hallâj), serait en droit de produire ? Le caquet médiatique peut s’emparer de tout et mettre le sublime à la portée d’un quelconque plouc mais « tout est pardonné » n’est prononçable sans blasphème qu’au sommet de la plus haute exigence spirituelle. J’ose insinuer que l’avoir ainsi affiché à la première page d’un journal satirique sans souligner – car la circonstance l’exigeait – que c’est un trait satirique et rien que cela, constitue un blasphème plus grave que les caricatures du Prophète. Oui, jeter une si admirable formule dans le caniveau des eaux sales de la grande presse et précisément dans un hebodmadaire dont la hargne, la grasse raillerie, la haine ordurière font le fond de commerce, c’est pire que des caricatures du Prophète. « Tout est pardonné ». De ce grand pardon évangélique Valéry « mauvais penseur » n’a souci, du moins l’affecte-t-il ; serait-il donc étranger à cette possibilité de déployer une indulgence cosmique pour le train des choses, de ne considérer que leur bon côté, enfin de résorber tout le négatif dans la transcendante justice d’un oui à la vie ? On justifie alors derechef la sublime formule de l’Aquinate : dire oui au monde en dansant sur les cadavres, non à la manière de la déesse Kali mais en disciple du Christ vainqueur de la mort, tel que le souhaiterait l’Inde catholique, tel que l’a peint Antoine Caron.

Resterait, mais est-ce utile, à souligner, ce dont l’ironiste sceptique n’a guère souci, s’intéressant à affûter ses « mauvaises pensées », que l’acte du pardon, c’est-à-dire l’annulation de l’injure au lieu que dans l’ordinaire train du monde les injures s’annellent en une chaîne sans fin, brise cette concaténation et contribue ainsi à l’établissement de cette cité fraternelle dont les successives utopies faute d’avoir entendu la parole évangélique n’offrent que le projet fantasmatique. Cela, Simone Weil, elle encore, l’a énoncé avec la maximale rigueur parce qu’elle pensait fortement. Les « mauvaises pensées » sont le plus souvent des pensées faibles ; il ne faut pas s’en étonner : le mauvais penseur évolue à la manière des patineurs sur glace, il multiplie les figures brillantes, décidé à n’être que superficiel et décrétant que la superficie est la profondeur, tranchant de tout avec superbe parce qu’il fait en virtuose tournoyer sa raison sur une lame tranchante.

Me revient cette anecdote qui fit florès au temps où le léninisme couvrait de sa calotte glaciaire la Russie dite soviétique. Karl Marx, ressuscité et constatant les choses comme elles sont demande aux Instances la permission de dire quelques mots sur la chaîne nationale. On le lui refuse d’abord, il insiste tant et si bien que l’on consent à lui accorder une minute. « Oh ! Quelques secondes, ça suffira ». Et il profère d’une voix tragique : « Camarades de tous les pays, pardonnez-moi ». Une variante de l’anecdote le montre au contraire muet d’horreur et prié, sollicité, adjuré par les Instances qui ne soupçonnent pas son désarroi de prendre la parole. « Un mot, rien qu’un mot, camarade Marx, le monde entier vous écoute ». Marx de s’écrier alors : «Camarades … ». Et s’éclipse à jamais.

 

         L’INCIVILITE CHARLIE-HEBDO

 

   Il ne me déplairait pas de pasticher Ponge en racontant moins l’épisode même de mes réactions successives à l’incivilité « Charlie Hebdo » que mes successives tentatives, rien que mentales avant d’être alitées sur papier ou écran, de les raconter. Mais d’abord, au mépris de la chronologie, voici le texte élaboré le lundi qui suivit l’incident de la rue Nicolas Appert. Ce retard me permit de faire allusion aux défilés pathétiques et emphatiques, aux ridicules pantalonnades du samedi et du dimanche dans divers villes ou même villages de France.

 

 

 

         «  ONZE JANVIER

                

«Le sarcasme est la kalachnikov des effarés »

 

Voici quelques notations en vrac, et à distance dans l’espace et le temps, sur l’incivilité dont a été victime « Charlie Hebdo »

 

  • La seule riposte honorable, raisonnable, courageuse, pertinente aurait été une invitation, lancée par le Président ou son premier Ministre, à reproduire ou produire des caricatures de Mohammed tous azimuts : seule façon de montrer que la France n’est pas (encore) le Pakistan

(Les pancartes « je suis Charlie » : mignardises, amusettes).

Catholique, j’ai peu de goût pour les blasphèmes, je n’avais que dédain pour « Charlie Hebdo ». Mais il me paraît important que le blasphème, si répugnant soit-il, ne soit pas interdit (pourvu qu’il ne soit pas mensonger).

 

  • « La liberté assassinée », titrait Le Figaro. Surexcitation hypocrite. Elle l’est de longue date, assassinée, on le sait bien, la liberté. Qui ne connaît la meute des chiens de garde de la bien-pensance ? Qui ne se rappelle les déboires récents d’Eric Zemmour, de Richard Millet, de Renaud Camus ?

 

  • Le « padamalgam » est un abracadabra qui a la vertu magique comme il se doit d’interdire toute espèce de réflexion sur les relations qu’il pourrait y avoir entre le fanatisme islamique et l’Islam de la Fatiha[27].

Le « padamalgam » est pandémique. Une exception toutefois : l’amalgame est de rigueur quand il s’agit d’apparier l’intégrisme du jihad assassin et celui de la messe en latin. Jihad assassin, messe en latin, tout comme.

 

  • Il y a eu, paraît-il, samedi, dimanche, un peu partout dans le pays des rassemblements sollicités par les Instances dirigeantes qui à défaut d’assurer sa protection espéraient tirer comme on dit quelques marrons de feu Charlie. Ce furent comme des tsunamis compassionnels suscités par le Pouvoir qui se distrait ainsi de son impéritie et distrait le peuple des vrais enjeux.

Il est vrai qu’il s’agit en l’occurrence de journalistes, et même de journalistes de « gôche ». La même tuerie eût-elle été perpétrée contre « Valeurs actuelles » la magnitude du séisme compassionnel eût été sensiblement plus faible. Mais si l’on évaluait la tuerie à l’échelle des vraies valeurs et non selon la veulerie politique ou le sordide compte des victimes il eût été plus juste de déclencher la transe de deuil national après que l’ignoble Merah en mars 2012 eut porté l’ignominie à son comble, tuant à Toulouse trois enfants dont une fillette, celle-ci avec une méticuleuse patience. Cabu, Wolinski … avaient leur vie derrière eux ; la petite Myriam, elle, avait huit ans. C’est elle, s’il faut pleurer, qu’aujourd’hui encore je pleure.

 

  • Combien de musulmans soucieux de se démarquer du pieux fanatisme ont-ils pu être dénombrés dans les cortèges ? Des dizaines de milliers pour le moins, que dis-je, des centaines de milliers, j’espère. L’imam de Drancy, Ghayri-l-Maghdubi, en était. Il a condamné les fanatiques avec une extrême fermeté, assurant que leur Mohammed n’est pas le sien, le sien étant à l’en croire « amour », « tolérance », « pardon ». Mais où a-t-il pris ça ? Son Mohammed est une fiction tirée de quelque mille et unième nuit. Les historiens sérieux savent bien que le Mohammed de Médine, susceptible, vindicatif, cauteleux, sanguinaire, paillard en sus, n’est ni amour, ni tolérance, ni pardon.

 

  • Cet incident est une bénédiction pour le monde médiatique (certes, victimes exceptées). Grêle d’informations et de déformations, grêle de commentaires. On ne parle que de ça, on ne voit que ça. L’audimat explose. Les journaux et revues ne pulvérisent-ils pas les records de vente ? Et l’on se dit en douce, dans le secret du cœur ou de l’alcôve : vivement que ça recommence ! (Al Qaïda ou une autre officine coranique y pourvoira bientôt).

 

  • Le côté Disneyland de l’affaire : plan « vigie-pirate » renforcé ; état d’alerte maximale ; effectifs de surveillance et de traque accrus; on sera, c’est promis, moins laxiste aux frontières….jusqu’à la prochaine tuerie, à la nouvelle crise compassionnelle, aux nouvelles pantalonnades citoyennes.

 

  • J’ai par accident (curieux de la météo) ouvert la télé de ma chambre d’hôtel le mercredi soir du drame : les Instances qui se succédaient à l’écran avec la mine lugubre commandée par la circonstance, je discernais sans peine sous leurs propos édifiants le souci de tirer de cette tuerie le meilleur parti pour les lendemains électoraux.

 

Simone Weil, écrivait peu avant sa mort : « d’ici qu’il y ait une génération avec muscle et pensée /…./ »

 

« Dans le pays de 1789 », proférait voilà peu Monsieur Valls, « l’Islam peut s’épanouir pleinement ». J’imagine dans le prochain « Charlie-Hebdo » une caricature qui le représenterait tenant par la main les frères Kouachin légenouansle du dessin on verrait, hilare et rubiconde, une Fraise de la variété dite Flagamort :, légende : « à l’ombre du jeune islam en fleur » ; dans un angle du dessin on verrait, hilare et rubiconde, une Fraise de la variété dite Flagada.

 

 

Quant à Monsieur Cazeneuve, auquel revient la tâche d’assurer la sécurité sur le territoire national, il est patent qu’il a failli ; il est patent qu’il ne se livre aucunement à l’exercice, si prisé par ailleurs par le chef de l’Etat, de la repentance.

 

Au point où nous en sommes d’enfumage, de lâcheté, de dérobade, de mensonge, de trahison par les « élites » (mille et mille guillemets, svp) du pouvoir médiatique et politique, c’est un ministre de la vie intérieure qu’il nous faut ».

 

L’expression « tsunami émotionnel » est un trait d’esprit dont je pourrais me flatter car dans les divers articles que j’ai lus je n’ai rien rencontré de tel (« pantalonnade » en revanche se lit çà et là) si je ne la devais pas au souvenir approximatif de quelques excellentes locutions du philosophe de Karlsruhe qui semble ne pas penser comme il faut, dans l’Europe hébétée, que l’on pense. Ces locutions, je ne les retrouvais pas mais ce lundi de grâce 19 janvier le feuilletage d’un carnet de 2011 me les restitue. Je n’imaginais pas alors que l’incivilité « Charlie » et ses suites leur offrirait une si claire et désopilante mise en scène : épidémies thématiques ; états d’alarme synchrones ; rythmes d’excitation militants ; transes thymiques d’une collectivité  ; mécanismes de mimétique du stress ; nuits de Walpurgis de l’indignation … tout cela suscité par le Pouvoir toujours en quête de légitimité. (Sans doute trouverait-on des locutions équivalentes dans la Critique de la raison dialectique, mais qui au monde, sinon en haine de soi, en expiation de quelque innommable forfait, s’imposerait la lecture de la Critique de la raison dialectique ?). J’apprends ce jour même par un œil jeté sur la première page du Figaro exposée à la porte vitrée d’une boutique de presse rue Croix-Baragnon que notre Président, à la faveur des cérémonies burlesques consécutives à son fiasco (j’entends sa patente incapacité d’assurer la sécurité publique), regagnerait vingt points dans les sondages. Il lui aura donc servi de placer quelques heures sur sa face d’andouille hilare un masque de sépulcrale gravité pour faire oublier son impéritie.

Ce texte veut, doit être à l’emporte-pièce. Il est peut-être mon dernier acte politique. J’ai résolu de ne plus rien lire ni entendre qui met en évidence la médiocrité de notre racaille ministérielle et médiatique. Je ne lirai d’ores en avant un journal que si les Valls, Hollande, Belkacem, Macron, Cazeneuve et Cie y sont relégués à quelques alinéas dans la rubrique des faits divers et si les articles importants y sont consacrés à des événements scientifiques ou artistiques. Ce n’est pas pour demain, n’est-ce pas ?

Pourquoi ai-je pris la décision de ne plus écouter à la radio que de la musique ? Parce que l’autre soir, précisément à dix-huit heures, j’ai attrapé radio « Présence » à l’heure où y était diffusé le bulletin d’informations vaticanes. Opopoi ! La langue que l’on y parlait n’était pas différente de celle des médias nationaux : même servilité à l’égard de la bien-pensance officielle ; je l’ai retrouvée sur la feuille paroissiale de Saint-Sernin où était reproduit le message du Cardinal Vingt-Trois saluant « les rassemblements spontanés de ces derniers jours », le « grand recueillement », l’union autour des « valeurs fondamentales de notre République », « la modération, la tempérance et la maîtrise de tous ». Cette sorte de pieuses niaiseries, dont il se fait beurre et farine bien remués une béchamel bonne à intoxiquer durablement un peuple indemne de sens critique, infecte le pays depuis une grosse semaine. Eussé-je disposé d’une quelconque tribune, d’une place si modeste fût-elle dans un quotidien ou une revue, je me serais amusé à recueillir un lot de déclarations de même consistance laiteuse-menteuse et à les frapper de ridicule au prix d’une très légère distorsion de quelques énoncés. Mais à la limite la simple reproduction, le tel quel, dans une suffisante mise en contexte, suffirait pour faire paraître le côté farcesque, la solennelle hypocrisie de nos maîtres-chanteurs, nos cléricaux catholiques ou laïques. Encore convient-il d’atténuer un tantinet cette sévère appréciation : car lesdits maîtres-chanteurs n’étaient pas assez froidement astucieux en cette conjoncture pour jouer la comédie sans se prendre au jeu ; ni psychologue ni politique je puis avancer cependant que dans leurs grandes attitudes de fierté nationale ils étaient mi-partis sincère, mi-partis seulement en souci de tirer, comme le dit mon brûlot, les marrons du feu.

« Sans la musique la vie serait une erreur ». J’ai trop longtemps commis l’erreur de ne pas m’intéresser qu’à la musique. L’heure vient où le seul climat tolérable sera l’Engadine. La France devient, même en Dauphiné ou en Ariège, un cloaque où l’effet de serre de l’omerta, la pollution par le mensonge atteignent des intensités à couper le souffle. (« Couper le souffle », c’est la pub pour le plateau de Beille où il est vrai que j’ai vingt et trente fois, loin au-dessus du marasme, éprouvé à l’enseigne d’Hölderlin la pure joie du poème. Ah ! Un seul vers de l’Heimkunft, et tout ce que dégoise le Président Hollande – quel nom, bon sang ! – dégouline dans un trou d’évacuation).

 

Ironie du sort, diabolique pied-de-nez des circonstances. En ces jours où je prends la ferme résolution de me désintéresser radicalement de la politique celle-ci m’investit de partout. Certes j’ai cloué son bec à la radio, mais voici t’y pas que le journal La Croix, ce matin même, se flattant d’avoir été en 2014 salué comme le meilleur des quotidiens, me relance … sera-ce une série de numéros censés faire mon siège jusqu’à ce que je capitule au prix d’un abonnement à prix réduit ? (La Croix, ce 21 janvier, pas un mot pour commémorer l’assassinat un autre 21 janvier du très catholique Louis XVI, mais en gros titre, donc sans vergogne, calqué sur la phraséologie consensuelle consécutive à la tuerie Charlie-Hebdo : « UN SURSAUT CITOYEN PARTAGÉ »).   Et voici t’y pas qu’Yves-Marie Allioux m’adresse par courriel deux articles du « Monde », parus hier, qui me donnent envie d’embrasser sur le cul (comme fit jadis, d’illustres Mémoires, Alberoni émoustillé par les mirifiques fesses du duc de Vendôme) cette vieille fripouille sodomite et milliardaire de Pierre Bergé. En effet la vérité sur l’islam, son Prophète et son Coran s’y découvre avec une impudeur qui doit faire frémir le recteur de la grande mosquée de Paris jusqu’aux recès mecquois de son rectum. Eh quoi ! Ce que je pourpense, ce que j’essaie d’écrire, ce qui tombe sous le sens dès qu’on s’avise d’avoir du sens, ce qui est patent pour peu qu’on veuille bien lire ce qu’on lit, cela enfin serait livré aux lecteurs du plus sinistrement conformiste, je veux dire circoncis, de nos organes de presse ? Que le Mahomet médinois soit un imposteur, fanatique, rusé, rancunier, sanguinaire, que nombre des versets de son Coran qui n’est évidemment pas tombé du Ciel et qu’il ne faut nullement imputer à l’archange Gabriel soient des incitations au meurtre, cela, que nos Instances dissimulaient avec une obstination religieuse, est déclaré sans ménagements, sans circonlocutions euphémistiques, par messieurs Luttwak et El-Husseini, l’un et l’autre, il faut tout de même le dire, n’appartenant pas (semble-t-il) à notre communauté nationale.

…Aïe , à mon désarroi voici que je patauge encore, en style enflé, en ruades d’âne savant, dans le marigot de l’actualité politique. Brisons là. Je me reporte d’un saut à l’après-midi du mercredi 7 janvier : à peine quittai-je Argelès, longeant les dernières maisons du bourg, j’aperçus posé sur un cube de pierre que presque je frôlais un rouge-gorge si immobile que je le crus sculpture, et je m’apprêtais à une palpation pour m’en assurer quand pour m’avertir de mon erreur, me signifier qu’il était non moins que moi vivant il fit trembloter ses ailes ; sitôt après il prit son vol, me rasa et se perdit dans un buisson. Je me rappelai que le deux novembre qui suivit la mort de mon père aux alentours de l’abbaye du Pesquié un semblable volatile m’ayant adressé un salut gracieux me frôla et pareillement s’éclipsa. Il ne m’est pas possible d’imaginer que ce passereau, l’une et l’autre fois, n’ait pas été la forme éphémère que prenait mon (arch)ange gardien, ce Raphaël qui n’est pas compromis, lui, avec le Coran. La sensation de joie que j’éprouvai non seulement persista tout du long de ma promenade mais elle dure encore et il est très probable que ses dernières harmoniques expireront avec moi si même, et c’est probable puisque c’était un oiseau-archange, elles ne continuent pas à vibrer dans mon autre monde. Je pensai alors au nightingale de Keats, au triste « adieu ! adieu ! » que lui lance le poète, à celui de Coleridge, salué d’un « farewell », au ruisenor qui émet dans les Goyescas son gazouillis de triples croches et de trilles, mais ceux-là charment le poète ou la maja par le chant, tandis que mon passereau ne lâcha pas la moindre goutte sonore, et ce n’est plus au rossignol, à mesure que grandissait ma joie, que je pensai, mais à l’oiseau merveilleux de la légende médiévale qui entraîne le moine amoureux des beautés de ce monde dans une poursuite d’une couple d’heures qui sont selon le temps comptable une couple de siècles. Or en ce jour de janvier 2015 si éloigné des temps médiévaux (comme on dit) où fleurissaient les légendes où un moine amoureux des beautés de ce monde était miraculeusement entraîné par un oiseau magique sur les parvis de la vie éternelle, en ce janvier de disgrâce 2015 où les plus vulgaires émotions collectives manigancées par les filous du Pouvoir faisaient descendre dans la rue au plus bas de leur instinct de servilité des foules indemnes d’intelligence j’atteste sans forfanterie qu’un miracle pareil à celui de la légende médiévale m’était dévolu, non que cet oiseau fût éblouissant de beauté, non qu’il me stimulât par un sublime artifice à le suivre dans son vol, mais je sus aussitôt (je ne savais rien alors de l’attentat commis rue Nicolas Appert) qu’il traçait dans ma vie un sillage ineffaçable de poésie, qu’il entrait à jamais dans ma mémoire vive. Et c’est bien ainsi. Quand je repense aujourd’hui, 22 janvier, à cet événement (grossi par-delà toute décence) de tueries fanatiques et de mômeries patriotiques, à cette avalanche de discours indignés ou lénifiants, à ces pantalonnades et retournements héroï-comiques d’opinion, eh bien je m’aperçois que tout cela pour moi est équivalent à presque zéro, que l’événement de ce janvier, pour moi, ç’aura été l’acte miraculeux de pose et de pause d’un petit être rouge-gorge une minute de connivence avec moi dans le don gracieux de sa présence.

Que dirait le naturaliste ? Que m’apprendrait-il de l’erithacus rubecula ? Certes qu’il convient de compter parmi les caractères de ce petit passereau le goût des passades et notamment un attrait, fugace et futile, pour la bête humaine, de sorte que le prétendu miracle dont je me targue ne serait qu’un incident sans doute gracieux mais des plus ordinaires, tel que des milliers de rouge-gorge et des milliers de ressortissants de l’espèce homo sapiens en soient en toute saison ou à la saison propice les chanceuses victimes. Mais ce naturaliste s’il prétendait par sa science me dérouter ne serait qu’un triste imbécile. Le regard scientifique que je puis poser sur un passereau est très loin d’épuiser tout ce qui entre lui et moi est susceptible d’intervenir, et d’abord l’attrait, l’attirance érotiques dans le sens le plus religieux, puis ce « sentiment de liberté d’oiseau, de coup d’œil d’oiseau, de pétulance d’oiseau » dont se flatte Nietzsche dans l’un de ses frémissants Prologues et dont la petite bête d’Argelès me communiqua le branle cependant qu’elle recevait de moi une attestation de sa singularité qui, je le soupçonne, lui rendit son vol plus euphorique en ce délicieux après-midi  ; alors, continue l’auteur de Menschliches, alzumenschliches, on s’échappe, on s’évade, on prend son essor. Ce fut, ça reste, aujourd’hui (23 janvier) où je trace ces lignes, le cas. Peut-être était-il naturel selon l’ornithologue que la petite bête se tînt un instant immobile, comme statufiée, sur une pierre, et il était naturel aussi, m’enseignerait l’ornithologue, qu’elle s’élançât tout soudain, me frôlant, tel un projectile. Mais quelle autorité peut avoir ce savant sur la relation absolument originale qu’en cette après-midi bigourdane au sortir d’Argelès-Gazost nous eûmes, un bref laps, la petite bête dite rouge-gorge et la grosse bête que je nomme moi ? Et si ce savant se donnait le droit de sourire, imbu d’une savante commisération, parce que je tends à attribuer un caractère surnaturel à un incident sympathique mais trivial je lui infligerais que son sourire n’a pas plus de poids que celui du chat d’Alice s’il s’agit d’évaluer les suites de l’incident, à savoir l’échelle de clartés, le lumineux frisson de survol dont je suis redevable à cette brève rencontre avec l’oiseau et qui m’aide depuis lors à juger de haut, avec une dédaigneuse allégresse, les autres suites, répugnantes, elles, de l’attentat de Charlie-Hebdo. Ainsi la récupération politique de l’Evénement (dont j’abats la majuscule au tranchant du mépris) (n’étant d’autre Evénement pour moi en ce janvier que ma brève rencontre avec le petit passereau) la logorrhée pharisienne dont s’assortit, s’assotie cette récupération ne m’ont-elles pas plus indisposé que les cacas de pigeon qui souillent rue des Lois l’appui de ma fenêtre.

J’ai pensé, hier, en un soudain éclair de remémoration, au jizô du Japon, petite divinité souvent aperçue au cours de mes pérégrinations à Tokyo ou Kyoto ou bien lorsque je suivais la trace de Bashô sur la sente du bout du monde. Mon rouge-gorge, me suis-je dit, c’est un jizô ; Jizô, si près de Jésus ! Jouons sur le cousinage phonique pour imaginer une connivence spirituelle ; et puis les statuettes de Jizô sont parfois adornées d’un bavoir rouge qui fait naturellement penser au rouge poitrail du passereau ; or quand Jizô est ainsi adorné il évoque le deuil d’un petit enfant mort : combien d’enfants ai-je ainsi perdus faute d’avoir accompli l’acte du géniteur, combien de fois au cours de mes balades solitaires ces enfants ne m’ont-ils pas hélé, reproché ma dérobade, mon retrait égoïste, mon inaptitude à fonder au prix d’un peu de sperme dûment émis une famille nombreuse comme il est souhaitable quand on se prétend chrétien ! On dit encore que Jizô, aposté à un carrefour, libère les esprits errants. Ce Jizô à bréchet pourpre, quoi qu’il ne se fût pas aposté exactement à un carrefour mais à proximité immédiate de la jonction du chemin dit de °° avec la route de Gez, m’a donné et continue de me donner loisir de substituer une euphorique errance mentale aux adhérences morbides, à la dévastatrice « information » qui m’auraient abruti, aliéné et assujetti sans sa gracieuse survenue. Oui, c’est ainsi, j’exulte à la pensée que cet hommage que je lui rends et qu’à travers lui je rends au peuple des zoziaux, ces Jizôs ailés, me distrait résolument, absolument, du caquetage médiatique, des déjections de la presse, des images captieuses de la télévision. Cependant que je revisite cet après-midi du 7 janvier, que je revois ce chemin pentu, cette dernière maison au crépi blanc avant la route de Gez, cette grosse pierre et sur cette pierre ce petit être me jouant la farce d’une fixité de statue puis me signifiant son espièglerie par un léger battement d’ailes avant de s’enfuir me frôlant, de disparaître comme s’il était un ange par miracle un moment chu du ciel, j’imagine que monsieur Valls ou madame Taubira, peut-être notre ministre du vide intérieur ou même l’inane président de notre moribonde république s’évertuent à caqueter. Comme il me plaît de réduire leur caquetage à rien en me remémorant le silence ailé de cet oiseau !

Oiseau-prophète, oui. Je veux l’appeler ainsi. Plus je me détermine à tenir pour un épisode anodin de l’Histoire mondiale vouée au bruit et à la fureur la tuerie de Charlie-Hebdo et les divers tumultes qu’elle a suscités, plus je sens se peupler la volière sans grillage de mon catalogue d’oiseaux. « L’oiseau-prophète », suffit d’un clavier pour que sous mes doigts jaillisse d’un do dièse détonateur sa fusée de triples croches, puis au do dièse se substituent un ré puis un soleil dièse également détonateurs ; minuscules détonations – celles d’un chasseur de mélodies transcendantes – qui font chaque fois s’envoler à tire d’ailes, en un brévissime essor, cet oiseau qui dans la partition de Schumann semble messager de malheur (Hüte dich », disait l’épigraphe) mais dans l’interprétation que je m’en donne annonce au contraire le très grand bonheur d’un soulèvement de tout l’être au-dessus de la vase des circonstances. « Sei wach und munter ! », « attention, sois sur tes gardes ». Que me disait, lui immobile, d’une immobilité comme surnaturelle et plus signifiante qu’un vol, mon rouge-gorge de ce 7 janvier après-midi ? Etait-il le prophète de la dégoûtante énurésie d’ « informations » et de commentaires de l’ « Information » qui allait dégouliner dès le soir de ce même jour et ne cesser d’infester de pipi verbal ce mois de janvier jusqu’à la fête de saint Thomas d’Aquin et même je le crains au-delà ? J’ai entendu incidemment hier soir cependant que je cherchais des enregistrements de « L’Oiseau- Prophète », Daniel Cohn-Bendit assurer que les journalistes de « Charlie Hebdo » tout comme leurs assassins étaient des cons. Cela ne fait aucun doute, et c’est cela sans doute que me signifiait par son apparition et sa pose exquises ce petit être absolument étranger aux manigances, aux effervescences, aux déliquescences humaines rien qu’humaines. « Connerie universelle » – l’expression se trouvait dans le Journal de Roger Martin du Gard, qu’elle fût lâchée par un écrivain d’une telle rigueur intellectuelle m’autorise à la reprendre. Il y a toutefois des variations cycloniques de cette connerie « universelle », donc plus ou moins prégnante, et des moments où elle affecte une région du monde plus qu’une autre. L’incivilité commise par les frères Kouachi devait fatalement, eu égard à la détresse spirituelle de la France et surtout de ses élus, produire une exceptionnelle cataracte de conneries dans laquelle j’eusse été emporté si au prix d’un retrait héroïque je ne m’étais, tel Nietzsche au bordel de Cologne, précipité sur mon piano et, ouvrant la partition des Walsdzenen, n’avais évincé, effacé, réduit à néant la loquèle des Importants et des Médias stipendiés en déclenchant sur le clavier un vol magique d’arpèges.

Et il me faut ici, parce que c’est ô combien plus important non seulement pour ma petite personne mais pour l’humanité en général, cette humanité qui m’est plus chère (disait Maître Eckhart) que l’homme que je porte en moi, parce que c’est plus important et que la tuerie parisienne et que le caquetage subséquent, réfléchir à ceci que si médiocre pianiste que je sois il me semble exécuter cette Szene de la forêt mieux que les virtuoses qualifiés que j’ai pu entendre. Aucun d’eux à mon avis n’obéit comme il convient à l’indication langsam, sehr zart, « lent, très doux » ; tous, sauf Kempf sur ce point (seulement) impeccable, précipitent les arpèges ; aucun d’eux ne met en valeur la note piquée aérienne, la prolongeant par la pédale en sorte qu’elle soit comme enlevée au ciel ; (penser que je m’amuse à ce relevé de petites choses tandis que les radios nationales crachouillent leurs idioties quotidiennes me secoue salubrement le diaphragme) ; je suis déçu par successivement Clara Haskil, Sviatoslav Richter (le plus approchant toutefois de ce qui me paraît souhaitable), Walter Gieseking ; Cortot est singulièrement trop appuyé, pataud, son oiseau a du plomb dans l’aile ; Backhaus substitue du louré au piqué ; bref aucun d’eux ne sauve le charme magique, le troublant mystère de ces pages qu’un Ange semble avoir écrites, qui sont à l’insulte de Nietzsche, « douceâtre Saxon », la réplique légère, incisive et décisive de Schumann.

Je dois dire que sauf à être ignare en ornithologie, incapable de reconnaître à leur chant la plupart des oiseaux (exception faite du merle, du loriot, du geai, du pinson et du pipit spioncelle, … ne parlons pas du coucou, cet islamiste qui vient placer son œuf de préceptes coraniques dans le nid de l’Europe déchristianisée), envieux de Claude Roy qu’un grand-père avait initié et auquel le moindre mélisme dans un buisson découvrait l’identité du passereau émetteur, ignare donc et satisfait de l’être, ayant fait la nique aux « Lumières » en admettant parmi mes apophtegmes de choix l’injonction converse du célèbre aude sapere, me tenant – noli audere sapere – dans la docte ignorance chère à Nicolas de Cuse sinon même dans le Nuage d’inconnaissance du mystérieux moine d’Albion, j’entretiens avec les oiseaux une relation que je puis dire franciscaine, convaincu que l’esprit franciscain est la ressource spirituelle de l’homme qui a perdu la grâce d’être sauvage et donc bête parmi les bêtes. Une parole de l’admirable Joubert – « désir d’être oiseau, d’être abeille » – ne cesse de bruire sur mon arbre mémoriel ; abeille ? Je veux bien, et peste contre la nouvelle liturgie romaine qui ne nomme plus, à Pâques, la gentille pourvoyeuse de cire, mais l’abeille est par trop petite et, ouvrière, par trop occupée, il est évident que son goût pour les fleurs est tel qu’il exclut tout intérêt pour l’homo sapiens, tandis qu’avec le plus affairé, frénétique et versatile des moineaux un échange d’influx est toujours possible, du moins le lâcher d’une miette risque de retenir une seconde son attention. « Désir d’être oiseau », oui, et nul désir d’être monsieur Macron, monsieur Valls, madame Taubira, madame Belkacem, et caeterats. Sans doute est-ce ce désir qui m’incite à prétendre que je suis à l’heure actuelle, en ce janvier de tueries et de menteries parisiennes, un des meilleurs interprètes non seulement sur le territoire national mais sur la terre habitée, de l’Oiseau-Prophète. Mon audace ne s’arrête pas là. Bien avant la rencontre bigourdane du 7 janvier dernier et la subséquente vérification avec les Waldszenen de mon brio d’oiseleur du clavier – c’est curieux, tandis que je m’excite à l’idée d’être cet oiseleur du clavier me revient la tentation de parodier les homélies des guignols du pouvoir (du pouvoir ? Que peuvent-ils, grands dieux ! Uriner de l’erroné) – bien avant donc cette brève mais très signifiante rencontre (je vous en prie, ne me bassinez pas avec l’insinuation que rien ne fut plus naturel voire trivial que ladite rencontre) je m’étais aperçu, interprète téméraire des Goyescas, chef- d’œuvre fort au-dessus de mes moyens digitaux, qu’incomparablement inférieur à Alicia de Larrocha dans l’ensemble du recueil je rendais mieux qu’elle, à la dernière page des Queras de la Maja, le frétillement et les trilles du rossignol. Etait-ce si surprenant ? D’une part le trait rapide, fût-il de quadruples croches, réparti entre les deux mains n’est pas très périlleux ; d’autre part la prodigieuse pianiste pour jouer avec tant de fougue, de force et de finesse aura dû passer trop d’heures en chambre à travailler des partitions et les entreposer dans sa mémoire pour s’exercer à la promenade et s’intéresser aux passereaux. A-t-elle jamais entendu un autre rossignol que celui des Goyescas ?

Une réflexion me trouble : Frédéric Ovadia, mon éditeur, que j’ai appâté hier en lui proposant ce texte de circonstance qui dans l’état actuel de la France déchirée entre les « béni-oui-oui » (vaut-il pas mieux dire les culs bénis ?) de l’islamisation et les intelligences éclairées qui n’en veulent à aucun prix pourrait avoir un lectorat rentable, ne sera-t-il pas effaré constatant que les oiseaux et la musique m’intéressent beaucoup plus que le trantran des affaires publiques, l’égouttement quotidien de la presse, le quotidien ramage des radios ou les images matricides de la télévision. Mais c’est bien l’enjeu : quelques notes de Schumann ou de Granados valent mille fois mieux que n’importe quelle émission vocale d’un quelconque ministre ou même de notre désastreux président. La partition de l’Oiseau-Prophète, la page finale des Queras fonctionnent ici comme des barres de masquage, des biffures, des ratures, des fritures censées rendre inaudibles, illisibles les défécations et mictions mentales déversées dans les vécés publics (presse, télé, radio) par les incontinents détenteurs du pouvoir. Dites-moi, entre une homélie de monsieur Valls ou de monsieur Cazeneuve et trois mesures de l’Oiseau-Prophète, quel homme doué de vraie humanité hésiterait un instant ? Et qui serait assez enfumé par la propagande de nos médias pour s’irriter ou s’indigner de ce que la soudaine et fugace présence quelques seconde durant à douze pouces de moi d’un passereau immobile et silencieux m’importe plus, ait réellement plus d’importance dans ma modeste vie de solitaire que l’épisode sordide de Charlie-Hebdo suivi de l’épisode encore plus sordide du magasin Casher ? J’irai même plus loin : quand on cesse de traiter les incidents locaux et somme toute anodins en les gonflant en événements de portée mondiale, quand on s’interroge donc sur la complexité, l’intrication des phénomènes dans l’univers et le jeu plurivoque des effets et des causes, quand enfin on essaie d’évaluer la portée au fond inévaluable de la moindre péripétie et qu’à la manière de Léon Bloy, oiseau-prophète certes à sa manière, qui en vient au prix d’un paradoxe extrême à considérer que la bataille de Friedland a pu être gagnée par une petite fille de trois ans, la pensée que mon affaire privée et futile du 7 septembre éclipse dans la cosmo-comédie la grosse affaire d’Etat du même jour, qu’elle a, qu’elle aura au verso de l’Histoire officielle, fatalement truquée, partiale, menteuse, plus d’importance, n’est pas aussi aberrante que l’Opinion le pourrait croire.

Il n’y          a pas que Schumann ou Granados. Comment oublier Scriabine ? Son « Poème ailé » op. 51 est tout vibrant de triples croches qui prestes ou alenties, en un mouvement inverse de celui de l’oiseau des Waldszenen, appellent avec une régularité charmante et persuasive une note de repos (le sol puis le si, le ré, le mi, le sol dièse …) dont il me plaît de faire la métaphore de mon rouge-gorge en pause ; ces triples croches m’évoquent aussi (tant l’esprit de métaphore souffle où il veut) une gentille agitation de rémiges, prélude chaque fois à un virtuel envol. Un autre poème de Scriabine, Etrangeté, a la même propension ascendante, la même impulsion d’essor (mais sans détonateur) que L’Oiseau-Prophète, et allège l’envolée gracieuse et délicate de croches doucement piquées par de grands arpèges qui fusent en éclaboussures, gerbes d’eaux soulevées en jet puis rappelées sur le socle labile d’une note noire ou blanche. Rien mieux que ces trente-et-une mesures (le chiffre 31 dans mon arithmosophie n’est pas indifférent) ne figure, à mon avis, la libre fantaisie d’essors et de brèves pauses, de survenues et d’éclipses telles qu’un rouge-gorge en son « étrangeté », en son étrange disposition à se mettre momentanément sur orbite humaine, les peut enchaîner en artiste de l’improvisation. Ce poème de Scriabine se termine presque au faîte de l’échelle sonore du pianoforte par une note si aiguë qu’elle découragerait non seulement la cantatrice chauve de Ionesco ou la prima donna testée par la tomate de Perec mais même la plus stratosphérique des coloratures, la plus acrobatique des virtuoses du contre-ut. Ré bémol, étincelle au firmament de l’octave ultime, et quoi par-delà ? Le paradis retrouvé.

 

Il y a encore un poème, op. 69. 2, de Scriabine, qu’il serait inconvenant de ne pas ici saluer. Mais bon sang ! j’imagine le lecteur accablé à la longue par mon volucraire alors qu’il s’attendait à des brocards bien affûtés contre le régime politique de notre démocratie expirante. Eh bien, cher ami lecteur, écoute, sur ton ordinateur si tu ne le peux à la campagne, chanter un rossignol. Ecoute, prends ton temps, écoute. Puis, compare avec une quelconque allocution du président Hollande, par exemple une de ses oraisons funèbres (il en prononce une ou deux dizaines par mois). Dis-moi sans fard, sans ambages, cher lecteur, de ces deux émission vocales laquelle est pour toi la plus aimable, la plus stimulante, la moins menteuse, la moins susceptible de provoquer la nausée. Encore n’ai-je choisi le rossignol que par acquit de conscience, j’entends pour me conformer à l’idée reçue, au stéréotype (comme disent les théoriciens du drôle de genre), car le rossignol s’il chante à merveille dans la partition des Goyescas ou dans les vers exquis de Keats, dans la réalité bocagère sylvestre bucolique n’est qu’un chanteur passable qui n’aurait à l’examen de gazouillis qu’une petite mention. Le merle, ah ! le merle ! ou la grive justement dite musicienne ! Compare leurs canzoni de haut vol aux mélismes triviaux du Président. Prends ton temps, ami lecteur. Donne-toi, par exemple, puisque les appareils d’enregistrement te le permettent, une heure pour écouter et encore écouter son allocution de la Saint-Sylvestre et une autre heure pour écouter et encore écouter une mélodie sylvestre de grive. Tu me rétorques, méchant lecteur, qu’une mélodie de grive ne t’apprend rien ? Oserais-tu m’infliger que l’homélie présidentielle de circonstance ( chaque fois un « abominable » et « lâche » attentat) t’apprend quelque chose ? «  Sans la musique, le monde serait une erreur ». Je m’évertue, ami, à te faire entendre que lorsque la langue de la communication médiatique et notamment politique tend vers moins deux cent soixante degrés quinze de véracité et s’éloigne à une distance galactique des réalités parler la langue de l’âme à l’âme, c’est-à-dire la musique, devient une nécessité vitale, et à défaut de la merveilleuse syrinx du passereau il nous est toujours loisible d’écouter une page de Scriabine. Bel canto ? La Callas elle-même ne vaut pas la grive. Que puis-je, que dois-je dire encore sur le Poème op. 69.2 ? Qu’il est un envol de triples croches une dizaine de fois réitéré, comparable à la mélodieuse rengaine de ladite grive ou à la récitation chrétienne du chapelet, pourvoyeuses l’une et l’autre d’une joie qui précisément ne se peut dire, ne peut que se chanter.

Mon rouge-gorge n’a pas dit mot. Il était aussi muet qu’immobile. C’était fort avisé : il n’a pas de nature une jolie voix, quand il susurre il a l’air de casser du sucre. Il lui suffisait d’être posé sur son caillou comme une petite boule ronde, note unique et tenue. Nous nous taisions lui et moi. Dans une chapelle de l’église de Bourg-la-Reine on peut lire sur une plaque de marbre un fragment d’une lettre de La Fontaine : attendant un carrosse il assiste avec « Mme C… et notre tante » à une messe paroissiale, pour se « désennuyer », écrit-il, « ou s’ « ennuyer encore davantage » ; « la procession, l’eau bénite, le prône, rien n’y manquait », et il ajoute : « De bonne fortune pour nous, le curé était ignorant, et ne prêcha point ». Ah ! Se taire ! Quel don ce peut être ! Quel don, se taire, quel don, la retenue de paroles qu’inspirent charité et humilité ! Se taire ! Réticence : décence. Notre Président devrait, au vu des bourdes qu’il accumule, se dispenser au moins d’actes d’élocution. Eh bien non, il dégoise. Mon rouge-gorge ne disait mot, il continue de ne dire mot sur la sente du bout du monde de ma vive mémoire. N’était-il pas lui-même, petite boule ronde comme on dit ronde la figure de note qui vaut quatre noires, une  « unheard  melody » plus douce que toute audible mélodie ?

Je reviens sur la concaténation des péripéties de mon sept janvier, je dis bien mon sept janvier, celui que j’ai réellement vécu, singulier, original, incomparable, tout un chacun étant en droit, où qu’il se soit trouvé, d’avoir son sept janvier à lui pour peu qu’il se soit détaché du conglomérat des consciences engluées. L’épisode de la balade post-méridienne, tel quel, entre Argelès et Arras, en ce Lavedan lumineux où les fûts sur la sente laissaient paraître les hauteurs du Hautacam et sur la fin du parcours le massif nappé de blanc du Gabizos (le Soracte béarnais, dit mon ami Georges Saint-Clair), cet épisode heureux n’était pas de nature à susciter de vastes épanchements ; le pur bonheur se satisfait de peu de mots ; que noté-je alors ? « Quelques étais une eau courante Un soleil presque moribond Je suis une chose pensante Un rêve d’hiver floribond ». Et puis ce fut, après la détente du soir et le souper, la télé allumée pour le bulletin météo. …Et l’horreur. Moins, répété-je, l’horreur de l’attentat commis rue Nicolas Appert que l’horreur des mines hypocritement contristées des Officiels et de leur crachin de paroles aussi hypocrites que convenues qui reléguaient à mon grand dam le bulletin météo aux oubliettes.

Or je dois au lecteur l’humiliante confession que voici. Mais y a-t-il lieu d’être humilié ? Mon cas n’est-il pas le plus ordinaire qui soit ? Combien de personnes dans une société comme la nôtre (je ne me prononce pas sur une société régie par le bonze ou le shaman) sont capables de maintenir leur esprit et leur âme au diapason d’un silence nourricier ? Combien y a-t-il parmi nous de poètes, de vrais poètes, non les rimailleurs du dimanche parmi lesquels je dois hélas me compter ou les affûteurs de haïkus en mal de passer le Bashô ? La plupart des « intelligents », au nombre desquels j’essaie de ne pas être, sont très excitables dès qu’il s’agit de la chose publique et des manigances des gens du pouvoir ou de leurs affidés de l’information. Si la rencontre du rouge-gorge le 7 janvier à environ 15 heures devait tracer dans ma mémoire un fin sillage perdurable de silence, la nouvelle le soir de ce même 7 janvier de l’horrible attentat perpétré à Charlie Hebdo et le spectacle, plus horrible encore que l’attentat, des déclamations et contorsions de gravité de cette race de parasites que j’appelle les Instances et qu’on mobilise à chaque secousse de l’actualité me mirent dans un état explosif de colère et d’écoeurement. Mes balades subséquentes, du jeudi au samedi, furent infectées par le dégoûtant souvenir, que je ne parvenais à chasser, de cette obscénité médiatique. J’étais devenu comme une bouteille de Leyde : la boule d’ambre de l’oiseau d’une part, les pixels de la télé d’autre part formaient un étrange condensateur et je produisais sur les pentes du Monné ou du Pic d’Andorre des décharges électriques de sarcasme. Aujourd’hui (29 janvier) où en suis-je ? Si soucieux que j’étais de désinfection, entendez de désaffection à l’endroit des remous de l’Affaire, je ne pus éviter de savoir que le gouvernement organisait de grandes marches de deuil, le samedi et le dimanche, dans tout le pays, je sus aussi que le dénommé Coulibali avait réussi dans un supermarché casher un quinté glorieux. Des amis infestèrent ma messagerie « e-mail », la plupart mettant en cause sans vergogne l’énorme responsabilité d’un gouvernement d’incapables. Ainsi ma verve était alimentée. J’étais, non plus sur des sentiers de Bigorre ni sur la sente du bout du monde mais sur les rails de la raillerie ; j’étais redescendu de l’âge d’or que figurait le jabot pourpré d’un rouge-gorge dans l’âge de fer de la condition citadine, et l’on sait bien qu’il est plus difficile en ville qu’à la montagne de se préserver des miasmes de l’intoxication médiatique et de l’impétigo des opinions. Du moins avancé-je au rythme d’une bonne quotidienne logomotion sur ces rails de raillerie. Sans même l’avoir cherché j’attrapai jour après jour, éjaculée par un président, un ministre ou un simple élu, une ineptie dont je faisais aussitôt une catapulte à quolibets. Mais la décision odysséenne de couler de la cire dans mes oreilles et de m’attacher au mât de cocagne de l’indifférence finit par produire le résultat attendu. Je n’avais pu échapper au récit des pantalonnades citoyennes, à l’imbécillité de coudre sur son poitrail le calicot ou la pancarte « je suis Charlie » et à la prétention comique de s’imaginer ainsi en état de résistance active. Mais j’échappais en douce au fil des jours aux vagues amorties du tsunami émotionnel et au mascaret des exégèses roublardes. Dès qu’ouvrant la radio j’entendais « Valls » ou « Hollande » ou « Macron » ou « Taubira » je m’empressais de changer de longueur d’onde et infligeais à ces fantoches loquaces une giclée de musique enregistrée avant de chatouiller avec le rossignol de Granados ou l’oiseau-prophète de Scriabine mon Steinway. Zapper, quel plaisir ! On décapite un émetteur de bobards plus vite que n’opère le couperet ! Mais alors …Alors, n’étant plus éperonné par l’ « actualité » je me trouvai en manque de calories d’exécration, rabattu sur la louange franciscaine de la petite bête oiseau et du monde dans lequel puisse vivre cette petite bête. C’était une matière de réflexion exquise mais prêtant peu au discours. L’oued de ma fureur de polémiste n’allait-il pas s’assécher ? N’aurais-je pas mieux fait, aussi bien pour le salut de mon âme que pour l’édification d’un éventuel lecteur, de m’en tenir à quelques alinéas joliment lissés, à quelques fioretti dont celui du sept janvier sur le flanc du mont de Gez eût été le cœur en forme d’oiseau-cœur ? « Mais que dire de cet oiseau »…

Mais j’avais beau fermer les écoutilles, zapper avec jubilation sur mon « Panasonic », changeant de longueur d’ondes au moindre soupçon d’ « actualité », n’entendant pas le nom de Valls ou de Cazeneuve sans aussitôt tourner le bouton, je ne parvenais pas à totalement garantir ma cuirasse sensible contre des infiltrations de « nouvelles » ; je tamisais l’ « information », je ne pouvais éviter que des bribes ne m’en atteignent. Et puis, je le répète, des amis croyant me rendre service et aussi irrités que moi par l’impéritie de nos gouvernants et leur impudente frénésie de traque et de truquage infectaient ma messagerie « Mac » de messages déprimants et révoltants. J’appris ainsi que monsieur Valls déportait de l’Afrique du Sud pour l’appliquer à notre pays le concept d’apartheid. Que signifiait-il par là ? Quelles étaient les victimes de cet apartheid français ? Peut-être, me dis-je d’abord, les gens du Front National qui avaient été exclus les 10 et 11 janvier de la grande pantalonnade patriotique. Ce monsieur Valls exprimait-il donc (cela lui eût fait honneur), après coup, à la faveur d’une sympathique repentance, le regret que la France de « Charlie » n’eût pas été toute la France ? Peu probable, me dis-je (toujours ironiste, toujours pervers), connaissant l’oiseau. (A noter : l’acception péjorative d’ « oiseau », qui m’est familière, ce n’est pourtant qu’aujourd’hui qu’elle apparaît sur mon écran mental …comme si le caractère angélique du rouge-gorge bigourdan, ce drôle d’oiseau ! avait exclu tout emploi trivial du vocable). Et puis, on le sait, pour l’Opinion, c’est-à-dire les bobos et leurs fondés de pouvoir, le Front National c’est pire que l’islam et son « Heil Hitler » sous cape pire qu’ « Allah akbar ». Apartheid m’inspira une autre hypothèse : le continent des femmes, c’est-à-dire de vastes portions de la planète, souffre encore de l’apartheid ; combien de Malala Yousafzai mènent depuis des décennies le bon combat contre cette injustice ! L’apartheid dénoncé par monsieur Valls, ce serait donc la condition faite ici même, chez nous, à tant de femmes victimes de la polygamie, de l’infibulation, de la ségrégation, de la séquestration, du voilage et mainte autre pratique discriminatoire. (« Une femme et un homme sont dissemblables », écrivait le Dominicain Eckhart, « mais dans l’amour ils sont tout à fait semblables ». Vérité chrétienne sur la femme !). J’aurais donc pu croire, si j’eusse été par trop naïf, que monsieur Valls espérait par cet ingénieux recours au mot apartheid un choc sociétal salutaire en faveur d’un sexe tenu en sujétion et encore opprimé chez nous aujourd’hui malgré l’apparente égalité entre hommes et femmes assortie de simulacres de parités. Hélas ! il ne pouvait en être ainsi puisque de toute évidence le gouvernement dont monsieur Valls est le premier ministre accorde à la religion islamique une préférence marquée sur toute autre religion, or on sait fort bien que la femelle selon le Coran est le champ à ensemencer de sperme, qu’elle est de toute éternité selon la décision divine inférieure au mâle son seigneur et maître, que l’apartheid féminin est donc constitutif de l’Umma. Pour la même raison – préférence accordée à la religion de Mahomet – le Ministre ne pouvait avoir en vue la condition de dhimmis assignée aux Français de race et de souche dans les banlieues et les quartiers du pays où la chari’a est déjà pratiquement substituée au système de la République ; cet inspiré qui espère un Islam pleinement épanoui dans « le pays de 1789 » n’est tout de même pas bête au point d’imaginer que le pays de 1789 survivrait à un islam pleinement épanoui. J’aurais pu sur le rail de cette raillerie insinuer que l’intention subreptice de monsieur Valls, nous appareiller nous « sous-chiens » aux Afrikaners, apparaît pour ce qu’elle est, un ridicule et grossier subterfuge, si on s’avise seulement de ceci que les prétendues victimes en l’occurrence sont des immigrés très résolus à imposer leur loi et à ostraciser les contrevenants – jeu de rôles exactement à l’envers de celui qui se jouait en Afrique du Sud. Mais à quoi bon s’enliser dans ce bourbier d’inane controverse ? A quoi bon dépenser de la substance grise pour mettre en évidence les ruses, les roueries, les tromperies, les éhontés mensonges de ce gouvernement et de sa clique de larbins de l’ « information » ? Je suis un adepte de la chari’a en son acception saine, sereine, naturelle et pieuse : le chemin droit et clair menant à la source d’eau vive. Tel est le chemin qui conduit d’Argelès à Arras en Lavedan le promeneur désinfecté des « informations », lavé des miasmes des « informations » ; qu’il emprunte à jamais la sirât, cette voie de salut qui surplombant la géhenne des intrigues politiques, des fanatismes religieux, des fausses prophéties et du caquetage plébéien conduit sûrement au terme d’une marche qu’aura éjouie un petit passereau jusqu’au Gabizos le Carmel ou au Balaïtous l’Horeb bigourdans.

Comparant les trois partitions de Scriabine que j’ai retenues sous prétexte qu’elles volètent ou gazouillent, à laquelle donner la préférence ? Le « Poème ailé », qu’on dit son « Oiseau Prophète », où alternent les séquences rapides et les ralentis, où l’essor semble toujours amorcé, brisé, recommencé, rejoint mon rouge-gorge sur sa pierre à l’ultime mesure : trois triples croches, lentes, lourées intronisent un accord final attendri d’une acciacature et sommé d’un point d’orgue. C’est ainsi que se trouva, mais sans que j’aie rien perçu de son mouvement préalable, posée la petite boule de plumes au plastron roux ayant valeur de note blanche ou ronde, oui, posée, exposée. Pour sa fuite et son frôlement, si prompts que je pus à peine les remarquer, c’est le poème « Etrangeté » qui offre avec le la tenu de sa pénultième mesure servant de base à une giclée d’arpège terminée en céleste ré bémol l’analogie la plus excitante. Excitante ! …A quoi m’excité-je ! … J’imagine un représentant de la gent « citoyenne » (éclat de rire à cette épithète) indigné par mon déportement : quoi, ce gars-là ne s’occupe que de passereaux et de triples croches dans le temps qu’un Evènement majeur bouleverse la République ! Haro sur ce Pisthétaire, sur cet Evelpide qui abandonne notre chère et précieuse démocratie pour fuir sur les ailes de Scriabine vers une nouvelle Coucouville-les-Nuées !…

La petite cité d’Argelès-Gazost dans sa partie haute, en terrasse sur la vallée, se situe à environ 500 mètres, le tronçon de rue où l’oiseau se présenta doit être plus élevé de trois ou quatre perches, comptez pour Arras-en-Lavedan un arpent ou deux arpents de plus. J’indique par ces précisions le cadre modeste, les limites modérées (pas même la moyenne montagne) de cet événement minuscule du 7 janvier dont je fais le plus grand cas, que j’ose proposer à la réflexion du lecteur de préférence à l’Evénement de portée nationale voire mondiale ce même 7 janvier qui ne cesse depuis lors de défrayer la chronique. Il serait puéril tant ça va de soi d’opposer au « citoyen » l’élémentaire vérité que chacun a non seulement les événements qu’il mérite mais aussi le pouvoir et le droit de les apprécier à sa guise. J’ai assez dit que pour moi, dans ma vie peut-être futile mais incomparable, la rencontre de cet oiseau aura été plus importante que l’attentat de Charlie-Hebdo et je fais un pied-de-nez rieur à qui s’en offusque. Mais il est patent, à la moindre réflexion, pour peu qu’on ne se soit pas laissé enclore dans le palais des mirages où le « citoyen » qui se croit libre et lucide est lié et halluciné par les agents stipendiés de la propagande, que ledit Evénement majuscule ne fut qu’un incident mineur dans un procès d’entropie (l’extinction de la France) et l’occasion inespérée pour un gouvernement aux abois de feindre l’oubli des querelles partisanes et la restauration de l’unité nationale. Pleurer en rangs serrés Cabu, Wolinski ? Je veux bien. Pleurer en rangs serrés la petite Myriam, je l’ai dit, c’eût été mieux. Mais puisque l’on affecte en haut lieu (en lieu plus haut n’est-ce pas que le Val d’Azun), avec déploiement de chefs d’Etat convoqués pour la circonstance, d’affecter l’événement Charlie d’un indice de répercussion mondiale, combien il eût été plus avisé, plus juste, de crêper le tambour urbi et orbi lors de l’enlèvement en avril 2014 des 237 lycéennes de Chibok ou lors du meurtre à Peshawar le 16 décembre 2014 de 132 écoliers. Car, on a beau se baratter la cervelle pour gonfler en événement Bœuf la péripétie grenouille de la rue Nicolas Appert il appert que ce ne fut qu’une péripétie grenouille et il serait vain, trivial, obscène de le contester. L’avantage de se tenir en altitude, si basse (500, 600 mètres en Lavedan) que soit cette altitude, c’est que l’on est du moins au-dessus des zones urbaines où l’on risque d’être victime des émanations mortifères du gaz de la propagande d’Etat. Mais des millions de « citoyens » qui n’eurent pas comme moi la chance d’échapper en (relative) altitude aux gaz délétères de la propagande se laissèrent impressionner par les chattemites du pouvoir et prendre dans la gélatine des spasmes collectifs et la coulée le long des artères urbaines des faux grands sentiments. Je ne dis pas – tant d’autres l’ont dit – que si les massacrés eussent été des gens de Valeurs actuelles ou de Minute l’émoi ministériel et populaire eût été moindre ; je ne dis pas non plus – tant ce fut dit même par moi cent fois – que la prétendue liberté d’expression dont on s’avisait tout soudain qu’elle avait reçu un sacré « gnon » n’était pas la liberté d’expression mais leur liberté d’expression, celle des affidés du régime, des inconditionnels de l’ « islam religion d’amour et de paix » et autres mensonges impudents. Je dis seulement et répète que non, ce ne fut pas, ce n’est pas, ce ne sera pas un Evénement, mais rien qu’une péripétie dans le procès de conquête islamique de la France telle que le prophétise (après bien d’autres) le subtil Houellebecq. Lequel, peu doué pour les « entre-vieux » (ma façon gauloise d’écrire interviews) et craignant sans doute pour sa peau après la sortie de son livre Soumission qui fut prétexte à rappeler son mot cruel sur « la religion la plus con », a lâché l’autre jour à Antoine de Caunes l’interrogeant sur la gestion de la « crise » du 7 janvier cette imbécillité que « n’importe qui aurait fait aussi bien ». Or si ce fut – on le constate encore aujourd’hui – un adroit truquage, un ingénieux retournement de patente impéritie en convulsions de spécieuse fierté patriotique, ce ne fut certes pas « bien »  mais malfaisance, dérobade et lâcheté. Mais à quelle distance Houellebecq se trouve-t-il du Lavedan ! « J’ai beaucoup regardé les informations, comme tout le monde », a-t-il encore le toupet ou la naïveté de dire. (Excusable : un ami à lui était dans le lot des flingués). Eh bien au total fictif de « tout le monde » n’y eût-il qu’un manquant, c’est moi.

On le constate, la moindre « information » (par exemple ces paroles décevantes du romancier de Soumission) me relance dans une logorrhée de railleries. Le rouge-gorge de la rue °° se tait. La merveille serait que dans un élan de sympathie qui transgressât les us de son Umwelt d’oiseau il m’adresse non quelques mots comme le souhaita une fois Jules Renard (ça, ce serait le miracle) mais une obole de gazouillis (ce serait une grâce). Je ne suis digne ni du miracle ni de la grâce. (Une fois, me promenant aux environs de Lourdes, au pied du Béout, je parvins à la cabane d’une vieille sorcière qui entretenait avec les passereaux une relation toute franciscaine, l’un d’eux s’approcha d’elle à la toucher mais ne la gratifia d’aucune note). Il se tait, son silence m’informe mieux que leurs médias. Gazouillerait-il ? Il y aurait plus de sens dans son gazouillis que dans le caquet de nos Instances. Que dire, au fond, de cette péripétie ? D’une part qu’elle est, quoique j’aie pu insinuer à l’instant le contraire sous prétexte que je n’ai pas été régalé de la moindre fioriture, gracieuse, oui, c’est une grâce, c’est mon bon Ange investissant pour une minute un passereau ; d’autre part que c’est un incident dont la fréquence s’agissant de l’erithacus rubecula est attestée par les ornithologues, et en effet j’ai moi-même été à plusieurs reprises (chaque fois, il faut le dire, à proximité d’un sanctuaire) favorisé par l’irruption accorte, aimable, gentiment espiègle de ce petit être à bavoir orangé ; il agit selon son tropisme, son instinct, son arc réflexe d’affinités. M’offrir en un clin d’oeil sa compagnie, en un clin d’oeil s’éclipser, cela relève de la gravitation avant de relever de la grâce : le surnaturel, pensé-je, se faufile dans le répertoire de va-et-vient obligés de la cosmo-comédie.

 

 

Cette pensée m’incline enfin à une (catholique) indulgence plénière. Zarathoustra aux petits pieds dont les sommets rhétiques se réduisent à un mont de Gez bigourdan je redescends en esprit dans la plaine et la ville où défilent en rangs serrés avec des têtes ténébreuses de deuil deux à trois millions d’imbéciles, me dis-je, qui ont affiché sur leur poitrail « je suis Charlie ». Eh bien j’ai tort de parler ainsi, je dois me repentir de les traiter d’imbéciles, ce sont seulement des fétus pris dans le maelstrom de la sottise universelle. Il faut en dire autant des roués qui ont concocté cette triviale dramaturgie urbaine. Nos prétendus gouvernants, nos gens du pouvoir, sont sans pouvoir et ne gouvernent pas. Ce sont des marionnettes manœuvrées par un maître Pierre habile à tirer les fils ; le nom antique de ce maître Pierre est Destin. Leurs finasseries de politiciens futés ne sont pas des finasseries et ils ne sont pas futés. Ils ne contrôlent pas plus leurs options et leurs actes que mon rouge-gorge ne contrôle les siens. Ils sont comme lui saisis par la puissante main de la Nécessité et contraints de faire et dire ce que celle-ci leur impose de faire et dire. Avec cette différence toutefois que si la gravité de l’oiseau dans l’Umwelt où s’exerce sur lui la force de pesanteur se trouva, ce 7 janvier, traversée, divertie, infléchie (j’en ai la certitude) par un souffle de grâce la gravité de nos Instances politiques et de leurs acolytes des médias n’aura à aucun instant échappé ni ce 7 janvier ni les jours consécutifs à la massive pesanteur qui s’exerce sur tout corps ou tout esprit soumis faute de grâce à l’infrangible loi de la chute vers le plus mécanique et le plus bas. Ils sont pesants, ils sont lourds, ils sont même balourds et lourdauds, ces protagonistes de la comédie humaine dont le citoyen condamné à la presse quotidienne nationale ou locale à perpétuité, au journal télévisé de vingt heures à perpétuité, voit grimacer la face sur son petit écran ou reproduite en grasse manchette à la première page de son journal la dernière de ses vaines promesses ou de ses trompeuses allégations. « Je suis ennemi de l’esprit de lourdeur, je suis comme un oiseau » …ich dem Geist der Schwere feind bin, das ist Vogel Art … » Celui cependant qui veut devenir léger comme un oiseau doit s’aimer soi-même », continue Zarathoustra. L’amour de soi ? Ah ! Qu’ils en sont loin, ces charognards de la démocratie ! C’est la haine de soi que transpire leur puant amour-propre (bei denen stinkt auch die Eigenliebe !). Ils braillent la Marseillaise en bradant la France ; ils vendent au Qatar la patrie de saint Louis. Eh bien, eussé-je multiplié, entassé les preuves de leur haine de soi et de leur tropisme suicidaire (un Zemmour, un Rioufol, tant d’autres les prodiguent, ces preuves, avec un talent qui leur vaut les abois de la meute), je m’enhardis à chuchoter avec le poète des petites vieilles : « aimons-les, ce sont encor des âmes », je dis bien, pas des « ânes », des « âmes ».

Tout est pardonné. Je vois deux raisons de pardonner tout, l’une et l’autre transcendantes au vulgaire pardon tel que Charlie-Gros Dos l’administre ; l’une est de toujours, l’autre circonstancielle. Comment ne pas accorder une indulgence plénière aux Macron, Valls, Taubira, Fabius, Hollande et tutti quanti si on fait le simple effort de les imaginer à leur tout début, quand ils n’ont pas encore interdit à leur Ange de voir la face de Dieu, quand ils sont des êtres minuscules, dodus, chialant et chiant dans leurs couches, incapables de formuler des vœux de saint-sylvestre, de promettre un chômage en diminution ou aux assassins en recyclage des allégements de peine ? Le Président bébé … le Président macchabée. Aucun des membres de la fine équipe actuellement au pouvoir et feignant de gouverner ne finira autrement que pourriture ou poussière. Un chanteur juif rescapé de la Shoah s’émerveille qu’Adolf Hitler ait d’abord été un tout petit bout d’homme. Hé oui, tout comme Hugo ou Einstein !   Celui que l’atellane jouée par nos gugusses officiels nomme Flanby hésitant à le nommer Maccus (il figure dans mon brûlot sous le sobriquet de Fraise Flagada), je m’attendris l’imaginant môme ; eussé-je l’esprit rabelaisien je l’imaginerais sur la chaise percée ou sur Julie perché : postures, spasmes désopilants auxquels nulle dignité ne résiste. Et puis vient la dernière heure où l’on n’a plus assez de forces pour continuer de mentir et se mentir. Tout est pardonné parce qu’on est innocent dans ses langes et qu’on le redevient dans son linceul. La brigue, les bassesses, les combines, les passe-droits, les crocs-en-jambe par lesquels on s’est taillé une petite tranche de spécieux et fugace pouvoir, on ne s’y exerce pas dans son berceau, on ne les emporte pas dans son urne ou dans sa tombe. Tout se passe alors sans tricherie, d’égal à égal. Ce sont les seuls moments du parcours existentiel où l’égalité ne soit pas un mirage. Tout est pardonné : Cabu, Wolinski, vous fûtes, avant d’être des sacripants de l’invective et de la caricature, de mignons petits mômes ; aujourd’hui grâce aux frères Kouachi, eux-mêmes pardonnables parce qu’ils furent enfants avant que fanatiques, vous voici rendus à l’innocence première, vos Anges que vous dédaignâtes voient de nouveau la face de ce Dieu auquel vous eûtes la naïveté de ne pas croire. Ils sont pardonnables, tous, le sont aussi les gogos du défilé patriotique ; le plus vicieusement malin d’entre eux aura été petit oiseau avant d’être un drôle d’oiseau ; il aura été petit oiseau inoffensif comme l’est l’oiseau du moins dans sa relation avec l’homme car le rouge-gorge qui m’a si gracieusement accosté aura peut-être maille à partir avec un de ses congénères sitôt après s’être esbigné.

L’autre raison de pardonner est circonstancielle. Le mois de janvier est expiré. C’est aujourd’hui trois février neigeux et c’est saint Blaise que fête dans notre sainte Eglise le rite extraordinaire. Qui fut saint Blaise je ne m’en soucie guère mais Blaise Pascal, que Nietzsche disait aimer presque, déplorant sa piété, avec lequel Valéry se colletait jusqu’à rendre les armes, que Camus disait « le plus grand » sans toutefois se convertir, ce Blaise-ci est si évidemment admirable que j’ai honte, affichant son nom, d’avoir aussi nommé des individus aussi falots, aussi destinés à l’effacement sans reste que Taubira, Hollande ou Peillon. En météorologie l’unité de mesure de pression est le bar qui vaut cent mille pascals. En météorologie spirituelle un Pascal vaut des trillons de trillons de bars. Ce retournement est le b,a, ba de la perspicacité philosophique ; il est dommage que l’auteur du Gai Savoir se soit évertué à ne le savoir pas. Les pressions à Toulouse, ce trois février, sont basses. On appelle cyclone en général tout phénomène de dépression. Or l’Europe depuis quelques décennies est dans un système dépressionnaire, livrée à des rotations de fantasmagories et de stéréotypes (dont un des plus récents est le devoir de les déconstruire). Elle a ainsi connu la vague ou la vogue, je ne sais lequel il vaut mieux dire, de marxismes retoqués et ravaudés et dans le temps même que Staline mettait en place son système de terreur héritée de la Terreur jacobine un Aragon célébrait le Guépéou « véritable image de la grandeur matérialiste », en un poème atrocement grotesque ; la version chinoise du marxisme prit le relais et une clique d’intellectuels en crise célébrèrent le régime de Mao précisément alors que celui-ci s’illustrait par de monstrueux carnages. Ces intellectuels dont certains ne manquaient pas d’envergure, dont aucun n’était stupide, étaient persuadés – on n’en peut douter – d’avoir pris en connaisseurs le pouls de l’Histoire et en toute liberté d’en infléchir le cours dans une fiévreuse mais infalsifiable direction ; ils se croyaient libres, or leur mode de pensée, leur phraséologie, leur dévotion à un marxisme agonisant, leur cécité apparemment volontaire aux catastrophes physiques, économiques et spirituelles des régimes qui s’en recommandaient, leur application à se mentir et mentir en truquant ou escamotant les données les plus fiables des experts les plus compétents (nul n’ignore les déboires de Simon Leys et comment on lui préféra, étant ignare et prenant vessies pour lanternes, Maria Antonietta Macchiocchi) étaient rigoureusement déterminés par le cyclone qui traversait l’Europe décadente. De cette décadence Nietzsche a fourni le plus lucide diagnostic : « la vie appauvrie, la volonté de périr, la grande lassitude ». Notre décadence se poursuit, les pressions sont de plus en plus basses et ce serait candide que de les imaginer ce trois février 2015 au plus bas. Nul ne peut prévoir l’année, la décennie où l’on touchera le fond, si même il y a un fond, mais je tends à croire, chrétien indécrottable, qu’il y a un fond en ce sens que le Mal, étant l’œuvre du Démon, ne peut passer les bornes qui sont assignées à Celui-ci par le Père des Cieux comme il assigna à la mer ses rivages. Quel est le fond augurable eu égard aux millibars de l’actualité ? Les augures les plus avertis le disent : l’Europe sous la chape de plomb de la chari’a et, pour ne parler que de la France, Notre-Dame transformée en mosquée – Paul Morand le prédisait pour les environs de 2030 mais le procès de crétinisation s’accélère et 2020 me semble une date vraisemblable. En effet à la vague ou vogue maoïste, et cependant que la « grandeur matérialiste » pour dire comme feu le fou d’Elsa prend aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain la figure complexe d’une domination du mercatique sur le politique, la dépendance pétrolière de l’Europe et singulièrement de la France à l’égard de la péninsule arabique suscite un engouement pour l’islam, un engluement dans l’islam aussi déraisonnables, aussi suicidaires et stupides, aussi bardés de craques qu’hier et avant-hier ce même engouement, ce même engluement au bénéfice de Staline ou de Mao. Encore y avait-il dans l’idéologie née du cerveau de Marx et délayée, dévoyée par ses épigones une forte analyse de la société capitaliste et un semblant de perspectives nouvelles appuyées sur une science de l’économie et une relance de l’idéal chrétien par la récupération séculière de l’Evangile des pauvres travesti en lendemain heureux du prolétariat dans la phase ultime du communisme accompli. Mais dans l’islam tel qu’il se présente aujourd’hui, infecté par des mouvements extrémistes, rencogné dans ses certitudes archaïques, incapable de passer le mur de la modernité parce que barricadé dans ses sourates, rebelle à tout effort d’interpréter le Coran à la lumière des méthodes critiques, bref inapte à la science, à sa rigueur, à son courage voire à sa témérité, dans cet islam de banlieues tristes et de ressentiments cuits et recuits, quelle perspective y aurait-il sinon celle d’un retour en arrière, d’une régression non vers un âge d’or andalou plus mythique que réel, moins encore vers la splendeur de la civilisation abbasside, mais vers un illusoire mahométisme de la première génération, dans l’ignorance que le Prophète, certes doué de vrais dons de prophétie, s’était transformé à Médine en un chef militaire, un trafiquant, un érotomane vindicatif qui faisait dire à l’archange Gabriel ce que lui soufflait sa libido. La moindre velléité de se renseigner sans préjugé sur Mahomet ou sur le Coran aurait dû inspirer à nos éminences de la politique ou de la communication pour le moins de sérieuses réserves. L’idée d’un « islam modéré » qu’on opposait pour éviter l’ « amalgame » à l’islam des fanatiques était un conte en l’air ; il y a des musulmans modérés, et même éclairés, ouverts à l’idée que leur religion n’est peut-être pas le nec plus ultra des religions, il n’y a pas d’islam modéré. Il aurait fallu, au prix d’un peu de courage et de lucidité, avec un soupçon de ce « muscle et pensée » dont Simone Weil, très consciente de la déliquescence française, déplorait le manque, reconnaître que l’islam en soi est un terrain cancérigène, d’aucuns disent même une tumeur cancéreuse, et qu’il ne faut donc pas considérer les Merah, les Coulibaly, les Kouachi comme des énergumènes insolites, isolés, mais comme des métastases inévitables d’une religion pathogène dont le salafisme est un développement normal. Mais nos Instances, elles-mêmes malades, privées de défenses immunitaires, infectées par la haine de soi, conséquemment la haine de leur civilisation et même de la démocratie dont elles se gargarisent, se ruent une fois de plus à leur perte –ruunt in servitudinem – en faisant les yeux les plus doux et les concessions les plus lâches à un système totalitaire, à une religion intolérante en son principe et absolument incompatible avec le génie de l’Europe dont elle est, pensait Renan au temps où « muscle et pensée » étaient encore valides, « la plus complète négation ». Ils se ruent à leur perte, victimes d’un tropisme suicidaire sur lequel ils n’ont pas le moindre contrôle, et c’est en cela qu’ils sont pardonnables : ce sont des impuissants.

On comprend qu’éclairé sur le mécanisme incompressible de dissolution des valeurs de la civilisation européenne et sur l’entraînement fatal des fantoches prétendument aux commandes dans cette infernale dissolution mon dessein franc et ferme de ne plus m’intéresser qu’aux oiseaux et à la musique, si futile paraisse-t-il, n’est pas plus futile dans la spirale cyclonique où nous sommes pris qu’un décret ministériel, une homélie de monsieur Valls, une allocution de monsieur Hollande, un défilé prétendument patriotique, l’agitation brownienne de quelques millions de gogos ou … je n’échappe pas, n’étant pas rigoureusement clos aux « nouvelles », à celle-ci que le cirque électoral momentanément installé à Besançon (premier, huit févriers) offre un désopilant spectacle de clowns de la politique. On comprend que pour moi l’événement du 7 janvier ce fut cette rencontre insolite avec un rouge-gorge dont les harmoniques non seulement couvrirent le 11 janvier l’énorme et grotesque commotion citoyenne mais se prolongent jusqu’à ce jour Pascal du 3 février et, je l’augure, résonneront encore dans mon for intime quand tout le monde aura oublié l’attentat de la rue Nicolas Appert. La transformation bouffonne, digne de la vieille comédie latine, d’une péripétie affreuse mais locale et minime si on la compare aux horreurs synchrones (Syrie, Irak, Pakistan, Niger, Nigéria …) en Evénement ne témoigne pas tant de l’astuce, réelle, des gens du pouvoir qui au prix d’un coup de baguette vicieux ont pu rendre plausible à un peuple décervelé la transformation de leur évidente impéritie en héroïque branlebas de   goypride que de leur misérable débâcle mentale et spirituelle les acculant à des expédients obscènes. J’ai lu et entendu que la France, le onze janvier, avait « retrouvé sa fierté ». Cette fanfaronnade signifie au contraire qu’elle l’a perdue corps et bien. L’Evénement de cet onze janvier (onze, quelle chance ! c’est le chiffre d’un team de foot et l’on sait combien la footrerie contribue au général décervelage), c’est d’avoir fait Evénement d’un attentat mineur, d’une pétarade qui compte peu au fond dans la spirale cyclonique qui entraîne à leur déshonneur et leur perte la France et l’Europe.

 

« Mais que dire de cet oiseau » ? … Rien n’en dire à la façon du sentimental Apollinaire. Il n’est pas un « oiseau bleu comme le cœur bleu » – ce serait un schtroumpf, alors. Ce n’est pas non plus, quoi que j’aie dit de cette page merveilleuse, comme tombée du ciel et insérée dans les Waldszenen, « l’oiseau-prophète » puisque cet oiseau ne prophétise in petto rien que de redoutable : « Hüte dich ! sei wach und munter ! », « Attention ! sois sur tes gardes ! » Mon rouge-gorge ne prophétisait pas ; il se contentait d’être. Je l’aurais appareillé volontiers à l’oiseau-miracle de la légende irlandaise s’il n’avait pas été aussi immobile et taciturne que le dieu Terminus sur sa borne romaine. Terminus ? Que terminé-je ? Que m’était-il prescrit de terminer ? Peut-être la trop longue phase de ma vie où j’avais été sali par l’égouttement quotidien des « nouvelles », où je n’avais pas mis en pratique la consigne de Léon Bloy, drôle d’oiseau mais oiseau-prophète ah oui !, de m’adresser pour les « dernières nouvelles » à l’apôtre Paul, exclusivement à l’apôtre Paul. Je termine donc, j’en ai terminé, me semble-t-il, avec le sale égouttement, je me jure de n’ouvrir plus aucun journal, de ne plus écouter à la radio que « France Musique », d’effacer illico sur mon petit « Mac » tout message souillé par le cancer invasif de la politique. Il suffit pour n’être pas pollué de ne pas se placer sous la gouttière des médias, de prêter attention – toujours il s’en trouve quelqu’un – à l’oiseau sur le toit ou de faire s’envoler sur un piano escorté de quelques fusées d’arpèges et gazouillis de trilles, l’accord mystique de Scriabine.

 

 

 

 

 

 

 

 

   GAUCHE/DROITE

 

         « La Sottise est naturelle au pouvoir » (Flaubert)

« Il y a des idiots partout, puisqu’il y a partout des journalistes » (Sollers)

 

Vous dites : gauche ? droite ?

Non, c’est : goître, drauche

 

Le caractère désuet de ces notions, de cette alternative est évident pour toute personne capable de penser. Ceux qui les, qui la défendent sont les croupiers d’un jeu de hasard misérable ; je préfèrerais que l’on tirât les députés et ministres aux dés. Ce souhait n’est pas frivole : quand on considère la part faite dans les journaux, à la radio, au caquetage des politiciens et de leurs affidés les journalistes, quand on réfléchit un tant soit peu à la masse de bavardages inutiles et ineptes dont la proche échéance d’une élection présidentielle encombre l’œil, l’oreille, l’esprit du citoyen qui s’y laisse prendre, on rêve d’un référendum qui poserait la question sans ambiguïté : voulez-vous ou non substituer au processus électoral (avec ses manigances, ses ambitions, ses médisances et calomnies, sa compromission avec le marketing et les lobbys) un tirage au sort ? Et quel soulagement ce serait pour le peuple français d’apprendre que l’on a d’abord balayé tous, tous, tous les actuels acteurs de la comédie politique, aussi bien les députés ou ministres en exercice ou en convoitise de l’être que les journalistes à leur solde brassant le vide avec le rien !

Je n’ai rien de neuf à dire ; mais ma manière de le dire ne ressemblera en ses éruptions à nulle autre. Aucun souci de composer, donc pas la moindre prétention de convaincre par une argumentation méthodique et serrée. Mais des jets de lave jaillis de l’Etna mental. (Faut-il au préalable adresser une prière à Empédocle ?). (Le revisiter avec Hölderlin ?).

Que « gauche/droite » ait cessé depuis belle lurette de signifier quoi que ce soit de consistant et d’éclairant, mais que le dire vous désigne selon l’Opinion comme un énergumène de « droite » (les plus endoctrinés diront même un « fasciste »), voilà un constat irréfutable. Il y a presque trois quarts de siècle que Raymond Aron (L’Opium des intellectuels, 1955) questionnait – c’est la phrase-seuil de son ouvrage : « L’alternative de la droite et de la gauche a-t-elle encore un sens ? » Et d’ajouter : « Celui qui pose cette question devient immédiatement suspect ». Il n’avait pas peur de subir cette mise en suspicion, récusant « ces catégories », rejetant « ces concepts équivoques » et les « amalgames politico-idéologiques » qui en sont le fruit véreux.

Il se souvenait d’Alain : « Lorsqu’on me demande si la coupure entre partis de droite et partis de gauche, hommes de droite et hommes de gauche, a encore un sens, la première idée qui me vient est que l’homme qui pose cette question n’est certainement pas un homme de gauche »[28]. Alain ajoute, honnêtement : « C’est une riposte, ce n’est pas encore une idée ». Alain est un radical, il l’est en décembre 1930 quand il écrit le Propos Droite et gauche. L’idée qui pourrait lui venir, c’est que la dyade droite/gauche s’étant formée sinon formulée en août/septembre 1789 et la suite des événements ayant été funeste à la « droite » favorable à la « gauche » il va de soi que la « gauche » cherche à éterniser ce couple délétère cependant que la « droite » devrait quand elle n’est pas idiote le tenir en suspicion et se rendre par là même suspecte à la « gauche ». Il vaut la peine de savoir que le philosophe du radicalisme politique, Alain, termina du côté de Pétain, avatar tragi-comique. (Mais rarissimes sont les philosophes qui en politique ne chavirent pas).

Le Propos de décembre 1930, relu en 2017, comme il est daté ! Comme il importe de surveiller les définitions, de les remettre à l’heure, voire de les éliminer quand manifestement elles n’ont plus de sens ! J’imagine Alain reprenant ses esprits et se relisant en ce début de Carême ; ne devrait-il pas, en homme d’honneur et d’intelligence, s’envelopper d’un sac et se couvrir de cendres ? « Est de gauche /…/ le héros d’intelligence » ; « le héros d’intelligence se dit, en ses meilleurs moments, que l’honneur de l’homme serait de vivre selon le vrai, quoi qu’il lui en puisse coûter ; et que la première trahison est de se boucher les yeux à ce qui le gêne ». Aussi Ponce-Pilate, tel qu’Alain le voit, par sa question« qu’est-ce que la vérité ? » représente le prototype de l’homme de droite et Alain rappelle l’affaire Dreyfus pour rendre patent ce fait que la droite manque toujours la vérité en manquant la justice. Je ne dépenserai pas trois minutes de mon précieux six mars 2017 pour ferrailler contre de tels énoncés aujourd’hui changés par le cours des choses en inepties de gros calibres tant il est patent, au contraire de cet imprudent Propos, que le journalisme de « gauche » aujourd’hui, de mèche avec les politiciens de « gauche », se déshonore par déficit d’intelligence et camouflage ou distorsion de la vérité. Déjà vers 1910, alors que la Dépêche de Rouen publiait les premiers Propos, un Anglais lucide et corrosif, qu’Alain eut grand tort de ne pas lire, écrivait : « The newspaper started to tell the truth now exists to prevent the truth being told »[29] ; il est flagrant qu’un siècle plus tard la « gauche » au pouvoir utilise tous les médias à sa disposition pour « empêcher que la vérité soit dite », usant à cette fin des slogans les plus stupides (par exemple l’ « islamophobie »), se déshonorant en déshonorant la patrie des droits de l’homme et de Dreyfus, laissant à la « droite » voire à « l’extrême droite » (je feins d’adopter une minute ces catégories bletties), ou à des écrivains courageux et héros d’ intelligence (tels Houellebecq), le soin de pointer sans ambages des faits aussi patents que les patates (encore Chesterton, «a fact as practical as potatoes »).

 

Secoué de sanglots, secoué de rires ? Assez secoué au moins pour ne plus savoir par où brûler mon torchon d’invectives narquoises. L’image de Céline, « l’agité du bocal », dont il affublait Sartre, pourrait et même devrait illustrer l’agitation de nos politiciens et de leurs acolytes du journalisme d’Opinion. (Il est vrai que le moment où j’esquisse ce pamphlet se trouve être celui d’une crise électorale ; l’ineptie atteint des pics de pollution orale, écrite, iconique peut-être sans précédent). Je les vois tous pris non précisément dans un bocal –il le faudrait énorme – mais dans une nasse à langouste ou goujon au fond d’un marasme ; ou encore – emprunt à Tchouang-Tseu – végétant et frétillant dans la vase d’un étang se soufflant les uns aux autres leur haleine puante. Aussi ai-je cessé (décision récente, prise en altitude, plus haut, beaucoup plus haut qu’où ils s’agitent) d’écouter quoi que ce soit, sur les ondes arraisonnées par le Pouvoir, qui touche aux matières électorales. Depuis des saisons déjà je n’entendais pas le nom ridicule, inadéquat, farcesque de « Hollande » qu’une conjoncture malheureuse a porté à un semblant de pouvoir sans aussitôt changer de longueur d’ondes. (C’est un symptôme de notre décadence que d’avoir infligé à la FRANCE en guise de Président un bonhomme affligé du patronyme HOLLANDE, et c’est un redoublement du symptôme que le mutisme des médias sur ce sujet[30]). (Comme si tout n’était pas lié : l’homme et le nom également inadaptés). Désormais il suffit que « France Inter » ou « France Culture » ou « France Info » laisse échapper comme un gaz à effet de serre les mots « droite » ou « gauche » pour qu’incontinent je coupe le caquet au misérable qui s’est de la sorte conchié.

Ces journaleux … Au temps où je m’oubliais encore à les écouter un peu j’étais frappé par le caractère contraignant, quasi réflexe de leur incessant recours à cette batterie de casseroles. STO, pensais-je : leur Service de Travail Obligatoire exige qu’il n’y ait pas d’émission radiophonique où les mots « droite » et « gauche » ne soient pieusement éjaculés. Je les comparais, je les compare à de vieilles dévotes ânonnant des formules liturgiques, je les vois comme des punaises de la sacristie jacobine, des rombières du ronron « citoyen ». Oui, j’attache mes propres casseroles – ces métaphores enjouées, endiablées – à la queue basse des médias comme le gamin en attache une à la queue de son chat. Eperdu d’hilarité malicieuse je les décris, ces journaleux, tels que leur jacassin me les découvre, ensuqués, emmiellés, « droite » et « gauche » leur collant à la pie-mère. Mildiou mental. On sait que le mildiou est profus, multiple, il n’y a pas que celui de la vigne ou de la patate ; parmi les dizaines de mildious recensés il ne faut donc pas oublier celui des médias. Comment le prévenir ? (Le prévenir ? ! Les médias sont le mildiou de l’information[31]). Je recopie un article de Wikipédia : cinq solutions. 1) Détruire les débris de culture : la plupart de ces recrues de la loquacité journalière n’ont en effet, de la culture française que des débris (je ris encore à la bourde, jadis, de l’inévitable et ignare Antoine Spire prononçant limes à l’anglaise et ne s’excusant pas plus de cette bourde que d’avoir été stalinien) (je ne résiste pas au plaisir de répéter la riposte spirituelle de Georges Mailhos à ma feinte hésitation – agoniser ou agonir d’injures ? – agoniser me lança-t-il, c’est bon pour « France Culture » et en effet il semble que la seule condition, la condition sine qua non pour y être recruté est de haïr le clan Le Pen[32]). 2) Observer des rotations : certes ce serait une aubaine que le renouvellement complet, chaque semaine ou chaque mois, de tout le personnel des médias – nova facti creatura[33] ; mais ces mollusques sont, sauf manquement grave aux consignes du Pouvoir, inamovibles (Antoine Spire fut une arapède de « France Culture » vingt-trois années durant). 3) Eviter une humidité excessive : se préserver par exemple des larmoiements présidentiels après chaque bavure terroriste ou policière. 4) Choisir des variétés résistantes : ah ! Substituer aux journalistes mollusques des journalistes virils et motivés, ayant du caractère, capables de braver l’Opinion, les Partis, les lobbys ! 5) Pulvériser du purin de prêle ? Non, de la poudre de psalmiste, ou injecter chaque matin dans les méninges de la médiacratie quelques formules de Léon Bloy ; celle-ci par exemple – « quand je veux savoir les dernières nouvelles, je lis saint Paul » : me semble avoir la vertu d’un mucilage évacuant.

 

Est-il question de « droite » et de « gauche » dans la Bible ? Oui, mais c’est pour se garder de l’une comme de l’autre ; ou c’est, exceptionnellement, pour les accueillir l’une et l’autre en un heureux diptyque : les fils de Zébédée prient Jésus de les accueillir dans le Royaume l’un à sa droite, l’autre à sa gauche ; il n’y a pas la moindre insinuation dans ce vœu que l’une de ces places serait meilleure que l’autre ; l’une et l’autre honorent, consacrent, sont liées. On peut soupçonner que dans le Royaume (ô combien peu ressemblant à une Assemblée nationale !) ces notions de droite et de gauche n’ont plus le moindre sens. Dans la grande Rose qui s’épanouit aux derniers chants du Paradis de Dante qui imaginerait une préséance quelconque accordée à la droite ou à la gauche[34] ? La société des élus est immunisée contre ces stupides discriminations. En revanche le discours eschatologique des Evangiles – celui du jugement dernier – ne laisse aucun doute sur l’infortune d’être placé à gauche et la bénédiction d’être placé à droite : venez, les bénis de mon Père, allez au feu, les maudits. Comment ne pas avoir le soupçon que s’enorgueillir d’être à « gauche », comme c’est le cas en France depuis la révolution jacobine, est un symptôme de dégradation spirituelle et conséquemment de perversion politique ? (Aucun mot n’est innocent : week-end extermine sabbat et dimanche ; « mariage pour tous » liquide le mariage ; « Hollande » président de la République française est une mauvaise plaisanterie etc.). Comment ne pas entrevoir que les mentalités, une fois éjectée de l’esprit public cette sinistre dyade, seraient assainies, assagies et astreintes à mieux réfléchir sur le destin commun ? « Et si tu n’es pas de droite tu es sinistre Comme une tache grise ou le pressentiment » crie le chœur au larron dans un poème libertin d’Apollinaire. Mais s’il est en effet, dans une perspective de fins dernières (à supposer que cette notion fasse sens), eu égard à la tradition biblique, conseillé de privilégier la droite et de honnir la gauche, dans l’ordre séculier ni l’une ni l’autre n’ont à se prévaloir d’une quelconque supériorité politique ou morale, et il est aussi navrant, aussi vain, aussi déplorable de fanfaronner parce qu’on est de « droite » que parce qu’on est de « gauche ». Dans l’un et l’autre cas on montre seulement qu’on est hémiplégique, et il n’y a pas de sens à se vanter d’une infirmité.

 

Hémiplégie. Camus, dans un beau texte en hommage à Salvador de Madariaga, dénonçait (en 1956) l’hémiplégie politique. Il en souffrit lui-même jusqu’en son dernier décours. J’ai cité dans mon Camus le juste ? deux aveux significatifs, l’un datant de 1955 : « je suis né dans une famille, la gauche, où je mourrai », l’autre de 1959 : « cette gauche dont je fais partie » ; en regard cette vigoureuse injonction de Claudel inspirée par saint Benoît : « à droite, à gauche, âme en marche, renonce à ce double désert ». Camus s’il vivait aujourd’hui stagnerait-il encore dans le « désert » ? Je dirais, je dis plutôt : le marécage, la vase. En 1955 déjà il discernait « la déchéance » de la gauche ; en 1959 il dit en faire partie « malgré moi et malgré elle ». Je gage qu’en 2017, au vu, au lu, au ouï de la débâcle intellectuelle et spirituelle d’une « gauche » dont un des représentants les plus nantis, les plus «bobos » affecte de ne pas faire de différence entre louer ses bras ou louer son ventre, oui, en ce 2017 Camus, sans pour autant basculer à « droite » (ça vaudrait-il mieux ?!), aurait abandonné la « gauche » avec perte et fracas. Dans la page de Camus le juste ? où je cite ces phrases navrées navrantes de l’auteur des Justes je mets entre parenthèses ma propre assertion : « Je suis né dans une famille, la droite, où je ne mourrai pas, mais dont il me serait difficile de déchoir à gauche ». Cette assertion (voir Alain, Aron) me classe incontinent à « droite » ; il n’y a rien à faire ; vous coller une étiquette, comme on vous colle le dos au mur, vous sécher et presser dans un herbier de déterminations définitives, vous mettre en papillote comme un lépidoptère, vous n’y échapperez pas, vous devez être de «gauche » ou de « droite », manchot c’est la règle, et d’un bras ou d’un pied seulement ; manchot des deux membres est interdit. Telle est la passion des gens à idées fixes, enkystés, tétanisés dans l’alternative politicienne. Cependant la preuve que je ne suis pas de « droite » comme le veulent les fanatiques de l’épinglage et de l’étiquetage m’est donnée chaque fois que je le désire par mon ami J.F., « droite » toutes, qui élimine tout de go l’hypothèse où je pourrais ne pas faire chorus avec lui, ou par mon amie M.D. qui s’émerveille de maintenir une relation amicale avec la seule personne dans son monde qui ne soit pas comme elle résolument à « gauche » et me met mal à l’aise, à son insu, en m’imputant un parti pris antagoniste du sien comme si c’était me faire justice voire me rendre honneur. Je l’ai entendue naguère exprimer sa tristesse au constat que l’actuel président de la République a misérablement trahi cette « gauche » qui l’a sottement porté au pouvoir.

 

L’actualité nous afflige d’un Macron dont le prénom Emmanuel « Dieu  avec nous» devrait être modifié en Emmanuhol, « Hollande » avec nous. Ce personnage semblerait à qui manque totalement de perspicacité (cette lacune hélas en un pays de veaux est chose fort commune) répondre tout à fait à mon vœu puisqu’il clame urbi et orbi (urbi et lobby ?) qu’il sort du système en refusant le clivage droite/gauche. La vérité c’est qu’adoubé par « Hollande »[35], de mèche avec lui, jouant par feinte le transfuge, il a dû convenir avec celui-ci que la seule chance électorale de la « gauche » serait au terme d’un quinquennat minable de ne plus s’afficher comme telle. Ce président « calamiteux » (l’épithète est de Houellebecq et de tout citoyen doué de jugement) ayant rendu la « gauche » calamiteuse, la seule façon de la rendre à nouveau passable, de la faire passer, c’est de la badigeonner d’un vernis trompeur. « Ni droite ni gauche » est la grosse ficelle d’une « gauche » aux abois. Ce Macron est un clone de « Hollande », certes un clone qui présente mieux et parle mieux (ce n’est pas difficile !) que son commanditaire, mais dont le curriculum vitae, les déclarations, les complicités ne laissent aucun doute ni sur la Weltanschauung ni sur la Sehnsucht. J’aurais honte d’accorder un sou d’attention à cette misérable péripétie politicienne et à ses fades acteurs si elle n’offrait l’intérêt de révéler que la dyade droite/gauche est si usée et méprisée à l’heure actuelle que les « ni …ni » (ni droite ni gauche) risquent demain de pulluler non pour signifier un nouvel âge de la pensée et de la polis mais un pataugeage, un enlisement accrus dans un « ou bien/ou bien » vaseux. Il faut encore, à titre indicatif, souligner la prestation d’un François Bayrou, agité du bocal exemplaire, qui se fait des bleus à force de se blouser, cogné tantôt contre l’idée rouge tantôt contre l’idée blanche, ni à « droite » ni à « gauche » dit-il et pourtant inimaginable hors de cette alternative imbécile, de cette misérable alternance.

 

Le philosophe Alain était bien inspiré quand en juin 1935 il écrivait ceci qui mot pour mot caractérise le dévalement, le fourvoiement d’aujourd’hui : « Alors que voulez-vous que fassent ceux de droite ou ceux de gauche ? Ils font semblant d’ignorer que nous roulons sur rails et toujours vers la même catastrophe. Ils font mine de délibérer, quand tout se décide de jour en jour par une nécessité aveugle. Et ils discourent /…/ ». Ce Propos lucide mettait admirablement en exergue que nos marionnettes politiques et médiatiques sont menées, menottées par la « nécessité aveugle », dans le train du monde qui les emporte, où leurs criailleries « droite » « gauche » n’ont pas plus de portée réelle que des bruits de roulement. Un autre Propos de la même année, octobre, révèle hélas qu’Alain ne s’est pas dégagé de la miteuse alternative : « toutes les désobéissances sont républicaines /…/ C’est l’anarchiste, cet extrême de gauche, qui fait vivre toute la gauche. Et c’est l’esprit monastique, foudroyé d’obéissance, qui fait vivre toute la droite. Vainement, ils font du bruit, ce sont des faces pâles, et ils ont peur de tout ». Relus en 2017, donc quatre-vingts ans plus tard, de tels énoncés si on ne les excuse pas eu égard à la conjoncture qui les suscita ne méritent que des nasardes. Qui fut désobéissant le 16 juin 1940 ? Le Colonel de la Rocque ; le 18 juin 1940 ? Le Général de Gaulle. La « gauche », cependant, tombait amoureuse de Staline ou de Pétain. Les chroniques de Bernanos, Français si vous saviez, sont à ce navrant Propos, une décennie en aval, une foudroyante réplique. Quant à la « gauche » d’aujourd’hui, sa stérilité intellectuelle, ses rengaines obsolètes, sa soumission, ses subversions subventionnées, ses révoltes consensuelles, ses grandes peurs de bien-pensance, sa censure obsessionnelle, son hystérie festive, sa culpabilité hargneuse ont été analysées, stigmatisées et ridiculisées par Philippe Muray avec un talent à toute épreuve.

 

La politique ne peut être dégagée de l’ordre des choses et des traditions spirituelles. Le Dictionnaire des symboles montre par maints exemples que la droite dans la tradition occidentale est faste, de bon augure, néfaste de mauvais augure la gauche. Cela n’est pas un argument politique, mais la politique si elle néglige l’aura des notions primordiales se fourvoie dans des lubies et des alibis. Tous les partis, dans un pays en bonne santé, devraient être de « droite », c’est-à-dire penser droitement et pour le bien commun, mais dans la France actuelle, leucémique, suicidaire,  il n’existe que « deux grands partis de gauche dont l’un s’appelle la droite[36]». Or être de « gauche », legs onéreux de la Révolution, est une infirmité rédhibitoire. Etre de « droite » ne l’est pas moins puisque c’est une autre façon d’être de « gauche », et ce ne sont pas les harangues Mac/a/roniques – je l’ai dit – qui nous délivreront de ce bit imbécile.

 

Le dernier mot, la parole dorée, le drastique souverain, demandons-les à Armand Robin, poète anarchiste[37], proche de Brassens :

« En ce temps où je devins poète ouïghour, les intelligents se groupaient, trois mille par trois mille, pour d’une seule voix demander, même aux danseuses : « Etes-vous de droite ou de gauche ? » Ils n’aimaient pas du tout celui qui leur demandait : « Etes-vous du haut ou du bas ? » C’est qu’ils ne s’étaient jamais levés[38]. »

Le dernier mot ? Non. Un autre poète, de langue arabe, Adonis, dans son récent recueil, Jérusalem (paru en traduction française en 2016 au « Mercure de France »), prend la dyade « droite gauche » dans une parenthèse et l’étau d’une énumération sinistre :

« (Pétrole. Uranium. Ultrason. Munitions. Scandales. Interrogatoire. Contrebande. Lois. Droite. Gauche. Négociations. Trahison. Torture. Migration, etc.). »

« Droite », « gauche », à la casse !

« Ni gauche ni droite », à la casse !

Rendre ces vocables, dépollués, dépolitisés, à leur bon sens, au bon sens, à l’humble, exigeante réalité.

Quant aux journaleux et politiciens de « droite » ou de « gauche », ces parasites, les recycler après une cure de désintoxication dans la prière, la chanson, les organisations d’intérêt public ou les activités caritatives.

 

  1. Claudel sur Veuillot qui avait « raison, toujours, indéfiniment, contre /…./ toutes les prises /…/ de l’adversaire ! celui de gauche et celui de droite ! ainsi que le roi David dans les psaumes ! et, suprême satisfaction, d’avoir raison dans un combat où l’on est absolument garanti contre la victoire ! »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Les paroles exactes sont : « il faut leur donner leur signification ». C’est si mal dit que je ne peux pas ne pas corriger. Au coin, Mr le Président ! Bonnet d’âne !

[2] Mot censuré

[3] Frédéric Rouvillois démontre avec force preuves à l’appui que l’utopie hitlérienne, le nazisme, prétendit aussi fabriquer un homo novus.

[4] Citée dans Le Figaro du 12/09/2012

[5] Institutions nouvelles, oui. Homme nouveau, non ! Un ministre de l’Education Nationale, agrégé ( ?) de surcroît, devrait employer les concepts à bon escient.

[6] Je me réjouis de n’avoir jamais vu ni revu cette Revue fondée par Caroline avec sa compagne Fiammetta.

[7] Michael Lonsdale, interrogé par Jean-Luc Jeener, a une autre métaphore : « Comme si on voulait marier une carotte avec un pissenlit ». Nombre de végétaux s’offrent par couples à qui veut couler à fond par l’image l’indécence du « mariage » gay. J’aurais dit : la carotte et la laitue (pour les femelles) ; (pour les mâles) l’artichaut et le haricot.

[8] Occasion de noter un effet boomerang de la dérision. Trompeur trompé, conte la fable. Rira bien qui rira le dernier, dicton fameux. J’ajoute : nul n’est à l’abri du rire. Ici ces femmes excessivement laïques qui veulent rendre ridicules les calotins se (dé)couvrent elles-mêmes de ridicule.

[9] En Suède il va de soi que bambins et bambines clapotent nus dans la même eau ludique sans que l’appendice urétral de ceux-là inquiète ou excite chez celles-ci le même appendice iniquement plus bref.

[10] On lit par exemple, dans l’article cité du Figaro, cette révélation : « seulement 4°/° des sociétés suédoises cotées comptent des femmes et des hommes à parts égales ». C’est   scandaleux en effet..

[11] ‘ »aux pieds légers », épithète homérique

[12] La chanson « couscous merguez » ne manque pas de variantes. Je cite celle-ci : « Un couscous merguez 
Un couscous merguez 
Oh eh oh eh 
Allah wakbal masqué oh éh oh éh 
Allah allah wakbal masqué 
Elle ne peut pas s’arréter oh éh oh éh 
De prier prier priieeer 

Pendant toute l’année elle porte sur son corp 
Sa burka! Sa jelaba (?) ! 
C’est un vrai calvaire d’apprendre toutes ses prière! 
Sur l’cora qu’est-ce que c’est chiant! 
Aujourd’hui jfi pas squi me plai (
Sinon mi mari y va mi taper 
Au carnaval on mi prends pour batman 
Aujourd’hui couscous party ».

Mais on me signale également la chanson « couscous boulette », que l’on enseigne en son jardin d’enfants à Ambre, petite-fille de mes amis D, et que celle-ci fredonne à mon intention. Je la transcris telle qu’ « Internet » en son éternité la fixe (et c’est ainsi qu’Ambre, dûment instruite, me l’a chantée) : « Oooo Ginette fait nous ton couscous boulette avec de la rissa ou pour faire plus fort que ça ». L’inconvénient ici, qui n’est pas à déplorer dans « couscous merguez », c’est que la Ginette interpellée joue à l’évidence le rôle traditionnel de la femme au fourneau. Mais qu’importe ? L’essentiel, c’est que les paroles soient impeccablement niaises ; la mélodie, en l’occurrence, est aussi niaise que les paroles. Le plus sûr moyen de gommer dans les jeunes cerveaux le stéréotype de la différence sexuelle, c’est de les crétiniser à fond grâce à de grossières inepties sans queue (certes !) ni (blonde) tête. Comparez « Oooo Ginette fait nous ton couscous boulette » et « auprès de ma blonde qu’il fait bon dormir » : il n’y a pas à balancer ; ici, la séculaire ritournelle du couple, lui et elle, là, le vœu unisexe de bouffer (et – cela ne gâte rien – de ne pas bouffer français).

 

[13] Kivi & monsterhund, » Kivi et monstre chien »

[14] Hasard objectif, cadeau de la Providence ? Ces derniers mois j’ai beaucoup lu Plotin et Nietzsche. L’un et l’autre absolus pourfendeurs de la menteuse mythologie de l’égalité.

[15] « Les enfants », dans le texte original. Mais il s’agit des garçons exclusivement.

[16] Aristophane imite ainsi (mais avec « koax koax ») le chant des grenouilles dans la pièce du même nom. Rousseaua repris l’onomatopée dans un quatrain plaisant.

Voir le site « HoaxBuster ».

[17] De l’islam, non des musulmans. Les médias, dont le quotient intellectuel, pour la plupart de ses agents, est faible, ne font pas l’amalgame quand il est requis de le faire (islam et islamisme) et le font quand discriminer serait le b, a, ba de   la conscience intellectuelle.

[18] Allusion au chapitre ultime du Quart Livre de Pantagruel. J’ajoute – n’importe quel être en bonne santé physique ou mentale le sait bien – qu’on ne progresse qu’en conservant.

[19] Pour Flaubert, trois âges successifs : paganisme, christianisme, muflisme.

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[21] La rache, c’est aussi (voir le Littré) une lie du mauvais goudron et de l’huile ; il s’agirait alors de souiller la crèche (pouah !) par une espèce de poix

[22] Ache, en anglais, c’est : douleur.

[23] Malherbe écrivait cependant : « De toutes les dettes, la plus aisée à payer c’est le mépris. Nous ne ferons pour cela ni cession ni banqueroute ». Je crois en effet disposer de réserves de mépris inépuisables. J’ai déjà dit en confession et le redirai que je verse en esprit sur la tête molle de notre actuel Président une rache de mépris, mais, devrai-je ajouter, je ne parviens pas à me repentir de ce versement, ma réserve de rache est inépuisable et ma seule ressource pour obéir au précepte évangélique, c’est de penser que cette mazette fut un môme innocent et sera un cadavre inoffensif.

[24] Je viens d’en faire l’épreuve précisément avec « Carrefour Market ». L’imprudence de l’avoir consulté sur « Google » (3 980 000 résultats) a pour conséquence une tentative réitérée d’indiscrète ingérence : « le site web /…/ aimerait utiliser votre localisation actuelle ».

[25] Je fais allusion à la première strophe du poème L’Emigrant de Landor Road

[26] Pouacre, terme d’emploi rare aujourd’hui, pris ici dans l’acception que lui confère Calvin.

[27] Doit-on rappeler que la Fatiha, sourate d’ouverture que tout musulman qui se respecte sait par cœur et récite journellement, équivalent, dit-on volontiers, du Pater chrétien, ne dénonce pas, en sa pointe, le Mauvais mais les mauvais, à savoir les Juifs (« ceux qui ont encouru » la divine « colère ») et les Chrétiens (les « égarés ») ?

[28] Ce crin-crin insiste, inexpugnable : Emmanuel Carrère, dans Le Royaume : « Les gens qui se déclarent apolitiques /…/ sont de droite ». Mais il ne s’agit pas de se déclarer apolitique, il s’agit de constater que la politique a versé dans le tohu-bohu et qu’elle est, de « droite » ou de « gauche », aujourd’hui méprisable.

[29] Dans le même ouvrage, Orthodoxy, paru en 1908 : « We do not need a censorship of the press. We have a censorship by the press ».

[30] L’incongruité de placer un tel patronyme dans une telle position présidentielle se redouble pour moi d’une sidération à constater que nul de mes proches, nul des médiacrates ne s’en avise. Imagine-t-on la chancelière Merkel remplacée par une madame Slovénie ? Le président du Portugal appelé Finlande ? Cela paraîtrait pour le moins une incivilité ; on en rirait. De Gaulle disait : « les Français s’avachardisent », ce sont « des veaux ». Qu’ils aient veauté pour hisser à la Présidence un « Hollande » sans réaliser combien ce serait incongru, inconvenant, indécent, d’un point de vue linguistique-phonétique-onomastique d’abord, conséquemment politique, rend flagrant hélas que de Gaulle avait raison : la tête du citoyen lambda, dans notre pays avachi, a le quotient intellectuel d’un bovidé.

[31] « Vous consultez les informations, l’idiotie vous submerge » (Sollers).

[32] « Ecrabouiller Marine le Pen », lançait l’autre jour une pasionaria.

[33] Hymne à l’Esprit Saint d’Adam de Saint-Victor.

[34] Voir le chant XXXII.

[35] Les guillemets, chaque fois que je le nomme, sont un artifice badin pour signifier combien ce nom, dans la position occupée par le personnage, me paraît farcesque.

[36] Joli trait d’esprit, mais qui met en plein dans le mille, de Ghislain de Diesbach.

[37] Sa définition de l’anarchiste : un être «  purifié volontairement, par une révolution intérieure, de toute pensée et de tout comportement pouvant d’une façon quelconque impliquer domination sur d’autres consciences »17.

Saint Benoit Joseph Labre

 « le pouilleux d’entre les pouilleux » (Rémi Soulié, dans Le Curé d’Ars)

 

                      

         PREAMBULE

 

J’arrive à un âge où si radoter n’est pas encore une triste et comique fatalité c’est au moins un privilège que l’on s’octroie, une coquetterie que l’on s’accorde. Le Lagast est une région féerique où la fantaisie est permise, où l’incongruité pourvu qu’elle ne soit pas triviale est de rigueur, où je puis donc déplorer pour la seconde fois avec François Mauriac le « supplice du roman » et protester que ce supplice je ne le subirai pas. Mais Rémi Soulié, facétieux metteur en œuvre des Colloques de Durenque, persévère à élire, pour chacun de ces colloques (il y eut une exception avec René-Guy Cadou, ouf !), un écrivain de veine romanesque, de vaine effusion fictionnelle. Il ne faut pas s’étonner que des esprits fabriqués comme le mien soient indisposés à l’endroit de la fiction romanesque. Si médiocre que soit mon gabarit intellectuel il s’appareille quelque peu à celui de Paul Valéry qui afficha sans pédale de sourdine son mépris pour un genre littéraire où l’on court le risque de voir une marquise sortir à cinq heures. Une créature de roman ne vaut aujourd’hui, sauf rares exceptions, que dans le monde du romancier qui l’a mise sur orbite aux fins de se soulager d’une obsession ou de se procurer une vie imaginaire en supplément de la sienne propre. Un être qui a réellement vécu, même si sa vie est aussi minuscule que celle des héros fictifs de Pierre Michon, a tout de même joué son rôle dans l’écosystème planétaire et produit quelques effets sensibles au moins dans son entourage immédiat et par train d’ondes dans le milieu ambiant. Et quand on a affaire à un saint, quand même serait-il aussi peu prestigieux que Benoît Joseph Labre et quand même formulerait-on contre l’appareil catholique à canoniser les plus expresses réserves, on ne peut éviter le soupçon que par cet être-là le monde a reçu une onde de choc.

André Dhôtel, entre 1946 et 1983, fut un inlassable pourvoyeur de produits romanesques. Lorsque j’appris qu’un de ces romans, qui n’en était pas un, était consacré à saint Benoît Joseph Labre (mais le biographe étant forcé peu ou prou de combler des lacunes la différence entre une biographie et un roman n’est pas évidente) je me précipitai à la librairie « Ombres blanches » et fis l’acquisition de l’ ouvrage de 1957 republié en 2002 par les éditions de « La Table Ronde ». Benoît Labre me fascine depuis des lustres. L’image synthétique que je me formais de lui jusqu’à cet achat était celle d’une sorte de SDF exposé aux moqueries de la plèbe urbaine et recevant avec placidité sur sa pauvre trogne des trognons de chou. Il était donc dans ma vision du monde un digne descendant de ces héros ou héroïnes des premiers siècles de chrétienté dans le désert d’Egypte ou la foule alexandrine dont Michel de Certeau, dans sa Fable mystique trace à traits vifs le portrait, « idiotes » ou « idiots », salai ou saloi, notamment une Tabennésiote qui aura poussé jusqu’aux dernières limites concevables l’art de se rendre méprisable. Découverte en son monastère par le saint moine Pitéroum, et ne tolérant pas d’être arrachée à sa condition innommable, elle disparut, dit la légende, à jamais.

« L’effacement soit ma façon de resplendir » est un vers superbe de Philippe Jaccottet qui aura resplendi, lui, autrement qu’en s’effaçant. Il en va de même d’André Dhôtel qui a la coquetterie de s’inscrire au nombre des cancres mais s’il s’en croit un et en est un sans doute comparé à Balzac ou Tolstoï il a suffisamment œuvré et avec assez de succès pour être de ces honnêtes écrivains, de ces minores comme on dit en Cuistrerie, dont le nom est assuré, comme le dit le psalmiste, de ne pas périr, et son Saint Benoît Joseph Labre n’est pas le moindre de ses titres à durer « éternellement ». Cela ne surprend pas. Ce qui surprendrait, si l’on ignorait qu’il existât dans le monde une sacrée Congrégation pour la cause des saints, c’est qu’un individu aussi délabré que ce grand dadais de Benoît Joseph Labre, parfaitement inapte à s’illustrer dans quelque domaine que ce soit, jouisse au moins dans le monde catholique d’une solide réputation ; ainsi est-il honoré d’un buste à Saint-Sernin de Toulouse. L’effacement aura été sa façon de resplendir.

Toujours ému, attisé, galvanisé par ce leitmotiv de Bernanos – « notre Eglise est l’église des saints » – je l’admire, cette Eglise, d’avoir porté sur les autels des êtres qui selon les critères mondains ne sont remarquables que par leur insignifiance. Il me plaît que Monseigneur Trochu, au chapitre quinzième et dernier de sa Sainte Bernadette, « Et il a exalté les humbles », évoque en termes magnifiques le somptueux hommage rendu en 1933 en la basilique Saint-Pierre à une humble moniale de Nevers qui fut pauvre ô combien et en biens matériels et en acquêts culturels. Il me semble permis, en Lagast, c’est-à-dire au Kamchatka, d’être quelque peu …volcanique ? non, désinvolte. A vrai dire si je m’étais piqué de faire ici œuvre de critique littéraire et érudite je n’aurais pas seulement étudié les travaux les plus récents sur Benoît Labre signalés par André Dhôtel, j’aurais examiné les cinq cents pages hagiographiques, parues en1873, de Léon Aubineau. Mais je dois aux Rouergats cet aveu : un écrivain, quelle que soit sa virtuosité, ne me sidère pas plus qu’un joueur de belote ou de cornemuse ; je me sens certes très inférieur à un Voltaire ou un Valéry, fort en-dessous d’un André Dhôtel ou d’un André Chamson, mais ces gens-là sont bâtis du même mortier mental que moi et c’est la même farine de phrases qu’ils blutent ; « il n’y a pas de grand homme » – cette révélation (ce mot de passe) de Joë Bousquet au Castrais Gaston Puel a mis d’infrangibles limites à mon admiration pour les prouesses rhétoriques. J’écris mal, mais j’écris, il m’arrive même, si peu que j’arrive à quoi que ce soit, d’écrire quelques phrases qui ne déshonoreraient pas l’auteur de Zadig ou de Teste. De même, je ne joue pas les sonates de Beethoven comme Kempff ou Brendel, mais je les joue, et si je ne descends pas les pistes de la Moucherolle comme le ferait Carole Montillet tout de même je puis les descendre. Mais quand il s’agit d’un Benoît Labre ou d’un Jean-Marie Vianney, d’une Thérèse d’Avila ou d’une Thérèse de Lisieux, je capitule, et quand je dis que je capitule j’entends que je n’imagine pas le moins du monde que je puisse en quoi que ce soit rivaliser dans l’art de se refuser au monde avec ces extraordinaires virtuoses de l’abnégation. J’ai cru longtemps qu’à la différence des autres grandeurs exceptionnelles de chair ou d’esprit auxquelles seuls de rares élus peuvent prétendre la grandeur de charité qui est le propre des saints était en principe accessible à tout un chacun, et c’est ce qu’affirme la vulgate cléricale.!). « Tous Charlie » ? Peut-être, galfâtres. Tous Benoît ? Il ne se peut, pour des raisons qui transcendent la politique et même l’éthique. Il s’agit, avec le saint, surtout quand la partition jouée par ce saint est celle de Benoît Labre, d’un saut qualitatif par rapport à toute performance rien que mondaine. Dans la prouesse d’un Goya, d’un Proust, d’un Gould – je prends ces noms d’artistes au hasard -, dans celle d’un Pasteur, d’un Einstein, d’un Gödel –trilogie de savants mêmement aléatoire -, je sens toujours, peu ou prou, une ambition de se faire voir, valoir, un alcool de vanité. André Dhôtel ne cherche-t-il pas en écrivant sur Benoît Labre un succès de librairie ? Mais ce qui déroute, non chez tous les saints (récemment canonisé Karol Wojtyla devenu Jean-Paul II se savait un as de la représentation et de la communication) mais chez les niais, les godiches, les pauvres très pauvres en esprit (comment un Augustin aurait-il pu l’être ? pas plus que Plotin !), c’est d’avoir poussé presque à la perfection l’art de n’être (presque) rien et de vouloir être compté pour rien. Aussi n’ai-je pour toutes les performances de vanité, si considérables soient-elles, qu’une admiration relative ; elle est absolue pour un saint. Ce qui m’époustoufle dans le cas d’un Benoît Labre, et moins par exemple chez les Bernoulli, ses contemporains alors que je n’ai pas le moindre accès aux savants calculs de leur génie mathématique, c’est qu’il réussisse à me surpasser prodigieusement par sa … nullité, n’ayant d’autre compétence que de se résigner à n’en avoir aucun. Le saut qualitatif, en ce cas, quand on est dans le sens le plus flagrant (et non dans l’acception rouée, sophistiquée de Musil), un « homme sans qualités » (le héros Ulrich est tout au contraire de Benoît un bourgeois de culture fine et de subtiles ressources), c’est de tirer de cette absence de qualités une exceptionnelle qualification pour un genre d’exploits qui échappe à tous jurys, toutes juridictions mondaines mais tout de même finit par obtenir dans le peuple sinon chez les dilettantes ou les doctes un succès dont aucun cacique, aucune diva ne pourraient se flatter. Si la comparaison n’était pas triviale je dirais qu’en bout de course Benoît, revêtu du maillot jaune, reçoit d’une foule enthousiaste la même ovation qu’un Bartali ou un Bobet au terme d’une rude étape du Tour. Ce propre à n’être rien, ce propre à n’être que saint nous invite à considérer que faire le saint, quand on est impropre à faire quoi que ce soit, c’est s’engager sur une voie très étroite qui se termine étonnamment, avant même que l’on soit canonisé par les Instances cléricales, en voie royale.

 

BRANLE        Entrer en flirt avec André Dhôtel exclut que l’on se plie aux procédés canoniques de la dissertation. « Je compte sur le hasard au cours des lignes et des lignes », écrivait-il, rendant compte de sa méthode ou plutôt de son absence de méthode romanesque. Je m’autorise dans ce petit essai semblable liberté d’allure. Un de ses élèves cueillait chez Joubert une remarque de même farine : « faire d’avance un plan exact et détaillé, c’est ôter à son esprit tous les plaisirs de la rencontre et de la nouveauté dans l’exécution de l’ouvrage ».

Si on se réfère aux travaux concernant le Curé d’Ars on peut, au seul vu du titre, distinguer ceux où la sainteté est mise en évidence – Monseigneur Trochu :  Le Curé d’Ars, Saint Jean-Marie Baptiste Vianney  Curé d’Ars – et ceux où elle ne l’est pas ou l’est avec nuance – Jean Follain : Jean-Marie Vianney, Curé d’Ars ; Rémi Soulié : Le Curé d’Ars. Pauvre et saint Curé d’Ars, titrait Daniel Pézeril. Le catholique Dhôtel, intitulant son ouvrage Saint Benoît Joseph Labre, ne répugne certes pas à se faire hagiographe mais à l’évidence il ne veut rien dissimuler des côtés un tantinet malsains de cette sainte histoire. Ses  premières dizaines de pages donnent même au primesaut de la lecture le sentiment que l’on a affaire en l’occurrence à une pitoyable victime de l’illusion religieuse plutôt qu’à un chrétien ébloui par la divine lumière. Benoît est doux, docile, on serait tenté de dire apathique ; il gobe tout en bigot, pour ne pas dire en benêt ; il a le « zèle d’un bon élève qui n’a jamais rien inventé et n’inventera jamais rien » ; il est « empêtré de son corps » ; il est d’une insigne maladresse, inapte aux tâches ouvrières comme aux tâches intellectuelles. Aussi en vient-on à se demander si Dhôtel ne l’aurait pas choisi en qualité de cancre, de cancre d’exception, qui méritât d’être le saint patron des cancres et, au cas qu’on organisât pour ceux-ci des Jeux floraux, de remporter le liseron d’or. Il ne manque pas de saints remarquablement doués, d’aucuns sont même, au sens baudelairien, des « phares » de l’humanité. Benoît est le contraire d’un phare : un falot. Dhôtel, professeur, sait ce que c’est qu’un cancre et avoue pour les cancres un amour d’élection : il salue leur bon sens inépuisable, il rapproche même leur « étonnement » de celui des présocratiques ; mais qui songerait, grands dieux, considérant la carrière de Benoît, à Thalès ou Anaximandre ? Quant au bon sens, il en était si dépourvu qu’il s’épuisa souvent pour en avoir manqué. Jean-Marie Vianney sera, un siècle plus tard, un autre cancre de gros calibre, mais s’il excella non moins que Benoît à ne rien entendre à la langue latine il se fit assez remarquer par ses sermons qui prononcés dans la plus émouvante langue du cœur attirèrent des foules en son église d’Ars. C’est la revanche du cancre sur les caciques. Quoiqu’il s’en défendît et en fût même outragé on peut assurer que Jean-Marie Vianney de son vivant et longues années durant connut une sorte de gloire. Celle de Benoît Labre n’est que posthume et ne doit rien à quelque talent que ce soit. Or quand on constate que ce virtuose de la sainteté fut un virtuose du délabrement on risque d’hésiter entre la pitié et la répugnance, et André Dhôtel, s’il se garde constamment de celle-ci (sans cacher que Benoît fut répugnant pour nombre de ceux qui l’approchèrent), frôle parfois celle-là (qu’éprouvèrent maints nobles coeurs). J’ai déjà noté qu’il se garde d’être indiscrètement édifiant. Il faut préciser que l’imprégnation janséniste du saint, responsable, c’est à soupçonner, de ses scrupules morbides et de ses méticuleuses bizarreries, a dû l’attrister quelque peu. Rien n’en transpire dans son livre, sinon une remarque incidente à propos du Père Lejeune, premier et principal guide spirituel de Benoît, que l’on « taxa de jansénisme ». Mais – confidence de Jean Follain – « Dhôtel  me dit qu’il a eu le même sentiment de jansénisme pour Benoît Labre que moi pour Vianney ». Et Jean Follain crache le morceau : « Nos saints qui étaient tout amour souffraient de leur jansénisme ».

Il y a une autre manière, ni insultante (voltairienne) (montmartroise) ni ecclésiale et spiritualiste, de prendre un individu comme Labre en considération. Le poète Henri Michaux, qui n’était ni catholique ni chrétien, s’est intéressé au Curé d’Ars parce que celui-ci était favorisé ou harcelé de phénomènes paranormaux. Je ne sache pas que Gilles Deleuze[1] (auquel se réfère volontiers Patrick Reumaux, fan de Dhôtel) se soit intéressé à Benoît Labre mais il l’aurait pu, quoique infecté d’un morbide préjugé contre les choses divines et l’ordre de la charité, pour autant que Benoît Labre témoigne dans sa bigoterie poussée au paroxysme d’une stupéfiante originalité qui le met à l’écart de toutes les bonnes façons reçues. Ce que Deleuze dit, dans Critique et clinique, du fascinant héros de Melville, Bartleby[2], s’appliquerait, voire jusqu’à l’énoncé dirimant « I prefer not to », au saint vagabond dont la voie, de sanctuaire en sanctuaire, fut une voie originale vers l’insubordination. « Chaque original », souligne Deleuze, « est une puissante Figure solitaire qui déborde toute forme explicable » ; sa « logique » est « extrême et sans rationalité » (toutefois le cœur a ses raisons, ô combien fortes, dans le cas de Benoît) ; « l’original », note-t-il encore, « on ne sait même pas s’il en existe absolument /…./ et c’est déjà beaucoup quand on en rencontre un » ; « il savent quelque chose d’inexprimable, ils visent quelque chose d’insondable » ; « ils défient la psychologie ». Eh bien, le monde d’André Dhôtel est un séminaire d’originaux ; la plupart sont fictionnels ; deux d’entre eux, aussi invraisemblables l’un que l’autre, furent pourtant l’un et l’autre de vrais hôtes de notre vallée de larmes : Arthur Rimbaud le jeune poète génial, Benoît Labre le jeune cancre pieux, passant considérable a-t-on dit de celui-là, et de celui-ci, avec Dhôtel, ne pourrait-on le dire aussi ? Oui, de tous les personnages au pedigree varié que ce philosophe romancier a introduits dans son pays mental les plus déterritorialisés, les plus fantastiques et pourtant les seuls authentifiables par l’état-civil sont ces deux lurons qu’apparemment tout oppose et qui semblent, dans ce pays mental, comme gémellés.

 

UN PASSANT CONSIDÉRABLE

 

Ce n’est pas sans un subtil plaisir qu’on ose se moquer de l’excellent Mallarmé. Il y a, dans la guerre de Troie de la littérature universelle des Achilles et des Thersites. Je me classe parmi ceux-ci, mais le pire des malotrus dispose d’un petit arsenal de railleries dont il lui est loisible de faire usage au gré de son humeur. Il n’y a, pour moi, pas de doute : Benoît Labre, auquel je ne vois pas que l’auteur des Divagations ait jamais prêté le moindre intérêt, fut un passant considérable. Certes moins que Rimbaud, car Mallarmé se trompe quand il affirme que tout, sans celui-ci, aurait existé (sans Rimbaud, il n’y aurait eu ni Claudel, ni Breton, ni Char, ni Bonnefoy ni … ni…!), alors que Labre, dans l’ordre visible du moins, ne semble avoir pas eu la moindre influence sur l’évolution de l’Eglise catholique ou dans l’histoire de la spiritualité. Mais considérable tout de même, dans le temps même de son méandreux parcours si l’on fait le compte de toutes les personnes que son passage a surprises, choquées, effarées ou édifiées, et dans l’après coup de sa montée vers les autels qui lui vaut d’être pourvoyeur de reliques et vénéré en maint lieu de chrétienté.

Ce fut un passant. Non pas un de ces passants qui pullulent dans la Babel moderne et qui, selon le sarcastique Cioran, « font songer à des gorilles veules et fatigués ». Il était destiné à être un manant, comme ses ancêtres. Il a choisi (mais a-t-il choisi ?) de se déraciner, de se dé-labrer. Ainsi Dhôtel avec lui fait exactement le choix inverse de celui des écrivains que sélectionne et honore le Lagast. On se souvient d’André Chamson invétéré cévenol, choisissant d’être « enraciné pour embrasser la terre entière ». On n’a pas oublié l’attachement de René-Guy Cadou aux marais de Brière, celui d’Henri Vincenot à sa Bourgogne et Commarin. Eh bien Dhôtel est clair : « ne venez pas /…/ me parler de racines », « pas plus que de racines il ne faut parler de lieux de mémoire ». Benoît, à l’instar des moines créateurs de l’Europe mais chassé par la force du destin de tout établissement monastique, représente l’antipode de toute implantation, de tout enracinement. Il s’agit d’aller, sans répit d’aller, ou, mieux encore, de venir. Le préfacier de Saint Benoît Joseph Labre (Hugues Robaye) en exergue emprunte au récit cette question anodine et pourtant digne d’un Aladin mystique dont la lampe s’allume aux clartés de l’ambulante oraison : « Peut-être n’était-il demandé à l’homme que de venir ? » Venir se peut, se doit interpréter ici dans un sens qui laisse percer la notion chrétienne de l’Advenir, de l’Avent, dont le terme est Noël, la naissance divine. « Venite, adoremus » énonce un cantique traditionnel. Claudel s’en souvient dans sa troisième grande Ode : « Venez, fidèles, et adorons cet enfant nouveau-né ». L’Apocalypse en son dévoilement ultime exultait : « L’Esprit et l’épouse disent : Viens ! Que celui qui entend dise : Viens ! Que celui qui a soif vienne … ». Heidegger ne sera pas en dissonance quand en 1945 il insinuera qu’attendre c’est laisser venir et qu’il n’y a rien d’autre à laisser venir  dans l’attente que le venir lui-même.

Venir, passer pour venir, venir en passant. « Soyez passants », dit Jésus dans l’évangile de Thomas, et Benoît sans connaître cet évangile s’est résigné, faute de trouver son lieu, à faire comme si cette consigne était sa vocation, son viatique. « Son rôle, c’était aussi de passer et de partir » (p. 148). Son rôle ? On est tenté de dire : son métier. Trois pages plus haut on lit : « Son rôle à lui, ce n’était que de venir ». Plus loin (p. 190-1) : « il avait toujours l’air de passer autour des choses », ce qui suggère que les choses (on pense au roman de Perec) jamais ne l’investissent, ne l’accrochent, ne le retiennent, ne le capturent. Au chapitre XI (les années passent) (elles passent et bon gré malgré, que nous voulions venir ou non, elles passent et nous avec) « passer d’une solitude à une autre solitude toute pareille » est une preuve, suggère le romancier, qu’on est dans la vérité. Le chapitre douzième et dernier de cette petite épopée de l’infinie errance évoque « le dernier salut d’un passant ». Benoît passe enfin son ultime journée de vivant à « passer encore dans des sortes de morts ». Il faut comprendre que le chemin de ce chrétien qui n’aura vécu que deux années de plus que le Christ aura été constamment un chemin de croix, une via dolorosa, par monts et par vaux une montée au Calvaire. On a calculé que cette montée avait coûté au patient environ 30000 kilomètres parcourus (sans hitch-hiking, cher Kerouac) ; Dhôtel n’avance aucun chiffre (c’eût été une tache sur le par-chemins de son écriture diaphane) mais suggère une sorte de don d’ubiquité dans cet art presque surnaturel d’être ici et puis là, les ici et les là multipliés et parfois on croirait l’un sur l’autre pliés. « On ne sait plus vraiment en quelle année il vint et revint, car il fut trois fois, dit-on, à Einsiedeln. Il était tellement préoccupé de passer et repasser qu’il semble qu’on ait affaire à un vagabond qui se multipliait sur les routes. Déjà en Italie des preuves écrites (lettres et registres) mentionnent qu’il était ici et là en même temps » (p. 197-8). Comme Dhôtel suggère ces itus et reditus avec un rien d’humour je cède – qu’on me pardonne ce trébuchement – à illustrer ces va-et-vient de Benoît, qui stupéfient le lecteur aujourd’hui comme ils stupéfièrent certains de ses contemporains, par une scène cocasse et salace de Madame Bovary, celle où un fiacre emporte Emma et Léon à tort et à travers Rouen pour l’épatement des citadins ordinaires. D’être confrontée par facétie à cette séquence grivoise de roman picaresque l’épopée, l’Enéide chrétienne et misérable du vagabond artésien tout à Dieu livré et à Rome enfin échoué reçoit un éclat insolite de grandeur. Flaubert lui-même (son triple Saint Antoine l’assure) aurait sans nul doute senti combien l’emportent en qualité simplement humaine sur les saccades à huis-clos d’une fornication les méandres exténuants du pèlerin à tous vents occupé à venir.

« Peut-être n’était-il demandé à l’homme que de venir ? » Celui-ci s’appelle Benoît Joseph. Or Joseph, tel que le présente le récit évangélique, est sédentaire et ouvrier. Condamné à n’être qu’un passe-partout Labre nulle part ne se fixe et de nul travail ne se rend capable. Sa maladresse est admirable. Dhôtel plusieurs fois note cette inaptitude à faire qui semble rédhibitoire et comme providentielle. Pas plus qu’au métier de Joseph il ne se montre capable de répondre à la sobre et salubre consigne – ora et labora – du fondateur des Bénédictins. Ora, oui, il est en oraison perpétuelle dans un cheminement perpétuel. On imagine les sarcasmes de la gent bourgeoise, dont le type idéal a nom Homais, à toiser de haut ce vagabond inutile, aujourd’hui saint patron des SDF mais peu en faveur tout de même dans l’Eglise installée. Mais déjà Rabelais, qu’en eût-il pensé ? Ne l’eût-il pas, ce pauvre hère, cet errant réduit à se nourrir de racines de salsifis ou de panais, livré en pâture à son Gargantua engoullant des pèlerins ?

Vagabond, Dhôtel le désigne comme tel à mainte reprise. Jamais il ne le traite de divagant (mais ce substantif est peu usité) ni ne le taxe de divagation. Mallarmé se moquait gentiment de lui-même en intitulant Divagations un recueil de réflexions diverses et dissipées. Vagabonder ou divaguer sont des façons d’être qui éveillent l’une et l’autre le soupçon, mais divaguer se dit des bêtes comme des hommes et se prête à désigner un désordre de l’esprit ; Benoît est un fou, mais un fou de Dieu, ainsi plus sage, selon l’apôtre Paul, que les sages, indemne de vésanie ; son pieux vagabondage peut bien éveiller la méfiance du villageois ou du paysan, il n’est pas une divagation. Seuls les poux qui l’ infestent divaguent[3] (p. 175). « Vagabonde, par le monde, pauvre cœur traînant sa peine profonde, vagabonde, par le monde, à la trace de Dieu ». Chanter ce chant scout avec Benoît qui n’a pas été scout et ne l’a pas connu ? Il a vagabondé par le monde, mais s’il se traînait souvent c’était par excès de fatigue et sa joie était plus profonde que sa peine. C’est du moins ce qu’insinue Dhôtel.

 

 

 

 

ASYMPTOTE AU SUICIDE ( I)

 

Le vers de Mallarmé – « victorieusement fui le suicide beau » – inaugure un sonnet pompeux. Je lui substituerais volontiers, s’agissant de Benoît Labre, quelque chose comme : « victorieusement frôlé l’affreux suicide », car si en effet cet extravagant randonneur frôle le suicide à mainte reprise, les conditions dans lesquels il le risque, à moins de l’affecter à quelque romantique décor de consomption dans un décor alpestre ou virgilien, ne sont rien moins que belles.

Il existe aujourd’hui des as de l’enduro, de la voltige aérienne, du surf … Les sportifs de l’extrême sont époustouflants. Moins spectaculaires sont les audacieux virtuoses de l’ascèse, et ceux-là n’ont pas attendu l’ère moderne pour s’exercer. Les prouesses des gymnosophistes passent celles de nos motards, de nos aviateurs, de nos athlètes du long ou short board. Les pères du désert, au début du christianisme, s’exposaient à des épreuves et pénitences ahurissantes, réduisant à l’extrême le confort, le boire et le manger. La différence entre ces ascètes et les modernes sportifs n’est pas mince : dans un cas il ne s’agit que de prouesses mondaines, de périls musculaires, d’efforts minutés et de toute façon de brève durée ; dans l’autre c’est la vie tout entière qui est engagée et c’est le sens originaire et ultime de la vie.

Benoît Labre est à cet égard une anomalie, un stupéfiant anachronisme. Certes le « SDF » est une race aujourd’hui en pleine expansion dans nos terribles villes mais il est rarissime que le « SDF » ait choisi ce mode de vie par une exigence spirituelle. Le frère Jean-Claude, fondateur de la Communauté de l’Agneau, a tenté l’expérience quelques années durant. Je puis témoigner que sa prédication s’en ressent. De ces situations extrêmes on se remet ou on ne se remet pas. Chaque hiver on dresse le bilan des « DSF » qui ont succombé à la faim et au froid. Je le répète, la plupart d’entre eux ont été réduits à cette condition misérable par les hasards de la vie. Y a-t-il parmi nous, dans la France 2016, des Benoît Labre ? Ce n’est pas impossible. J’en doute fort. L’actuelle race française se décrirait plutôt par le témoignage subversif d’un petit frère (Julien Sapena) engagé dans la Communauté de l’Agneau puis excédé par des pratiques excessives qu’il porte au crédit du masochisme, et à la suite de désordres physiologiques décidant de prendre la poudre d’escampette et de rejoindre avec la « gauche » consensuelle l’idéologie petite-bourgeoise du confort. Comme on le comprend ! Robert Redeker dans Bienheureuse vieillesse trace le portrait de l’hédoniste standard tel que l’exalte notre société de Qi gong et de cosmétiques. Je ne terminerai pas cette courte digression sans confesser que je suis moi-même affligé des symptômes –converses des stigmates – du jeunisme, c’est-à-dire de l’art de la bien-portance jusqu’au dernier visage déridée.

Asymptote au suicide, Benoît Labre a tenu le coup jusqu’à trente-cinq ans. Pour « 35 ans » Google  sollicité donne  64.500000 résultats[4]. Ce fut naguère au « Club Med » l’âge limite de la jeunesse. Qu’il ait pu durer ainsi quand on sait quel fut, après l’échec de l’ultime expérience monastique, son genre de vie, relève du miracle. L’extrême, pour qui a choisi de mourir absolument au monde tel que le jugement mondain l’entend, implique de se restreindre en tous points, n’accordant au corps que le minimum de nourriture, de sommeil, de vêtement, de repos pour le maintenir en vie, dans une vie qui doit éliminer le superflu d’autant qu’elle est elle-même, à y réfléchir, superflue (p. 223). Lanza del Vasto vit au bord du Gange un anachorète emmuré dans une hutte où il se tenait sans manger ni bouger, ne lâchant son souffle jusqu’à ce que son souffle l’eut lâché. On pourrait imaginer Benoît voué à l’essentiel dans une hutte ou une quelconque halte se laissant aller, en offrande suprême, à périr. Si réduites que soient ses lectures bibliques, il a sûrement appris de saint Paul que mourir serait le meilleur parti, et à partir du moment où il se sent exclu de partout et où il exclut de regagner sa famille quelle tentation que de se laisser glisser en douce hors de la vie ! Dhôtel à aucun moment ne le suggère mais dès le chapitre IV (« les chemins des monastères ») il souligne la hardiesse imprudente d’une dévotion (« il reprenait toujours ses prières, jusqu’à l’extrême limite de ses forces ») et d’une déambulation (dix jours en novembre sous des pluies continuelles pour atteindre, « épuisé », Notre-Dame de la Trappe) qui sont comme la première esquisse des exploits à venir. Sautons quelques étapes, changeons de quartier. Le voici se dirigeant vers Assise, c’est encore l’automne : il court « déjà le simple risque de périr de faim et de froid » ; on le voit « réduit à un état de délabrement prodigieux » (p.143). Le voici traversant le massif central de la chaîne apennine par un itinéraire exigeant de « véritables prouesses » qui l’amènent « au voisinage de la mort » (p. 174). Le voici au-delà d’Einsiedeln, dans une contrée helvétique et hérétique où « l’on ne voit de raison à sa marche forcée », commente Dhôtel, « que le désir de se coucher pour la dernière fois en quelque coin de forêt »(p. 218), il marche « résolument jusqu’à ce que tout finisse » (ibid.), et il y a foison de loups ; « il devait mourir de faim puis être mis en pièces, mais le peu de nourriture qu’il prenait pour se soumettre au rite, le soutenait de façon invraisemblable » (p. 219). Se soumettre au rite ! La formule est poivrée d’un rien d’humour. Qu’est-ce que ce rite, c’est celui, élémentaire, de boire et de manger, juste, dans le cas de Benoît, ce qu’il faut pour éviter le suicide. On aura compris qu’il courtise la mort, joue avec elle une curieuse partie d’échecs, lui dame cent fois le pion (Dame ! il a fait de Lorette son pèlerinage favori) avant d’être maté. Peut-être même, insinue son biographe, veut-il l’être, mais « une étonnante puissance venue d’ailleurs lui donnait  la force de placer les pieds l’un devant l’autre et refusait de le laisser mourir ». Cette étonnante puissance, qui retarde d’exténuement en exténuement l’effondrement ultime, c’est l’Esprit-Saint, que l’écrivain suggère ici par périphrase. Il notera encore une fois (p.23) cette ambiguïté d’une vie que le vœu subreptice de la déserter rend si souvent vicinale de la mort : Benoît ne « demandait qu’à risquer de mourir sous un mur ». Et les dernières lignes du chapitre pénultième, le bref alinéa qui l’achève le montrent s’éloignant « vers le chemin de Lorette, si épuisé dans toutes ses fibres que c’était à peu près sûr cette fois encore qu’il périrait dans quelque recoin de l’Apennin /…/ ». Trompe-la-Mort est, dans l’univers de la Comédie humaine, le surnom de Vautrin dont la carrure, la musculature, l’énergie positive, l’astuce, le métamorphisme font une espèce de surhomme. Benoît Labre est un garçon falot, fragile, maladroit, facilement malade. (Toute ressemblance avec Eugène de Rastignac ou Lucien de Rubempré est évidemment exclue). Il aura cependant trompé la mort, on peut le dire, environ trois lustres durant. Mais plutôt que le forçat balzacien il faudrait proférer à son propos le muero porque no muero de la sainte d’Avila qui elle aussi, mais selon une tout autre intrigue, frôla la mort fort souvent, à moins qu’à l’autre extrême (mais on sait qu’ils se touchent) s’impose pour lui le motif vivo porque no vivo, car – on le verra tout à l’heure – il fut asymptote, aussi, plus peut-être qu’à la mort, à la vie.

Saint Jean de la Croix donne, pour mortifier joie, tristesse, crainte et espérance, un avis en sept articles, dont il suffira ici de citer le premier – « viser toujours, non au plus facile, mais au plus difficile ». Le plus difficile, dans un examen frivole de la condition humaine, ce serait se suicider. Mais à un certain degré de survoltage – et les fanatismes sont des survoltages – le suicide n’est qu’une des formes de la lâcheté. L’extrême courage, surhumain, c’est, dans certains cas, « continuer, seulement continuer », dit un héros de Camus. En frôlant le suicide, tant d’années successives et continûment, sans relâche et sans se relâcher, Benoît Labre a lancé à l’humanité nantie, parée, protégée, bardée de courtes certitudes, un formidable défi.

 

ASYMPTOTE AU SUICIDE (II)

 

Cette fois le sous-titre, qui est là pour faire pendant, semble faux. Le suicide semble avoir été perpétré, il l’a été d’entrée de jeu, avec une continuité sans défaut, avec une rigueur sans faille. L’admirable essai d’Artaud sur Van Gogh –Le Suicidé de la société – est un volcan dont les braises ardentes doivent calciner toutes les fanfaronnades de la gent écrivassière, mais Van Gogh ni Artaud n’ont suicidé en eux l’homme ni l’artiste. La prouesse absolument exceptionnelle de Benoît Labre fut, en parallèle à son art de se mettre dans les meilleures conditions d’inconfort d’insalubrité de famine et de réfrigération mortifère(p. 180), l’art de se tenir (je cite à nouveau Jean de la Croix) « au plus bas et au plus méprisé ». Il ne lisait pas le Carme, mais il avait dans sa besace L’Imitation de Jésus-Christ qui est un drastique de l’amour-propre. Et il s’était nourri de Loys de Grenade dont Dhôtel cite cet avis : »Si vous voulez parvenir à la vertu de l’humilité, suivez le chemin de l’humiliation », etc. Il aurait trouvé semblable avis chez Pascal. Il faut, quand on est soi-même barbouillé de littérature donc pris au piège de la représentation, pour apprécier la performance d’un Benoît Labre la mettre en contraste avec l’idéologie dite des « Lumières » et son représentant le plus qualifié, Voltaire : nul homme ne le surpassa en son siècle dans l’art de se mettre en avant, de se rendre nécessaire, de faire parler de soi, de se croire insurpassable. Si je m’avisais de jouer avec des initiales sur un damier anachronique je soulignerais le saisissant contraste entre B.L. hier et aujourd’hui B.H.L, l’un (Benoît Labre) résolu à n’être qu’un pion assisté de morpions, l’autre s’évertuant, Voltaire au petit pied, à damer dans l’actualité le pion à ses congénères, toujours en vedette sur le théâtre des opérations dont on ne sait trop si elles sont militaires ou boursières. Parmi les saints recensés Benoît occupe une place à part ; on le peut dire, tant il a poussé au dernier degré l’humilité par les humiliations, le saint des saints, car du moins dans l’espace français et dans ces derniers siècles on n’en connaît aucun qui se soit à ce point rendu imperméable, réfractaire ou rebelle à la moindre sollicitation de publicité. J’ai déjà souligné combien volens nolens le Curé d’Ars fut une sorte de star des Dombes et eut donc un joli lot de groupies. Une Thérèse d’Avila qui exhorte à l’humilité en toute occasion s’est tout de même imposée comme une réformatrice prestigieuse et Guido Ceronetti, peu enclin il est vrai à la piété catholique, la voit aigle de Zeus, condor des Andes ! Benoît n’aura eu prise sur personne, à personne (sinon, notées par Dhôtel, de délicates admonestations d’ado à sa famille) n’aura prêché quoi que ce soit, se sera enfermé dans la cellule d’un silence rarement rompu qui put quelquefois passer pour un outrage, et dont semble se souvenir l’étrange Bartleby. Ainsi fait-il penser à l’Edgar du Roi Lear que des circonstances critiques forcent à assumer « the basest and most poorest shape » – « la forme la plus vile et la plus pauvre » par quoi la pénurie semble ravaler l’homme à la bête. De fait dans ses longues errances, dans sa quête hasardeuse de drupes ou de racines, dans ses gîtes de fortune en pleine nature ou en quelque recoin de rue Benoît figure une bête humaine plutôt qu’un homme. Dhôtel souligne mainte fois ce souci, qu’on pourrait croire inspiré par le fameux chapitre d’Isaïe sur l’aspect calamiteux du Serviteur souffrant (mais Benoît lit-il l’Ancien Testament ?), de se rendre aussi peu respectable que possible, et plutôt repoussant, répugnant, puant. Sa « fabuleuse saleté » (p. 190) ne peut manquer de décourager l’approche ; de surcroît il est loqueteux ou fringué comme c’est pas possible ; on le voit à Rome vêtu d’une casaque verte, coiffé d’un bicorne et pourchassé par les injures et les jets de trognons des mômes (p. 189) qu’excite cet « accoutrement ridicule ». Plus tard on le trouve fagoté dans « une vieille redingote grise parfaitement grotesque. En outre il prit l’habitude de suspendre à sa ceinture quelque vieux chiffon. La saleté, les loques, le chapeau biscornu lui paraissaient d’insuffisants objets de dégoût. Il lui fallait attirer la réprobation par des ridicules définitifs » (p. 199). Eh bien il inflige d’avance à Mark Twain – « there is no character, howsoever good and fine, but it can be destroyed by ridicule, howsoever poor and witless » (il n’est personne, si exquise soit-elle, qui ne puisse être détruite par le ridicule, d’aussi bas qu’il vienne) – un définitif démenti. Le ridicule ne détruit pas Benoît, il construit son corsprit glorieux. Ajoutons encore ceci à son passif, c’est-à-dire à son triomphal bilan de mises au rebut, ceci : seul, d’une solitude absolue, silencieux, extrême en sa réticence, il ne fait pas école, ne cherche pas d’associés, ne soumet quiconque à son ascendant (comment serait-ce possible ? il est descendu au plus bas). Combien « de vierges martyres, d’âmes sacrifiées dans les Carmels chrétiens », note aigrement Ceronetti ; on doit concéder à sa méchante humeur que toute direction spirituelle, toute domination exercée par une grande âme risquent de fourvoyer des êtres faibles et fascinés. Osé-je l’insinuer ? Il y a de l’amour-propre, inéluctablement, dans toute réussite, si sainte soit-elle. Dom Walzer qui fut archi-abbé de Beuron, directeur spirituel d’Edith Stein, grande figure catholique d’opposition à Hitler, pour me faire (justement) sentir ma frilosité (ou frivolité) de trentenaire, me découvrit qu’à trente ans il dirigeait son monastère. Quand le Père Charles Henrion à Villecroze me recommandait la lecture de Maître Eckhart, il découvrait par ce biais sa profonde culture mystique ; certes, il avait détruit, par souci de ne pas se mêler à la foire aux vanités, les lettres qu’il tenait d’écrivains aussi obscurs que Barrès ou Claudel, mais quelle que fût sa très réelle humilité, sa ferme volonté d’effacement, il ne pouvait ignorer qu’il avait joué un rôle dans la France intellectuelle des premières décennies de son siècle. Je l’entends encore, d’une voix doucement persuasive, me dire son mot de passe : « non ego ».Ce fut également le sésame de Simone Weil qui, amie des formules paroxystiques, osa écrire : « En ce monde, seuls des êtres tombés au dernier degré de l’humiliation, loin au-dessous de la mendicité, non seulement sans considération sociale mais regardés par tous comme dépourvus de la première dignité humaine, la raison – seuls ceux-là ont en fait la possibilité de dire la vérité » ; elle écrivait aussi que « la vérité est malheureuse » et condamnée « au silence ». Or il est patent qu’elle ne se condamna pas au silence et que si humble se voulût-elle son exceptionnelle intelligence nonobstant une sincère dénégation ne lui était pas dissimulée. Mais Benoît Labre réalise intus et in cute les conditions requises par Simone Weil pour être véritablement un témoin de la vérité ; le non ego avec lui, la radiation de l’amour-propre, le détachement sont absolus et sans jouer le rôle shakespearien du Fou il passe souvent auprès de la plèbe ou des clercs pour un cerveau dérangé. André Dhôtel a noté comment à la moindre alerte de notoriété, au moindre signe perçu qu’on le prend pour un saint – car cela à la longue se déclare – il s’éclipse. La première occurrence d’un tel incident qui à l’évidence dérange son mode d’être est rapportée au chapitre VIII (p. 163-5) : une veuve sous le charme alerte sa voisine infirme à son tour charmée et se propage d’une ruelle au quartier à la ville (c’est Fabriano) la rumeur que c’est un saint : « Et puis un soir il entendit nettement qu’on le prenait pour un saint ». Saut d’alinéa : « Le lendemain personne ne le revit /…./ Aussitôt il s’enfuyait dans la montagne », répétant sans le savoir l’esquive misérable et princiale de l’ « idiote » du désert d’Egypte. Oui, Benoît aurait réussi son coup, serait bien « mort à soi-même » (p. 200). Suicide réussi ? Oui, mais ce qui lui advient à Fabriano est tout de même un indice, une déchirure dans l’apparence qu’il cultive de n’être que la balayure du monde dite par l’apôtre Paul. Et ce n’est pas un incident unique. Il y a des prêtres, notamment l’admirable Michel-Ange Santucci, intrigués et subjugués par le charme mystérieux de ce gueux dont émane un je ne sais quoi (p. 174). Dhôtel signale (p. 214) un autre incident : Benoît entend, sortant d’un confessionnal, qu’on le tient pour un saint Alexis ou un saint Louis de Gonzague, voire (c’est son confesseur qui s’exprime ainsi) « un être séraphique », un « ange ». Démasqué ! Et une fois de plus de s’enfuir. Mais le mal, si l’on ose dire, est fait. Le concert comme d’angelots, de putti en chair et en laus de ces garnements qui le brocardaient passant et le canonisent trépassé (« le saint est mort. Le saint est mort ! » p. 263) aura subi quelques discrètes répétitions.

 

ASYMPTOTE A LA VIE

 

La vie est une réalité immédiatement sensible et un concept indéfiniment flou. Naguère je me moquai avec Julien Benda de son exaltation par les bobos nietzschéens ou les midinettes de supermarché. Dhôtel est chrétien. Il ne se trompe pas sur la vie telle que l’entend un chrétien et, ne se trompant pas, il en arrive, par touches subreptices, par un subtil pignochage, à nous faire comprendre que ce Benoît Labre, que tout nous invite (« nous », l’intellectuel-standard, l’anticlérical à la Peillon, le psy inquisiteur des névroses, l’hédoniste façon Onfray) à considérer comme la pitoyable victime d’une éducation chrétienne qui le fourvoya dans l’ornière de la plus étroite dévotion à courte vue fut en vérité un extraordinaire vivant. Quoi, la vie ? Les évangiles, surtout celui « selon saint Jean », insinuent que la vie au sens trivial n’est pas la vie au sens trinitaire. Chez Claudel cette discrimination reçoit mainte investiture : il affiche dans la troisième Grande Ode son mépris de « cette mort auprès de votre Vie, que nous appelons une vie ! » et la dernière strophe de son Hymne aux saints Anges, dévolue à Raphaël, commence par « quand entre la mort et la vie », la mort étant la vie fébrile et foireuse des sursitaires du néant, la vie étant l’entrée par-delà le dernier souffle dans la plénitude divine. La Providence m’aiguilla un certain dimanche, place du Capitole, vers un éventaire de bouquiniste et fixa mon regard sur l’opuscule de Yann Moix Mort et vie d’Edith Stein ; celui-là aussi, sans grande ode ni grandes phrases, montrait dès son titre qu’il avait compris.

Mais ce serait se méprendre sur l’expérience spirituelle de Benoît Labre que de voir en lui un pauvre type dont la vie dans le temps fut un supplice et que récompense la « Vie » de l’autre côté de la vie. Ce que Dhôtel insinue, suggère, affirme pianissimo mais dans la clef de la certitude, c’est que ce gueux délabré (délabré parce que dé-labré, démuni de toutes les sécurités domestiques, familiales, paroissiales) vit en vérité une vie divine, par élimination de tous les items, étais, étaux qui font de la vie bourgeoise ou cléricale ou écrivassière une vie calfeutrée, étranglée, étiolée. « Une vie divine », c’est le titre que Philippe Sollers a donné à son livre sémillant, scintillant, sur Nietzsche. Eh bien, non, le pauvre et saint Nietzsche, voué aux pensions miteuses, aux pharmacopées, aux promenades hygiéniques, mena une vie de forçat de l’écriture. Mais il eût jugé Benoît Labre, en eût-il eu vent, comme une victime de plus du refoulement catholique des instincts. Et Spinoza, de quelle colère railleuse aurait-il fustigé ce triste individu qui au lieu de se conserver en santé et sécurité en développant ses forces physiques et psychiques se détruisait et se ratatinait dans l’oraison et la macération perpétuelles ! Mais il est licite en adoptant un autre point de vue de juger la vie de Spinoza, condamné à polir des lentilles et s’échiner sur un Traité ou une Ethique, n’ayant pour diversion que des rixes d’araignées, comme une perpétuelle pénitence d’intellectuel ravagé par la spéculation. Ce que j’énonce ici est subversif, excessif, étant un pied-de-nez à la tradition universitaire : vivre rime avec livre, mais la vie en sa verte vivacité transcende le livre ou n’en use qu’avec parcimonie, en guise de vitamine. « Nathanaël, à présent jette mon livre » ? De ce conseil Benoît n’avait nul besoin ; il l’avait jeté, le livre, avant que de l’ouvrir, ayant, une fois provende faite auprès du père Lejeune et de Louis de Grenade, d’autres nourritures à savourer terrestres ou livresques.

« Quand entre la mort et la vie Dans l’agonie graduelle … » Benoît Labre parcourut, on peut le dire, tous les degrés de l’agonie, mais cette agonie fut une passion de vivre et véritablement une vie très tenace, très intense, dans l’épreuve continue et la volonté d’impuissance qui est l’humble et glorieux retournement de la volonté de puissance . L’hédoniste, le nihiliste, le « dernier homme » au sens de Nietzsche n’est pas en état de concevoir la vie en dehors du bien-être  qui devient sa religion (voyez l’aphorisme 338 du Gai Savoir) (ou l’aphorisme 38 des Flâneries d’un inactuel). Nul mieux que Nietzsche n’accablerait de railleries ce pouilleux, cet errant marmottant ses psaumes, ce spectre de puérils scrupules, cet exemplaire tchandala, et pourtant nul mieux que Nietzsche, hors les vrais chrétiens et leurs apparentés urbi et orbi, n’était en mesure d’apprécier à sa juste valeur la performance exceptionnelle de ce fou de Dieu, oui, nul mieux que Nietzsche qui, avant Heidegger, avait perçu que le « délaissement » – die Verlassenheit – de la vie, sous les apparences d’une vie de plus en plus sécurisée, intense et festive, caractérise notre époque de dévastation. Ne lit-on pas, dans le même aphorisme, que nous avons besoin de la frayeur, des privations, de l’appauvrissement, des veilles, des aventures, des risques, des méprises ? Au fond, Nietzsche, perclus de génie et fourvoyé dans l’écriture, serait un Benoît Labre manqué.

J’aurais pu – aurais-je dû ? – m’attacher exclusivement à suivre Dhôtel dans les successives expressions qu’il a données de cette idée qu’on peut dire, dans son ouvrage, rectrice : Benoît fut un enthousiaste de la vie. Extrêmes, sans nul doute, furent ses souffrances morales, ses douleurs physiques. Le rendaient-elles inapte à vivre autrement que sur le mode de la déréliction ? « Si la souffrance vient de toi », disait maître Eckhart, elle « te fait mal et est pénible à supporter. Mais si tu souffres pour Dieu, et pour Dieu seul, cette souffrance ne te fait pas mal et ne t’est pas pesante, car Dieu porte le fardeau ». On ne saura que dans la Cité glorieuse si Dieu porta le terrifiant fardeau de Benoît, on ne saura que dans la Cité glorieuse quelles joies même dans le pire inconfort, le plus affreux malaise, le péril le plus terrible il put éprouver. Un signe cependant, un signe qui est nasarde à Nietzsche, qui est la revanche du tchandala sur le zombi de Sils-Maria, c’est son visage, son regard, sa voix enchanteresse qui firent soupçonner quelquefois que cet être haillonneux était peut-être un prince déguisé. « Je croirais en leur Dieu s’ils avaient l’air un peu plus sauvés » (je croirais en Nietzsche s’il avait l’air un peu plus « surhomme ») : ce déchet humain avait l’air sauvé et, comme son histoire le prouve (des miracles, çà et là notés comme en sourdine, comme à la sauvette, par exemple p. 184, 226), en sauva d’autres.

Il s’en va vers un monastère avec un camarade, tous deux, note Dhôtel, attirés à Montreuil par le même désir qui mêle le mépris de la vie et l’amour de la vie dans toute sa beauté » (p. 87). « Quelle que fût sa détresse, il ne cessa jamais d’aimer la vie » (p. 97). « Benoît /…/ exigeait l’entière réalité dans l’amour de la vie, et c’était l’amour divin » (p.114). « La seule idée qu’il manifesta fut celle qu’il poursuivait depuis son enfance, de mépriser le corps et la chair, afin de renouveler la vie » (p.177). « Dès lors qu’il n’éprouvait plus le sens d’aucune dignité, tout reprenait sa place dans la volonté divine. C’était le miracle de la vie » (p. 201-2). « Mieux il était déconfit, mieux le feu de la vie le brûlait qui n’était plus qu’admiration pour des nuits nouvelles et des soleils incroyablement réapparus (p.219). « Simplement la vie /…/ Vivre enfin pour ne jamais oublier le Christ mort dans la lumière » (p.221). « Au lieu de montrer son abattement, il employa ses dernières semaines à rendre hommage à la vie » (p. 258). « Ce fut alors l’incessant éloge de la vie passagère » (p.259) – dernière occurrence. Ce relevé n’est pas exhaustif. (Celui des phrases qui scandent sa quête de la lumière et découvrent son être de lumière ne révèlerait pas moins avec la splendeur du personnage l’art très délicat du romancier-biographe). Qu’est-ce que la vie, quand on l’a dépouillée des oripeaux de la culture ? Ceci que met en valeur une des pages les plus émouvantes du livre (p. 220-21) : Benoît assis sur l’herbe, voit le carabe, les papillons, les mouches, les abeilles sauvages « qui savaient vivre joyeusement » ; il est leur frère : voilà le sublime au ras des pâquerettes. « C’est assez que d’être », prononçait une grande dame ; « c’est assez que d’être », reprend un grand philosophe. Mais le verbe « être » sent la métaphysique et l’aristocratie. Transposée en c’est assez que de vivre la formule rampe, verdoie et rejoint le mendiant délabré. Veut-on transposer dans la vision religieuse et l’apparat stylistique de Flaubert, ce sera, à la fin de la troisième Tentation de saint Antoine, le saint à plat ventre, ivre de la vie minuscule, descendant au fond de la matière et enfin se signant et se remettant à prier.

 

BENOÎT JOSEPH ou WOLFGANG AMADEUS ?

 

Entre ces deux catholiques lequel choisir. Question incongrue. Moins qu’il ne paraît car André Dhôtel signale que Mozart est à Rome l’année même où Labre y fait sa première apparition.

« Nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité ». A supposer que Labre soit gros de la vérité, ce que Nietzsche contesterait, il est tentant de lui préférer celui que l’on a appelé le divin Mozart. Comparons un instant les effets respectifs de l’une et l’autre vocation : le saint patron des SDF, dont l’immense majorité des SDF (j’imagine) n’a cure, n’est connu que dans le monde clérical et à ses basques celui des âmes pieuses éprises de vies édifiantes. Mozart a été, est, sera demain et tant qu’il y aura des hommes (à moins que le rock et/ou la nouba ne l’évacuent) une providence pour les musiciens et les dilettantes. Que de millions d’heures de joie, à l’opposite de la stupide et spasmodique extase des fans des « Pink Floyd », « Black Sabbath », « Eagles of death metal », auront procurées aux interprètes comme aux mélomanes la symphonie « Jupiter » ou l’opéra Don Juan ! On ne peut s’empêcher de penser que le singulier génie d’un Benoît Labre est une superfluité que sauve de la poubelle de l’Histoire son biographe André Dhôtel (ce Mozart des chroniques fabuleuses), alors que celui de Mozart est un des plus glorieux fleurons de la civilisation européenne.

A moins que dans le réseau de relations mystérieuses qu’entretiennent les êtres et sur lequel Léon Bloy aura été mieux renseigné que n’importe quel sociologue la vocation transparente de Mozart né huit ans après Labre et mort comme lui à trente-cinq ans ne doive à la vocation transparente de celui-ci, dans le plan divin des interférences, quelque principe actif. Du moins quand on lit Dhôtel, lui-même artiste du verbe qui par sa délicatesse de touche peut évoquer je dirais l’allegretto de la sonate K 576, on incline à imaginer que le gueux errant a exécuté la partition de ses trente mille kilomètres de vagabondage avec un doigté (d’orteil) qui se puisse comparer au tact orphique de l’enfant prodige.

Comment un Mozart est-il possible ? L’hérédité y est pour une part. Comment un Benoît Labre est-il possible ? Celui-là est le petit dernier, celui-ci le premier né dans une honorable famille de paysans doublés de merciers. Il y a des dynasties de musiciens. Des dynasties de saints ? Louis et Zélie Martin, leurs filles …C’est exceptionnel ! Dans la première strophe de son poème Urworte Goethe écrit : « tu as prospéré selon la loi sous laquelle tu fis ton apparition. Ainsi faut-il que tu sois, à toi-même tu ne peux échapper » (So muss du sein, dir kannst du nicht entfliehen). Benoît est-il devenu saint selon l’inflexible loi de son « Démon » ? Sa sainteté fut-elle un accident, la résultante d’une kyrielle d’échecs ? Ceux-ci étaient-ils programmés par l’Ordinateur divin ? Gaspard est un personnage inventé : héros du Pays où l’on n’arrive jamais il est marqué dès son baptême par un drame domestique aggravé d’un roulement de tonnerre. On comprend qu’il fera une carrière de mésaventures. Pour Benoît, Dhôtel est précautionneux ; il ne s’agit pas de fabuler. Mozart tient à peine debout que ses dons éclatent. Benoît, tel que le présente son biographe, semble avoir reçu le don miraculeux de n’en pas avoir. C’est un soumis – un « musulman ». Mais à la différence du musulman standard qui applique sans esprit les consignes coraniques raides et claires Benoît est pris dans les raffinements de la subtile casuistique chrétienne aggravée par le rigorisme janséniste, donc livré à des tortures mentales sans fin et perpétuellement insoumis à force de chercher la maximale soumission. Ce que les gènes familiaux furent pour Wolfgang Amadeus la gégène morale (qu’on me passe cet argot) le fut pour Benoît. Ou plutôt ce serait comme la machine, imaginée par Kafka dans son récit La Colonie pénitentiaire, dont la herse inscrit sur le corps d’un condamné le commandement qu’il a enfreint –ici : le commandement que le chrétien doit exécuter et dont l’exécution exige sans répit sa vie entière. Benoît, « jeune abruti » qui prend les paroles les plus acérées au pied de la lettre, a installé dans ses neurones le logiciel de l’absolue imitation d’un Jésus-Christ réduit à l’état de serviteur souffrant. Une fois ce logiciel installé – le prodige, c’est qu’en effet il le fut – tout s’ensuit selon la même logique que celle qui suscite l’œuvre d’un Mozart ou (selon Dhôtel) d’un Rimbaud. Il n’en reste pas moins que persévérer dans cette logique de l’annulation de soi sans jamais enfreindre semble-t-il le règlement de se priver de tout sauf de l’absolument nécessaire, si cela fut mainte fois préconisé par de grands maîtres spirituels ( l’auteur de l’Imitatio, certes, qu’il avait lu, mais, qu’il n’avait pas lus, Eckhart –« tout plaisir et toute satisfaction, toute joie et tout contentement que l’on peut avoir ici-bas, tout cela doit disparaître » – Jean de la Croix –« rechercher non ce qu’il y a de meilleur mais ce qu’il y a de pire », etc.) qui l’aura poussé, du moins dans l’Occident chrétien, à ce degré extrême sans qu’un don exceptionnel lui ait été accordé ?

 

Ce ne serait donc pas un paradoxe que d’affirmer que la performance de Benoît Labre dans l’ordre de la mystique sauvage vaut celle de Mozart dans le département de la musique civilisée, et ce n’en serait pas un non plus, pourvu qu’on se défasse des préjugés ordinaires de la culture, que de situer, sur une échelle de valeurs inconnue bien sûr des mélomanes, l’écriture nomade et illettrée de ce vagabond plus haut que les 626 œuvres recensées dans le catalogue Köchel. Il est facile d’opposer à cette imprudente suggestion – je l’ai fait – qu’un Mozart enchanta et enchante encore des millions de musiciens et d’amis de la musique cependant que l’unique partition écrite par Benoît Labre, celle de sa vie errante, ce solo de sainteté, n’aura jamais enchanté que momentanément lui-même ou des gens, des bêtes qu’il rencontra. Cela est vrai, vérifié dans le plan de la civilisation où le divertissement est tenu pour une valeur essentielle mais si l’on accorde quelque sens à ce « royaume de Dieu » sans la prédication duquel ni Labre ni Mozart ni l’Europe n’eussent eu lieu il est plausible que le solo de sainteté de celui-là ait touché autant de monde dans le sous-sol des âmes que les partitions de celui-ci dans les salles de concert ou les salons privés.

André Dhôtel n’a évoqué Mozart que subrepticement. S’est-il avisé, lors de son travail, d’une comparaison possible comme je l’esquisse (au risque de passer pour farfelu) entre le musicien génial et le niais vagabond ? Non, mais il livre quelques indices sur les beaux résultats effectifs, constatables, de cette insolite expérience de démolition de soi. D’abord s’il n’est pas musicien (ignare en solfège comme en grammaire) Benoît enchante par sa voix (p. 164); elle est faible mais exquise ; on la remarque, elle lui vaut des piécettes qu’il distribue aussitôt (p. 171). Puis, s’il est délabré et de plus en plus se délabre la paix de ses regards, sa jeunesse (p.154) intriguent ; rien ne peut voiler « l’éclat de ses yeux et de son visage » (p. 226) et on l’aperçoit même l’une ou l’autre fois étrangement « baigné de lumière ». Ce visage n’est pas celui, grimaçant, de l’ironiste virtuose au « hideux sourire » ; cette lumière qui ne doit rien aux Lumières signifie mieux que le meilleur prêche qu’elles sont futiles et falotes, ces « Lumières », qu’elles s’éteindront et qu’on ne les rallumera plus (la foi dans l’Aufklärung, mal tisonnée par une arrière-garde de pitoyables Peillons, est cendreuse). Ensuite, est-il si niais, si abruti, ce Benoît Labre ? Certes, comparé à Voltaire, il paraît nul ; mais le miracle – sans doute c’en est un – c’est que les étroites lisières de son intellect inapte à quoi que ce soit sauf la prière ne l’empêchent pas de développer une intelligence fine (p. 177, 248) constatée par des prêtres eux-mêmes intelligents. Il faut enfin noter – Dhôtel le fait avec humour et discrétion – que parvenu à un certain degré de délabrement – est-ce le résultat d’un changement qualitatif dans son organisme (son corps « lui semblait transparent ») ? – il reçoit le don d’opérer des miracles : celui de la multiplication des pois est suivi aussitôt de celui d’une dypsurie conjurée. On repense ici au Curé d’Ars. Benoît fut hébergé une fois à Dardilly : Dhôtel l’indique, sans préciser (tache réservée à son ami Follain ?) que ce fut chez le dénommé Pierre Vianney et que Benoît prédit en ce lieu la prochaine survenue d’un grand événement – ce sera en effet la naissance de Jean-Marie. Doit-on le saint des Dombes aux spores spirituelles lâchées par ce passant ? Un tel palmarès fait sens, et a fait sens (canonisation) auprès des Instances romaines ; il ne représente, en regard du catalogue Köchel, à peu près rien. Cependant les dernières pages du Saint Benoît Joseph Labre évoquent dès les lendemains de la mort et comme en écho à l’exultation immédiate du petit peuple des enfants (« le saint est mort, le saint est mort … ») une consécration européenne et une traînée de miracles. Cette consécration d’un soliste de l’extrême ascèse, qui n’intéresse que le monde catholique, n’est évidemment pas équipollente à celle que valent à Mozart urbi et orbi tant de chefs-d’œuvre indéfiniment jouables et audibles. La performance de l’Artésien ignorant de l’art est évidemment tout autre que celle du musicien génial, ne valant que dans cet ordre de la charité que tout homme réellement perspicace sait cependant, depuis Pascal sinon depuis Paul, supérieur à celui des divertissements musicaux.

A la dernière page de son livre Dhôtel laisse entrevoir comment ce Benoît au renom si pâle, aux résultats apparemment si dérisoires comparés à ceux de l’ « événement européen » que fut Mozart, n’est pas seulement le pouilleux nimbé qui inspira à deux vagabonds amis de Rimbaud de faire le pèlerinage d’Amettes, il est « l’image de l’Ami éternel, à jamais patient, avec sa démarche inlassable et rêveuse qui témoigne d’une beauté continuée, à retrouver aussi dans la nuit, où que ce soit et pour tous, jusqu’au bout du monde », oui, s’il n’est pas pour l’Europe cultivée le prodigieux créateur de beauté musicale salué par Nietzsche il peut être « pour tous », témoin de la beauté du monde.

 

OUVERTURE

 

Un aveu – un blasphème : de Voltaire je me sens tout proche, presque son égal en virtuosité cancanière. (Presque ! Mon 3/20 frottant son 19/20). De Labre, ce cancre, je me sens à une distance galactique. C’est que celui-là, si audacieux soit-il en ses prouesses d’écriture, vit, fût-ce en proscrit, dans le confort intellectuel, sur le canapé d’une réputation vite et bien assise. L’autre joue la partie la plus héroïque, celle où continûment jour après jour on risque sa peau dans les affres de la faim, de la soif, de l’insomnie, dans le danger des loups ou des brigands et dans la plus abjecte humiliation consentie.

Saint Benoît Joseph Labre s’inscrit dans le riche catalogue d’une œuvre où les romans de pure fiction alternent avec des biographies toujours – c’est fatal – peu ou prou romancées. Il y a dans le Benoît Labre d’André Dhôtel un rien de Rimbaud, peut-être de Follain, quelque aspect de Rousseau, et puis des affinités certaines avec Gaspard ou Martinien ou les va-nu-pieds, etc. On peut dire aussi que tous ces personnages, fictifs ou ayant réellement existé, reçoivent de Benoît Labre quelque lumière, quelque énergie spirituelle, Teilhard de Chardin dirait radiale. « Avant de nous promener sur les routes /…/ il faut nous envelopper d’éternel ». Cette notation de La Chronique fabuleuse vaut non seulement pour ses personnages, mais pour l’auteur. On déambule enveloppé d’éternel, en pays dhôtellien, comme le romancier lui-même déambula. On échappe ainsi au sort des « somnambules » enfermés comme dans une cage dans un procès de dégradation des valeurs[5]. Indice linguistique de cet étouffement : on dit « sortir » pour « aller en  boîte » (un symptôme de la Gelassenheit) ; cette « boîte » s’appelle quelquefois le « Bataclan », et l’on y est quelque fois réveillé de la frénétique extase du rock par un bataclan de mitrailles. Die Schlafwandler – « Les Somnambules » – paraît en 1931-32. André Dhôtel a publié son Petit Livre clair en 1928, Campements, son premier roman, où « les cœurs » sont « prisonniers » mais d’ « une infinité d’horizons », en 1930. Il ne me déplaît pas de considérer que toute son œuvre s’ouvre sur l’infinité d’horizons qui se proposent à une âme/corps désencombrée, désaffublée, désinfectée et, dirais-je, délabrée pourvu qu’on interprète ici le préfixe dé- comme dans le latin deformare ou depugnare.

Dhôtel publie Saint Benoît Joseph Labre en 1957. La même année Sartre publie Questions de méthode. C’est le jour et la nuit. On s’enfonce dans la Critique de la raison dialectique, dont Questions de méthode est le goulot, comme un rat dans la poix, mus in pice. Ce philosophe ne se désempêtre pas de son goudron d’élucubrations : la grâce, en Sartrie, est un pays où l’on n’arrive jamais. Dhôtel, lui aussi philosophe, poursuit en ces mêmes années une aventure d’écriture inaugurée dès le Petit Livre clair et qu’on peut caractériser par : humilité, légèreté, transparence. Aussi la rencontre de Benoît Labre était-elle, sur ses Holzwege, vrais chemins de la liberté qui mènent dans le nulle part de la Lumière, prédestinée. Il aura frôlé une sorte de degré zéro de l’écriture comme Benoît frôla le degré zéro de la posture. Quand je dis degré zéro de l’écriture, il s’agit de l’écriture rhétorique, dialectique ou polémique, universitaire et pédante. Si soucieux soit-il parfois de se désengluer, d’obéir (ainsi dans Les Mots) à l’allègre consigne « glissez, mortels, n’appuyez pas », Sartre est trop empoissé de ratiocinations pour être léger, humble, transparent.

Oui, disais-je, Dhôtel est prédestiné à trouver Benoît Labre, le plus fabuleux de ses héros, sur ses chemins fabuleux ; sa manière d’écrire répète un peu, dès la diane, la manière de vivre du saint ; il n’aura pas à la changer, surtout pas à la charger, pour suivre le vagabond de son village natal jusqu’à l’écroulement final. Benoît aura vécu sans aucune des prothèses de la « civilisation perfectionnée » dont se moquait déjà Chamfort ; ces prothèses sont telles, aujourd’hui, qu’à peine son mode de vie, tant nous sommes saturés d’items, nous est concevable. Ecce homo : il aurait pu le dire absolument. Ou se dire (avec Christian Bobin) : le Très-Bas. Son chemin où il avance quasi nul dans une inaccessible lumière est la voie royale (loyale) du juste rapport avec le monde et les monades humaines. Sa bêtise de bête blanche et béate est son fort, elle lui confère l’intelligence primordiale (primale) qui se contente de la rumination des psaumes et de la récitation du chapelet. Grâces soient rendues à la chronique gracieuse de Dhôtel qui fait sentir cela par comme un réseau de fils d’ange de locutions délicatement approximatives, tendrement asymptotes à une vérité indicible.

L’idée d’égalité est une de celles qui auront mobilisé durant ces derniers siècles le plus d’ineptes prétentions. Hier encore (Entretien platonicien, 2015) Alain Badiou, qui s’obstine à voir dans le youpala de l’utopie communiste le seul trotteur qui puisse conduire l’espèce humaine vers un avenir radieux d’ « ordre égalitaire », semble n’avoir pas compris que si « faire advenir » l’égalité est facile quand il s’agit des sévères mathématiques abstraites la faire advenir dans la répartition effective des tâches, des pouvoirs, des biens, des revenus dans la vie sociale exigerait un vrai, un miraculeux retournement des mentalités. La seule chance de le « faire advenir », cet « ordre égalitaire », serait qu’un nombre d’hommes non négligeable acceptât, par un libre choix, une décision mûrie, de n’être pas des égaux mais des inférieurs. 1 égale 1 se peut si quelques-uns, non résignés mais volontaires et même enthousiastes, jouent le grand jeu d’être des zéros, des moins que rien. Telle est la mathématique surnaturelle, dont Benoît Labre est dans l’Europe du dix-huitième siècle l’étonnante icône. Il fut un de ces « êtres tombés au dernier degré de l’humiliation, loin au-dessous de la mendicité » et « sans considération sociale » qui seuls, je le redis avec Simone Weil, « ont en fait la possibilité de dire la vérité », mais il se dispensait de la dire (sinon des prières et quelques brèves paroles pieuses) parce qu’il l’était, homme au plus bas degré, tchandala, étalon de l’étiage, et donnant à voir par son mode d’être qu’une société des égaux serait celle, évangélique, où chacun chercherait non les postures de pouvoir intellectuel, politique ou ecclésiastique, mais sinon la dernière crasse au moins la dernière place. André Dhôtel, voué à l’écriture, entre fatalement en compétition et, pour être publié, lu, éventuellement primé, doit se rendre intéressant par d’autres moyens que ceux de la gueuserie. Mais, à la différence d’un Sartre (par exemple) stupidement obsédé par la conviction d’être « plus intelligent »[6] et tourmenté par le prurit cérébral de le prouver Dhôtel chercherait plutôt dans ses proses où la poésie pose des gouttes de rosée à faire descendre l’intellect au ras des choses et à se faire pareil aux êtres fabuleux dont il raconte l’histoire merveilleuse et humble. « Je ne suis ni mystique, ni vagabond, ni tellement anarchisant, ni maudit, encore moins distingué et arrivé, ni rien. Cela irait plutôt du côté du cancre ». Du côté du Labre, oui. De là, sans que je l’aie voulu mais entraîné sur une pente irrésistible, ai-je presque réduit à rien dans cet essai la part faite au biographe au bénéfice de l’être exceptionnellement nul et annihilant les prestiges littéraires dont il conte l’histoire.

 

PARERGA

 

Soucieux de ne pas répéter à Durenque, lors du colloque du 16 juillet, mon texte écrit, et selon une habitude devenue routine et répondant ainsi à l’attente de mes auditeurs, j’ai élaboré au fil des heures successives – nombreuses !- qui ont suivi la mise au propre dudit texte écrit, quelques réflexions hasardeuses, haillonneuses, toujours sur Benoît Labre, que je me suis contraint, pour ne pas délirer, de classer en trois rubriques ou trois « éloges » : Eloge de la vermine, Eloge du fanatisme, Eloge de l’idiotie.

 

  1. Eloge de la vermine.

 

Son corps est « pourri de vermine », note Dhôtel, mais il le dit aussi « aiguillonné par la vermine ». Cette locution facétieuse invite à penser que l’état de crasse peut être un catalyseur de l’état de grâce. Benoît qui aimait les bêtes a aimé les poux, leur a offert une hospitalité sans restriction, sachant que ces parasites contribueraient à le rendre répugnant à la plupart de ses frères humains, et c’est ce qu’il souhaitait.

J’attrapai tantôt dans une pharmacie un prospectus adressé – car ils sont paraît-il de retour (migration ?) – « à tous ceux qui ont horreur des poux et lentes ». A ceux-là : « soyez radical ! », est-il conseillé, ou plutôt prescrit. Le radicalisme islamique, tarte à la crème de notre médiacratie, serait-il possiblement relayé ou égayé par une autre intolérance meurtrière dont les anoploures seraient les agents et feraient les frais ? Aux « radicalisés » de la propreté qui se refusent à louer leur cuir chevelu à ces hôtes inoffensifs en somme, Apaisyl en ses quatre versions offre toutes garanties de préservation ou d’extermination. Eh bien à la question faussement naïve –« horreur des poux et lentes ? » – question qui exige évidemment une seule, salubre et catégorique réponse, un « oui » radical, Benoît s’il avait fait commerce de bel esprit eût répondu : «  aux poux et aux lentes, honneur ». Et s’il avait eu assez de bel esprit pour ne pas se contenter de ces traits d’esprit dont Jean Cocteau disait avoir honte comme d’un gaz il n’aurait pas seulement emprunté à celui-ci l’idée que le corps est un parasite de l’âme, il aurait aimé les divagations de Michel Serres sur le parasitisme universel, l’homme, âme et corps, n’étant pas, des parasites, le moins calamiteux.

L’horreur du pou, sauf erreur, n’est pas due aux épidémies dont il serait responsable ; elle se confond avec l’horreur de la crasse. A maintes reprises Dhôtel souligne que son héros est « inculte et malpropre », « couvert de boue, sale et répugnant » ; « la saleté », écrit-il encore, « les loques, le chapeau biscornu lui paraissaient d’insuffisants objets de dégoût ». Cette horreur de la crasse a une histoire. Georges Vigarello (Le Propre et le sale. L’hygiène du corps depuis le Moyen Age) l’a tentée pour notre aire culturelle. J’aurais incliné à croire que l’hygiène du corps est un acquêt récent de la société bourgeoise, que l’Ancien Régime, toutes classes confondues, vivait dans la puanteur paysanne, cléricale ou aristocratique. Ce n’est pas tout à fait inexact mais je relève (Benoît Labre eût-il fait son profit de cette anecdote ?) que les Carmélites de Saint-Joseph d’Avila molestées par la vermine semblèrent si peu s’y complaire qu’elles supplièrent Dieu, processionnellement, de les en délivrer, donnant occasion à Thérèse d’improviser son petit poème Contra un ganadillo, « Contre un petit bétail ». Ces Carmélites voulaient bien de l’Epoux, des poux non.

 

Je suis moi-même un rejeton de la bourgeoisie moderne, résolument hostile aux poux, épouvanté par les mauvaises odeurs. J’appris très tôt de mon cher papa à me frotter le cul et conséquemment les couilles sans négliger de l’aisselle à l’orteil les autres parties du corps sujettes à ablutions. Je passais du lavabo au bidet, du bidet au lavabo et (je parle du temps archaïque de mon enfance) je subissais avec délices quelquefois un jet de douche. Je le dis à ma honte, eussé-je croisé Benoît Labre, j’aurais eu la même répulsion que nombre de clercs à son approche ; une odeur nauséabonde, fût-elle de sainteté, me fait fuir ; aurais-je accepté de me confesser au Curé d’Ars, cœur archangélique mais pieds puants ? Aussi ai-je pour l’abbé Valeri qui devina sous les haillons et la crasse un être exceptionnel une rare vénération. « Notre église est l’église des saints » (Bernanos), elle est aussi l’église de ceux qui, asymptotes à la sainteté la décèlent sous les plus sordides apparences avec un flair divin.

Sainte-Beuve n’était pas un saint. Il est plaisant de relever dans son Port-Royal le souci qu’il a d’exempter le peuple de l’abbaye de toute incrimination d’encrassement. Une page entière est consacrée à produire des indices de la saine répulsion de Saint-Cyran ou de M. de Saci, de la mère Angélique ou de Nicole pour la « non-propreté », « ce point odieux », souligne-t-il, « le plus véritablement choquant ». Il en profite pour citer Addison – la propreté est « une demi-vertu »- et surtout Volney, philosophe qui l’a mise, lui, sans demi-mesure dans « le Catéchisme des vertus » et aurait, tout impie qu’il était, apprécié que Franklin (son ami) eût pris pour règle : « En me levant, me laver et invoquer la Bonté suprême »[7]. J’ajoute au texte de Sainte-Beuve quelques détails. Le moindre n’est pas que Volney, voltairien de stricte observance (Voltaire + Ferney), ne soit parti pour une exploration pédestre et scientifique de l’Egypte et de la Syrie avec un fusil et six milles livres en or cachées dans sa ceinture : voilà bien où l’aristocrate converti en bourgeois des « Lumières » tranche sur le fou de Dieu ! (Maître Eckhart : « est pauvre l’homme qui ne sent rien, ne sait rien, n’a rien »). Rimbaud qui fut, un moment, une sorte de Benoît Labre, pouilleux, fouillant dans les poubelles, dormant à la diable, déambule en Abyssinie, trafiquant devenu, avec « huit kilos d’or dans une ceinture qui lui barre le ventre et dont il se plaint qu’elle lui donne de la dysenterie » – ainsi Camus écorne-t-il avant Kundera le mythe du poète aux semelles de vent. A côté de ces voyageurs transis de précautions monétaires Benoît Labre est un preux de la plus haute lignée, a droit infiniment plus que ceux-ci, pour peu que nous sachions évaluer au juste prix la performance viscéralement substantiellement humaine, à notre admiration. Est-il en vérité important de voyager avec de l’or dans sa ceinture ? Oui, c’est mieux que de se la serrer, et c’est très recommandé quand on a jeté le précepte évangélique aux oubliettes. Est-il important d’éviter les poux, de se tenir propre ? Oui, dans une société où il est plus estimable d’avoir un compte en banque qu’un cœur en or. Mais une des pages les plus incandescentes de l’Evangile interpelle avec une extrême vivacité les « scribes et pharisiens hypocrites » qui « nettoient le dehors de la coupe et du plat et au-dedans sont pleins de rapacité et d’intempérance ». Nos moyens modernes de toilette et de nettoyage, enrichis d’une gamme prodigieuse de produits sophistiqués, nous permettent de tenir la coupe et le plat dans un état de propreté fascinant mais le capitalisme, l’économie de marché qui permettent des salles de bain et même des waterclosets spick-and-span, nickel, ne diminuent pas chez le commun des usagers les puanteurs endogènes de rapacité et d’intempérance. Fort étranger aux marottes de l’hédonisme bourgeois – soins d’hygiène, ablutions lustrales, déodorants, serpillières, aspirateurs – mais à l’opposite aussi des faibles lumières mentales de Benoît Labre par son éclatant génie mathématique et littéraire Blaise Pascal le rejoint cependant – et cela révolte le délicat Sainte-Beuve – par une application en l’ultime décours de sa vie à se faire pauvre et ne craindre pas la malpropreté qui est souvent de la pauvreté la cousine germaine ; il a mis, remarque sa sœur Jacqueline, « les balais au rang des meubles superflus ». Quand la propreté devient une vertu il y a toute chance qu’elle implique une vie à la Volney, c’est-à-dire ceinturée d’or, infatuée de savoirs, gonflée d’importance. Nous avons depuis Volney, depuis Franklin, depuis Sainte-Beuve, réalisé dans le plan de l’hygiène, de la toilette, du nettoyage, d’énormes progrès ; l’Europe civilisée, l’oïkoumène des agences bancaires et des hôtels Hilton ne connaît plus l’état de crasse. Mais qui croirait que l’état de grâce l’a remplacé ? La vérité que nous invite à méditer Benoît Labre en son choix extrême de n’être ni propriétaire ni propre c’est que la vie la plus risquée donc la plus intense fait fi des petits soins dont s’encombre une humanité vouée à finir et tâchant, sceptique et aseptique, à se distraire de sa finitude. J’aurais tendance à penser qu’un monsieur qui change de chemise, de chaussettes, de caleçon tous les jours n’est pas trop enclin à prier le Père des cieux de lui donner le pain de chaque jour. Délivrez-nous, Seigneur, non de ceux qui sentent mauvais, car ce sont quelquefois des saints, mais du Mauvais qui a souvent l’apparence d’un affairiste ou d’un fashionable au col impeccable mais aux mains sales, délivrez-nous, Seigneur, de « toute l’haleine incurable de ce monde » (Saint-John Perse), et c’est quelquefois la mauvaise haleine d’un saint qui peut faire un peu ce miracle.

 

  1. Eloge du fanatisme

« La suprême intelligence a pour ennemi mortel le fanatisme »(Nietzsche). « Peut-on avoir de la trempe sans verser dans le fanatisme ? Le malheur veut que la force d’âme y verse toujours » (Cioran). La suprême intelligence exclut-elle la force d’âme ? Nietzsche n’avait-il pas la trempe d’un fanatique, au moins par foucades ? N’aura-t-il pas, promenant sur toutes sentes du savoir son fanal critique, poussé jusqu’au fanatisme le déploiement de sa suprême intelligence ?

Le fanatique est l’homme du fanum, temple, ou lieu consacré. Au contraire exempt de fanatisme serait, doit être pour un Volney (pour un Nietzsche, pour un Cioran), celui qui s’est libéré de tout attachement pour un édifice cultuel et les rites qu’on y pratique. Il est clair que le fanatique est obtus, têtu, obstiné, étanche au doute, imperméable à la critique. La religion mahométane a le mérite d’offrir du fanatique le type idéal : Renan le soulignait par la métaphore du « cercle de fer qui entoure la tête d’un vrai croyant » ; j’eus le privilège sur un bateau qui me ramenait de Tunis en Europe – j’ai raconté ailleurs cette saynète – d’apprécier la « coyonnerie mahométane » (c’est le mot de Voltaire, c’est « connerie » chez Houellebecq ou BHL) grâce à la bordée d’insultes dont crut m’accabler un jeune barman parce que j’avais posé mon Coran sur la moquette.

Benoît Labre était un fanatique. A l’évidence son fanatisme n’était pas de la même espèce que celle de ce primate au cerveau plombé. « Il gobe tout en bigot, pour ne pas dire en benêt », ai-je écrit. Je récidive. Il croit, croit tout ; croit dur comme fer. Ah ! Mais ce n’est pas ce fer qui entoure la tête islamique et qui, note Renan avec décidément une stupéfiante sûreté de diagnostic, fait de « l’enfant musulman », à partir de son initiation religieuse, un « fanatique, plein d’une sotte fierté de posséder ce qu’il croit la vérité absolue, heureux comme d’un privilège de ce qui fait son infériorité ». Entre mon barman crétinisé et Benoît Labre il y a l’abîme qui sépare une conviction arrogante d’une foi humble et charitable. Benoît lui aussi croit posséder la vérité absolue mais il ne l’éructe pas, il la vit en extrême douceur, en extrême rigueur, en silence, en patience, en oraison, sans jamais élever la voix. Il croit posséder la vérité absolue mais non seulement il n’en tire pas une sotte fierté, il s’en juge continûment indigne, de là tant d’apparents caprices ou d’apparentes simagrées (par exemple la peur de communier). Fanatique, il l’est proprement par la fréquentation des sanctuaires ( fanorum). Ce pèlerin perpétuel ne cède jamais à la frivole curiosité de celui qu’on appellera quelques décennies plus tard le touriste ; ses pérégrinations qui semblent souvent l’égarer dans des lieux impossibles ne le conduisent jamais que dans « un pays illustré de sanctuaires », note Dhôtel – ce pays est la France mais aussi l’Espagne, la Suisse, l’Allemagne, l’Italie, surtout l’Italie et en Italie surtout Rome et Lorette. « J’habiterai dans la maison du Seigneur tout le long de mes jours » (psaume 23) pourrait être, fut sans nul doute le vœu perpétuel, la litanie de ce vagabond qui n’allait par monts et par vaux que pour joindre une église, une abbaye ou un lieu consacré. Je vois dans cet attachement fanatique aux sanctuaires, susceptible comme on le voit en islam d’inoculer au croyant le venin de l’intolérance et de la guerre « sainte », le souci ardent, chez Benoît, de ne pas faire bande à part, de ne pas jouer au promeneur solitaire, au hippie, au disciple farfelu de quelque Vicaire savoyard ; Benoît se veut d’église, ne se peut concevoir si solitaire soit-il qu’en église, on ne peut l’imaginer, du moins est-ce ainsi que le présente son biographe, un seul moment tenté, étant seul, de se faire , dissident sinon hérétique, une religion à soi. Tel est donc son fanatisme : une adhésion entière, totale, naïve à la religion de son catéchisme et aux maîtres spirituels très exigeants qui l’ont instruit mais nul zèle de prosélytisme, nulle autre manière de vivre sa foi que le silence, l’humilité, la patience, la douceur et à l’occasion quelques paroles d’édification.

Deux cas extrêmes – le fanatisme du Soi et le fanatisme de Secte, l’un et l’autre sans le sacré – permettent de mieux apprécier la performance chrétienne de Benoît Labre. Henri le Saux exalte dans son dernier écrit – Le Sannyâsa ou l’Appel au désert – ces ascètes de l’Inde qui s’élevant au-dessus du désir et n’étant plus attirés par aucun lieu, donc par aucun sanctuaire, « s’en vont errer et mendier » ; errance et (discrètement) aumône demandée, Benoît n’ignore pas cela ; mais le sannyâsi  ne lit ni théologie ni écriture » ; répéter OM lui suffit ; ni Imitatio ni bréviaire dans son sac s’il a un sac. Tat twam asi, « tu es cela » : phrase-talisman du moine qui n’est plus rattaché à rien ni personne sur la terre et qui fait ou tente de faire l’expérience absolue de l’identité entre le soi de cet homme accidentel qu’il est et le Soi universel et intemporel. Une telle attitude, une telle conception ne laissent pas de m’effrayer : elles couvent un orgueil à l’opposite de l’humble montée du Carmel dont s’endieuser serait le terme optatif. On ne devient pas dieu sous l’étendard du Christ comme sous celui de Brahman. Le Solitaire de Valéry a quelque ressemblance avec ces prodigieux héros de l’Inde des Upanishad : « il est la tangente » (qui échappe à la gravitation du cercle, autant dire au samsara), il est « le Suicide », l’ « exhaustion totale », l’ego néantisé.

Ce fanatisme du Soi, qui a l’immense mérite de ne pas détruire le fanum ni d’agresser les dévots d’une autre religion, trouve son antipode dans le fanatisme sectaire des idéologues de toute farine qui prétendent au bénéfice d’on ne sait quelles « Lumières » détruire les églises et les temples. Il est amusant ou pathétique de constater que Voltaire, ennemi juré du fanatisme dévotionnel, s’est révélé lui-même (Valéry, pourtant si subtil, est pris à ce sujet en délit comique de naïveté) un fanatique de la méchante espèce. Madame du Deffand, pourtant l’une de ses plus ferventes groupies, l’en accuse par manière de taquinerie. Frédéric II sera plus clair ; il faut rendre hommage à sa perspicacité prophétique : « Nous avons connu le fanatisme de la foi, peut-être connaîtrons-nous, mon cher Voltaire, le fanatisme de la raison, et ce sera bien pire ». Quelques décennies plus tard éclate la Révolution. Les moines jacobins étaient-ils fanatiques ? On en peut débattre. Les jacobins sans froc qui les remplacent le sont, eux, en sectaires qui ne reculent pas devant la délation, l’inquisition, la perquisition, le crime. Je ne dirai rien, car on ne les connaît que trop, des suites de cette répétition des couturières de la raison divinisée. Je préfère remarquer seulement, avec Valéry (cette fois bien inspiré) ou d’Ormesson, que l’homme politique dans la plupart des cas souffre du virus du fanatisme en ce qu’il affecte par principe d’avoir toujours raison, son adversaire toujours tort, et conséquemment jamais n’avoue ses erreurs, ses ratages, sinon pour en tirer parti. L’actuel gouvernement, qui n’en manque pas une, offre à cet égard l’illustration comique ou sinistre, c’est selon, d’une incompétence ravageuse et de la rage concomitante d’avoir toujours, gaffe après gaffe, mené au mieux la barque. Comparé à ces fantoches fanatiques Benoît Labre est ce chrétien mal assuré, doutant non de l’Evangile ou de l’Imitation mais de lui qui si mal imite, croit-il, bourrelé d’excessifs scrupules qu’on doit, au reste, porter au compte d’un certain jansénisme. Souligné-je avec assez de force qu’il n’est rien de moins fanatique au sens répulsif que ce maniaque des sanctuaires, cet obsédé de la prière, ce héros de l’humilité, cependant qu’il y a entre l’ascète hindou absolument dépris de l’illusion mondaine et le suppôt fanatisé des utopies meurtrières cette analogie que l’un et l’autre n’admettent pas la moindre contestation de leurs principes et de leurs pratiques ? C’est évident au moins pour le politicien, pour le sannyâsi je mets à mon jugement une pédale de sourdine.

« A quoi la route, s’il n’y a pas d’église au bout ? » (L’Annonce faite à Marie). Surtout Rome et Lorette, disais-je. J’ai relevé la mention de Lorette, sans être exhaustif, dans le livre d’André Dhôtel, pages 138, 173, 191, 204, 221, 229, 244 (il repart de Rome « sans tarder pour se rendre à Lorette », il « s’en alla vers Lorette », « il s’en allait chaque année à Lorette »…). Dévotion puérile ? Maniaque, je veux bien. Mais il me plaît de signaler avant lui deux pèlerins de Lorette qui comptent parmi les génies les plus incontestés de la civilisation européenne : Montaigne passe à Lorette en 1580 et y consacre à Marie des images d’argent pour lui, sa femme et sa fille. Descartes en 1623 s’y rend en action de grâces pour la nuit de songes où il a découvert les fondements d’une science nouvelle. Husserl l’énonce ainsi : « Descartes, lorsqu’il fut délivré de la détresse spirituelle qu’il éprouvait, fit le pèlerinage de Notre-Dame de Lorette » ; cette notation n’est pas, dans l’esprit du fondateur de la phénoménologie, pour diminuer l’auteur des Méditations ou de la Dioptrique mais au contraire pour mettre en montre la vastitude de son esprit. En revanche Voltaire dans son Dictionnaire philosophique exerce à l’avantage du théiste sur les dévots de toute obédience sa mordante ironie. « Le mahométan lui crie : « Prends garde à toi si tu ne fais pas le pèlerinage de la Mecque. « Malheur à toi », lui dit un récollet, si tu ne fais pas un voyage à Notre-Dame de Lorette ». Il rit de Lorette et de La Mecque ». Il rit de Lorette en fanatique de la raison. Montaigne et Pascal, qu’on ne juge pas, au vu de leurs écrits, moins doués de raison que Voltaire, ne rient pas de Lorette : c’est qu’ils sont indemnes de fanatisme et dans l’acte de piété, unique il est vrai (dévots d’une fois dévots cependant de vraie foi), qui les conduit jusqu’en ce sanctuaire, s’appareillent quelques heures durant à l’humble vagabond d’Amettes.

 

  • Eloge de l’idiotie

Ou de la bêtise ? Entre bêtise et idiotie pour ce sous-titre j’ai longuement balancé. Si j’ai choisi enfin celle-ci c’est par souvenir de l’étymologie grecque (l’idiotès désignant le caractère particulier, la nature singulière) et du prince Muichkine (avec lequel Benoît n’est pas sans quelque ressemblance puisqu’il passe même auprès de certains de ceux qui l’ont entrevu pour un aristocrate en rupture de ban).

Ordre de la chair, ordre de l’esprit, ordre de la charité. Dans les deux premiers il s’agit toujours – exploit sportif, exploit intellectuel ou artistique, de se distinguer. A l’opposite de Benoît Labre par son hérédité, son milieu, sa prodigieuse intelligence, sa mondanité, son métamorphisme, Jean Cocteau, sommé par Diaghilev – « étonne-moi » – ne cessera d’étonner car il s’asphyxie, semble-t-il, s’il n’étonne pas et d’abord lui-même. On connaît par ailleurs de lui cette forte maxime : « Ceux que les autres te reprochent, cultive-le : parce que c’est toi ». Jean Cocteau est d’abord et enfin un artiste, chrétien d’ailleurs par foucades, et être chrétien est encore une façon pour lui de se rendre étonnant. Benoît Labre est un chrétien qui s’ingénie, au contraire, à être le moins visible, le moins intéressant, le moins original qu’il se peut. Qu’il n’y ait pas réussi est flagrant, et c’est cela sur quoi je veux revenir.

« Accueillir avec une ironie intérieure », consigne Nietzsche, « les monstres de vertu, déniaiser la vertu, plaisir secret ». Lui échappe-t-il donc qu’il aura été lui-même à sa façon un monstre de vertu, un monstre de l’écriture ? Est-ce sur lui, sur sa vie qui fut tout intérieure, qu’il exerce ici son ironie intérieure ? Aura-t-il osé (alors, dans les coulisses de la comédie humaine, gémellé à Benoît Labre) rire de l’infortune que ce fut pour lui de n’être qu’un écrivain monstrueux qu’aurait pu déniaiser une cure de liturgies bénédictines ou d’orgasmes tantriques ? Cioran, à cet égard plus futé, souligne « la bonne fortune d’être un monstre, dans n’importe quel domaine, y compris la sainteté ». Il s’agit, pour se donner l’illusion de n’avoir pas vécu pour rien, pour faire mentir le vers-aphorisme de la Pharsale (paucis vivit humanum genus) ou plutôt pour enrôler paradoxalement parmi ces paucis des gens de très peu, il s’agit de se détacher de la grisaille du profanum vulgus haï du bon Horace. Etre (je cite à nouveau Cioran) « un original, un numéro », un numéro qui échappe au nombre, un unique.

Dans l’ordre de la charité ou, pour être simplement branché sur l’Evangile, si l’on se détermine à n’être qu’une « brebis » dans le pusillus grex, un membre du petit troupeau, se distinguer par quoi que ce soit non seulement n’est pas recommandé, c’est déconseillé absolument. Moins on se donne d’apparence, de prestige, d’originalité, plus on a chance de pratiquer cette Imitation de Jésus-Christ qui faisait dire à saint Paul, à cet égard un modèle, qu’il ne vit plus mais que c’est le Christ qui vit en lui. Le paradoxe – c’est un des paradoxes chrétiens – c’est que l’apôtre Paul en poussant jusqu’aux extrêmes conséquences le défi qu’il s’était lancé de s’effacer de sa propre vie a non seulement vécu avec une intensité exceptionnelle mais s’est révélé par la puissance de sa prédication et la qualité de ses écrits une des personnalités les plus originales du monde antique. Quelque chose de comparable mais dans un autre registre, à l’échelon le plus bas des vertus intellectuelles, est advenu à Benoît Labre. Ce pouilleux dépouillé de tout ce qui qualifie et distingue, a été porté, comme on dit en langage ecclésiastique, sur les autels et dans la société profane où il a reçu les honneurs du Larousse universel mériterait de représenter en Europe le personnage conceptuel du tchandala tel que Nietzsche dans son Antéchrist l’a raillé. Un tchandala glorieux !

On trouve dans La Volonté de puissance un diagnostic méprisant de l’uniformité (société de fourmis ?) qui menace l’espèce humaine à mesure que s’accroît le sentiment de l’unité : « C’est ainsi que se forme nécessairement le sable humain : tous très semblables, très petits, très arrondis, très accommodants, très ennuyeux. Le christianisme et la démocratie sont les deux forces qui ont mené l’humanité le plus loin dans cette voie ». Ce diagnostic a toute chance d’être faux : je gage que là où christianisme et démocratie ne se sont pas introduits le risque d’ensablement dans la médiocrité de conduites normées et d’inquisition totalitaire (par exemple la suspicion en islam à l’égard de l’homme non marié) est encore plus grand. C’est là un de ces jugements à l’emporte-pièce dont Nietzsche est souvent coupable entraîné qu’il est par son trop d’esprit et faisant d’excessives concessions à sa veine sarcastique. La vérité est tout autre. Claudel la profère dans son Hymne de saint Benoît : la route, écrit-il, « qui l’a une fois quittée ne trouve que /…/ le sable au sable identique. A droite, à gauche, âme en marche, renonce à ce double désert. » Droite ! Gauche ! Il suffit de s’être si peu que ce soit intéressé au discours des contemporains dans cette Europe où le christianisme dépérit et où la démocratie est en faillite pour avoir fait le constat qu’en effet ils sont tous très semblables, très petits ….sable au sable identique. Ecoutez-les dégoiser sur les « problématiques » de l’ « actualité » ! A la fin du siècle dernier Philippe Muray semble dans la section de son livre Après l’histoire dévolue à Juillet-août 1998 entériner le jugement de Nietzsche – « plus rien ni personne n’est différent de rien ni de personne » – mais c’est au bénéfice de Claudel car cette société du conformisme où la subversion subventionnée s’épuise en clichés soporifiques a peut-être encore quelques dehors de démocratie mais a sûrement cessé d’être chrétienne.

Or que nous apprend Benoît Labre ? Quelle leçon inflige-t-il à l’auteur intempestif d’Ecce homo ? (Je ménage le cas, envisagé avec humour par Sollers, pressenti par Lou Andreas-Salomé, d’un Nietzsche redivivus qui, suffoqué par le psittacisme de ses médiocres épigones se rallierait à l’Eglise de Benoît XVI). Convenons que le chrétien standard dont la foi embourgeoisée ou cléricalisée n’est plus que pieuses habitudes, routines, locutions obligées (« partage d’évangile », « l’autre »), ce chrétien dont la malheureuse « punaise de sacristie » ou (je cite Daniel Busato) la « vieille fille atteinte de vertu » seraient l’image canonique est moins tonique, moins divertissant, bref moins original que Madame du Deffand ou Ninon de Lenclos. Mais avec Benoît Labre, comme avec tout chrétien qui fait de son rapport au Christ une expérience radicale, le risque d’ensablement disparaît car ce chrétien-là s’établit sur le roc célébré par le psalmiste. Il m’est venu ce dimanche premier août cependant que j’étais assis dans le vallon de la Fauge en proie à une forte émotion de beauté vertacomicorienne cette suggestion loufoque : Une vieille bigote bigourdine enharnachée de rites surérogatoires est peut-être plus originale en son tréfonds que le fut le frénétique et arrogant André Breton. Mais c’est mieux qu’une facétie. Il y a fort à parier qu’un être qui à l’instar de saint Paul se met en frais de substituer en son for intime par un effort soutenu le Christ crucifié au vieil homme se distingue extrêmement de l’humanité médiocre. C’est ce qui arriva à Benoît : l’imitation de Jésus-Christ, pratiquée à la lettre et la lettre s’inscrivant en sa chair (comme dans la nouvelle de Kafka) au fil des jours a conduit cet individu falot, de faibles moyens, à une exceptionnelle réalisation de soi. Je gage qu’il en va de même chaque fois qu’un être se requalifie en Christ ; la violence qu’il fait à sa nature triviale (celle, dirait Céline, de l’ « avide asticot ») l’expose à devenir bon gré mal gré un original. Mais cette originalité se signale rarement par des effets sensibles dans le plan mondain. Le Larousse universel du royaume de Dieu n’est pas le même que celui de nos bibliothèques. Benoît Labre y est parce qu’il a réussi en vagabond inspiré une prouesse comparable à celle d’une grande première       alpine. Mille et mille hommes ou femmes, religieux ou laïques, filant le fil des petites vertus (ainsi ma vieille bigote bigourdine …), sans apparence, sans éclat, auront excellé dans l’art de faire de leur vie une œuvre d’art absolument originale mais invisible à l’œil épris de vanités. Comment ne pas ici répéter Pascal ? « Les saints ont leur empire, leur éclat, leur victoire, leur lustre et n’ont nul besoin des grandeurs charnelles ou spirituelles, où elles n’ont nul rapport, car elles n’y ajoutent ni ôtent. Ils sont vus de Dieu et des anges et non des corps ni des esprits curieux ».

Et il me faut encore une fois me moquer discrètement de Nietzsche. Il lui est échappé, sur l’Imitatio, ce trait qu’il veut décisif : l’Imitatio, écrit-il, « fait partie des livres que je ne puis pas prendre en main sans éprouver moi-même une résistance physiologique : elle exhale un parfum d’éternel féminin ». Que voilà une chétive idiotie ! « Que servirait-il que l’homme gagnât le monde tout entier », enseigne à Zarathoustra le mendiant volontaire (der freiwilliger Bettler), « s’il n’apprenait pas une chose, s’il n’apprenait pas à ruminer. » Se fût-il donné la peine de ruminer l’Imitatio Nietzsche n’y aurait pas flairé un parfum féminin mais inhalé la plus pure essence virile : « viriliter in via Dei ambulare »[8]. A la vérité, de Labre ou de Nietzsche lequel serait, si l’on se résigne à cette sorte de départage sexuel, le plus féminin ? « On ne sait pas tout ce que peut le corps » : beaucoup mieux que Spinoza, mieux que Nietzsche même Benoît l’a su, ô combien ! Rival à cet égard et sans démériter des plus admirables champions védantins de l’ascétisme. Au contempteur des tchandalas, au superbe héraut du surhomme c’est Chesterton, avec une verve railleuse égale à la sienne, qui a donné la réplique la plus perspicace : « Nietzsche’s aristocracy has about it all the sacredness that belongs to the weak /…/ his aristocracy /…/ is an aristocracy of weak nerves ». Il est tout à fait loisible et raisonnable de penser qu’un écrivain, quel qu’il soit, de quelque Ethique ou Also sprach Zarathustra qu’il ait accouché, est toujours par sa dévotion aux signes écrits quelque peu dévirilisé (cela pour certains d’eux fut un tourment) et servilisé. Benoit Labre, ce doux, cet empoté, ce blafard, ce propre à rien a exécuté avec la plus mâle et constante maîtrise la plus aristocratique des partitions, celle du Serviteur souffrant. (« O qu’il est venu en grande pompe » – Pascal célébrant Jésus-Christ – « et en une prodigieuse magnificence aux yeux du cœur et qui voient la sagesse ! »).

 

POST-SCRIPTUM

 

« Son rôle à lui , c’était de venir ».

D’autres, leur rôle, c’est d’arriver.

Qu’est-ce que l’arriviste ?

L’arriviste est un alpiniste veule qui pratique l’escalade des positions sociales, visant à se hisser au grade le plus haut et à se parer des plus hautes distinctions. C’est exactement l’inverse du sport évangélique pratiqué par les disciples du Christ : ils s’efforcent d’atteindre au plus bas ; cette discipline est plus difficile, plus dangereuse que celle des alpinistes du prestige et du pouvoir. Benoît Labre à cet égard est le Lionel Terray[9] non des cimes mais des abîmes du ridicule et de l’humilité.

Le chrétien n’arrive pas. L’arriviste qui par infortune serait chrétien doit répudier, dès que pointe en son esprit l’envie de parvenir, les pratiques chrétiennes et non plus renoncer mais consentir à Satan, ses pompes et ses œuvres. Ainsi procéda, avec le succès que l’on sait, François Mitterrand[10].

 

Il m’est venu, à cause d’un roman de Thomas Mann (L’Elu) et d’une nouvelle de Buzzati (L’Humilité), par une de ces interférences espiègles que l’esprit buissonnier se permet à la saison des vacances, une idée farfelue, digne cependant (ce me semble) d’être considérée.

Il arrive (c’est même fréquent) que l’arriviste dispose d’un réel talent pour arriver mais que ce soit le seul talent ou presque dont il dispose. Extrêmement médiocre en tout il ne l’est pas, il est même quelquefois surdoué pour cette sorte d’alpinisme. Il peut ainsi se hisser jusqu’aux plus hautes fonctions, voire au sommet de l’Etat et se découvre alors parfaitement nul en l’exercice du pouvoir qui exige de tout autres qualités que celles de ramper, se coller, se pousser, se faufiler. Le philosophe Alain disait des spécialistes de cette varappe, qu’il appelle les « Importants », qu’une fois arrivés (hébétés, hilares), ils jouissent bêtement des signes ; le ministre, le président ainsi parvenus sont enveloppés d’un nuage comparable à celui des dieux homériques mais où ils ne se cachent pas, c’est le monde, le monde tel qu’il est qui leur devient caché.

Or je forme la supposition d’un individu aussi humble en son tréfonds que le fut Benoît Labre mais qui par un raffinement d’humilité jouerait à fond le jeu de l’arriviste. Aussi nul que Benoît dans les affaires pratiques et politiques il parviendrait par des manigances dont celui-ci n’aurait jamais eu le moindre soupçon à se hisser en effet jusqu’au poste suprême – dans les récits que j’ai pris pour enseignes le pontificat, dans la France de Benoît ce serait (mais non ! monarchie héréditaire !) la couronne royale, aujourd’hui c’est la présidence de la République. Or la supposition que je forme, si farfelue soit-elle, est déjà mi-partie réalité. Il se trouve aujourd’hui à la tête de l’Etat un individu qui dans l’art de parvenir aura excellé mais dans l’art de gouverner affiche une nullité exemplaire. Par ailleurs il est brocardé de cent façons – Culbuto,  Capitaine de pédalo  (pour la rime), flanby, fraise-flagada (pour l’allitération), « granulé » (gras, nul laid), petit bricoleur, pépère, guimauve le conquérant, j’en passe … Or sous le feu de ces lazzi il demeure impassible, mieux, il exhibe le sourire fade de la béate bonne humeur. C’est ici qu’intervient ma supposition. F.H. reçoit autant de trognons d’insultes que B.L. recevait de trognons de choux. Son impavidité, dira-t-on, est imputable à sa vanité : la vanité contre le feu des lazzi est une amiante ; il sourit benoîtement parce qu’il est protégé par les fibres ignifuges de sa selfishness voire de ses selfies. (Se croirait-il photogénique ? Grands dieux !). Mais il est tentant d’imaginer, et ce n’est pas inconcevable, ce serait même plausible (quoiqu’ici je m’avance à pas plus que feutrés), qu’il en soit tout autrement. Imaginons donc, comme je disais, qu’avec le même profond esprit d’humilité que Benoît Labre mais surpassant celui-ci grâce au camouflage impeccable de cette humilité il ait joué à fond le jeu de l’arriviste et soit parvenu à ses fins c’est-à-dire au sommet du pouvoir et ainsi au faîte du ridicule et de la déconsidération[11]. Le trait d’humilité le plus exorbitant et qui expose le plus, ce n’est peut-être pas d’occuper la dernière place, c’est peut-être d’exhiber hissé à la première place une incompétence paroxystique et cruellement spectaculaire. Le mot de Montaigne, presque la clausule des Essais – « au plus élevé trône du monde, si, ne sommes assis que sur notre cul » – est bien connu. Mais Cioran ici sera plus topique : fieffé amateur de paradoxes il avouait tenir en haute estime l’homme qui serait déshonoré et content. Je me hasarde, tous comptes faits, alors qu’il achève bien assis sur son cul son quinquennat calamiteux, à mettre F.H. non au rang des fats fourvoyés mais au nombre des saints putatifs et ainsi à rendre justice à sa gestion catastrophique des affaires puisque sa seule affaire, au cas où mon hypothèse est avérée, aura été de tout rater pour la gloire de Dieu.

 

 

[1] Deleuze et Dhôtel sont faits à merveille pour ne pas s’entendre. Cependant on trouve dans Critique et clinique, pour illustrer l’idée, saugrenue et spécieuse, qu’on peut devenir autre que soi, ceci : « on peut instaurer une zone de voisinage avec n’importe quoi /…/ comme avec l’aster d’après André Dhôtel ».

[2] Le patron de Martinien et du narrateur, dans La Chronique fabuleuse, fait penser au patron de Bartleby.

[3] Coïncidence : le jour où j’écris ceci mon parcours de santé me fait passer rue Croix-Baragnon devant la pharmacie des Arts qu’embellit une grande affiche publicitaire :

« POUXIT n° 1 contre les poux ».

Pourquoi s’en prendre à cette créature de Dieu ?

[4] 36 (ibidem)- est « l’âge où on commence à prendre soin de sa santé. 76.700000 résultats », le 23 novembre à 9 heures 17. Je note que du matin au soir l’estimation change. A 16 heures 15, le même lundi 23 novembre, c’est 66.000000 de résultats qui s’affichait.

[5] Je cite Milan Kundera se référant au grand roman d’Hermann Broch, Les Somnambules.

[6] Cité par Todd dans sa biographie de Camus : « Je suis plus intelligent que toi, hein ? Plus intelligent ».

[7] En 1853 dans un article sur François de Sales Sainte-Beuve le rapprochant de Franklin souligne que « celui-ci a l’humanité, il lui manque proprement la charité ». Proprement est dans l’exercice de réflexion auquel je me livre l’adverbe topique en tous sens. La charité est la propreté suprême en ce qu’elle évite la moindre salissure, la moindre tache dans la relation de prochain à prochain. Sainte-Beuve ajoute, et pour ce seul trait tous ses péchés de scepticisme lui sont pardonnés : en François de Sales, « il y a plus que l’humain, il y a le saint ».

[8] Albert Camus dans un bel essai sur Madame de La Fayette précise que la virilité n’a rien à faire avec le tambour. Je dirais pour être encore plus précis mais avec un souci de la rime dont n’avait cure l’auteur de L’Etranger que la virilité n’est affaire ni de baïonnette (c’est le tambour) ni de quéquette (Camus, tourmenté du coït, a omis ce point). La virilité telle que je l’entends, c’est-à-dire l’épreuve physique continûment soutenue (« dans certains cas, continuer, seulement continuer », dit Clamence héros de La Chute, voilà ce qui est surhumain », oui, continuer dans un corps avarié, épuisé, c’est surhumain et affaire de femmes plus souvent que d’hommes. Je pense à la Carmélite Elisabeth de la Trinité, victime de la maladie d’Addison qu’elle aura héroïquement supportée jusqu’au bout. Je pense aussi à la duchesse d’Angoulême que Napoléon disait « le seul homme de la famille ».

[9] Je vois de mon balcon la paroi calcaire où il a fait une chute mortelle.

[10] Qu’il y ait de notables exceptions, j’en conviens. Mais je tends à croire qu’un homme chrétien, si haut qu’il arrive, ne sera pas arrivé par arrivisme, mais simplement par l’entrelacs d’une stature et d’une conjoncture exceptionnelles.

[11] Je n’ignore pas que le personnage semble avoir les couilles un peu moins molles que la cervelle. Son succès (stupéfiant !) auprès de plusieurs femmes infirme, je le crains, mon hypothèse. A moins qu’il n’ait cru bon d’ajouter aux humiliations politiques et publiques celles du sexual intercourse où je ne peux l’imaginer que suant à grosses gouttes.